Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la communauté d'agglomération Villefranche Beaujolais Saône (CAVBS) à lui verser une somme de 517 500 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi à la suite de son éviction irrégulière de la délégation de service public conclue pour la gestion et l'animation du centre aquatique communautaire Le Nautile à Villefranche-sur-Saône ou, subsidiairement, la somme de 10 000 euros en remboursement des frais exposés pour présenter son offre, ces sommes devant être assorties des intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020 et de leur capitalisation.
Par jugement n° 2100274 du 19 janvier 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 22 février 2023, la société Vert Marine, représentée par Me Boyer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la CAVBS à lui verser 517 500 euros, en réparation de la privation de son manque à gagner ou, à titre subsidiaire, 10 000 euros en remboursement des frais de présentation de son offre, outre intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020, capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la CAVBS, qui devait s'assurer du respect par les candidats de la législation du travail, était tenue d'écarter l'offre du candidat retenu, la société Action développement loisir, qui ne respectait pas la convention collective applicable, à savoir la convention collective nationale du sport ;
- l'irrégularité relevée a eu une incidence sur le classement des offres, dès lors que l'application par le candidat retenu de la seule convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (dite convention collective ELAC), moins onéreuse et moins contraignante, a eu des conséquences sur l'offre présentée et sur son appréciation, si bien qu'elle n'aurait pas été évincée si cette offre n'avait pas été entachée d'une telle irrégularité ;
- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le contrat car son offre a également été examinée par le jury et que, contrairement à celles des autres sociétés soumissionnaires, sa propre offre respectait la convention collective nationale du sport ; il n'est pas démontré par la collectivité qu'elle ait envisagé de déclarer la procédure infructueuse ;
- elle justifie de son préjudice par la production du compte d'exploitation prévisionnel remis à l'appui de son offre et par une attestation de son commissaire aux comptes.
Par mémoires enregistrés le 10 avril 2024 et le 23 avril 2024, la CAVBS, représentée par Me Bory, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Vert Marine la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle est stéréotypée et qu'elle ne critique pas le motif opposé par le tribunal pour rejeter sa demande, tiré de l'absence de lien de causalité direct entre la faute résultant de l'irrégularité de l'offre retenue et les préjudices invoqués par la société Vert Marine à raison de son éviction ;
- la requérante, qui se borne à soutenir que l'offre retenue était irrégulière et qu'en sa qualité de candidate illégalement évincée, elle avait des chances sérieuses de se voir attribuer le contrat, ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité direct entre la faute résultant de cette irrégularité et les préjudices invoqués, l'application de la convention collective ELAC n'ayant eu en l'espèce aucune incidence sur le classement des offres ;
- la société requérante, qui n'a pas été classée en seconde position mais derrière l'attributaire, tout comme l'autre soumissionnaire, ne démontre pas l'existence d'une chance sérieuse d'emporter le contrat ; à cet égard, elle ne démontre pas l'irrégularité de l'offre de cette autre société soumissionnaire ;
- la demande de première instance est irrecevable, dès lors qu'elle s'inscrit dans le cadre de contentieux sériels et qu'elle n'a pas été enregistrée dans le délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures de publicité du contrat, ni dans un délai raisonnable, et sans qu'une action visant à contester le contrat ait été préalablement engagée ;
- elle n'a commis aucune faute dès lors que l'offre de la société attributaire respecte les règles spécifiques du droit du travail et qu'en tout état de cause, l'offre remise n'était pas irrégulière, la question de l'application de la convention collective étant relative à l'exécution du contrat et non à la régularité de sa procédure de passation ; la problématique, qui ne caractérise pas une erreur manifeste d'appréciation du pouvoir adjudicateur, excède en tout état de cause le champ du contrôle du juge administratif ; le principe d'égalité entre les candidats n'a pas été méconnu dès lors que la convention collective prévue dans les offres ne constituait pas un élément d'appréciation ;
- les préjudices invoqués ne sont pas établis.
Un mémoire en production de pièces présenté pour la CAVBS non soumis au contradictoire en application de l'article R. 412-1-1 du code de justice administrative a été enregistré le 23 avril 2024 et non communiqué.
Une note en délibéré, enregistrée le 4 novembre 2024, a été présentée pour la CAVBS et communiquée à la partie adverse.
La CAVBS fait valoir que le manque à gagner dont la société Vert Marine peut se prévaloir est nul, les résultats de la société Action développement loisir, qui a exploité l'équipement, ayant été déficitaires sur l'ensemble des exercices clos entre 2019 et 2023.
Par arrêt n°23LY00664 du 21 novembre 2024, la cour a ordonné avant dire droit un supplément d'instruction en vue d'obtenir des parties la production de tous éléments, pièces justificatives et observations relatifs aux conditions réelles d'exploitation de l'équipement, aux fins d'évaluer le montant du bénéfice net qui aurait pu être retiré par la société Vert Marine de l'exécution, durant les six années prévues par le contrat, de la délégation de service public afférente à l'exploitation du centre aquatique communautaire Le Nautile.
La CAVBS a produit des mémoires enregistrés le 17 janvier 2025 et le 5 février 2025.
Elle fait valoir que la société Vert Marine, qui était le délégataire du centre au titre des années 2011 à 2017, n'avait réalisé aucun bénéfice au titre de ces sept années et que la hausse des charges, liées notamment au coût du gaz et la baisse du chiffre d'affaires consécutive à l'épidémie de Covid-19 rendaient impossible la réalisation d'un quelconque bénéfice au titre des années 2019 à 2024.
La société Vert Marine a produit un mémoire enregistré le 21 janvier 2025.
Elle fait valoir que les informations sollicitées figurent dans le compte d'exploitation prévisionnel, assorti d'une attestation de son commissaire aux comptes, qu'elle a communiquées à la cour, et qu'il n'est pas possible de retenir les résultats de l'attributaire irrégulier.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard,
- les conclusions de Mme A...,
- les observations de Me Boyer pour la société Vert Marine, et celles de Me Bory pour la CAVBS.
Considérant ce qui suit :
1. Par avis publié le 13 juin 2017, la CAVBS a engagé une procédure de consultation en vue de l'attribution de la délégation de service public afférente à l'exploitation du centre aquatique communautaire Le Nautile situé à Villefranche-sur-Saône. Trois candidates, dont la société Action développement loisir et la société Vert Marine, ont été admises à présenter une offre. A l'issue de cette procédure, la société Action développement loisir a été déclarée attributaire de la délégation. Par jugement du 19 janvier 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la société Vert Marine tendant à la condamnation de la CAVBS à lui verser une somme de 517 500 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction, ou, à titre subsidiaire, la somme de 10 000 euros en remboursement des frais exposés pour présenter son offre. La société Vert Marine a relevé appel de ce jugement.
2. Par un arrêt 23LY00664 du 21 novembre 2024, la cour a ordonné avant dire droit un supplément d'instruction en vue d'obtenir des parties la production de tous éléments, pièces justificatives et observations relatifs aux conditions réelles d'exploitation de l'équipement, aux fins d'évaluer le montant du bénéfice net qui aurait pu être retiré par la société Vert Marine de l'exécution, durant les six années prévues par le contrat, de la délégation de service public afférente à l'exploitation du centre aquatique communautaire Le Nautile.
3. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. D'autre part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité et si les chances sérieuses de l'entreprise d'emporter le contrat sont établies, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation. Il lui incombe aussi d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.
4. La société Vert Marine se prévaut du compte prévisionnel d'exploitation des années 2018 à 2023, établi le 4 septembre 2017, et correspondant aux années d'exécution de la délégation de service public, qu'elle avait joint à son offre initiale, et de l'attestation établie par son commissaire aux comptes le 6 mars 2021, dégageant un bénéfice cumulé de 517 500 euros.
5. Toutefois, il résulte de l'instruction, et, notamment, des données librement accessibles publiées par le ministre en charge du développement durable, que le prix du gaz, énergie utilisée en l'espèce pour le chauffage de l'équipement, a augmenté de 67 % en 2021 et 2022 puis de 11 % en 2023, alors que la société Vert Marine avait établi son offre sur la base d'un coût de chauffage quasiment constant au titre des mêmes années. En outre, le centre Nautile a, comme l'ensemble des établissements de même nature, été affecté par des périodes de fermeture totale ou de restrictions d'accès, liées à l'épidémie de la Covid-19, faisant ainsi peser un aléa sur les produits attendus par la société dans ce même compte d'exploitation prévisionnel au titre des années 2020, 2021 et 2022. Enfin, il résulte de l'instruction, et, notamment, des extraits des comptes annuels de la société Action développement loisir, société délégataire, que l'exploitation de l'équipement a donné lieu à des résultats déficitaires, compris entre -32 031 euros et -207 525 euros au titre des exercices clos entre 2019 et 2023. Si la société requérante soutient que l'attributaire porte seul la responsabilité de ces résultats, il résulte de l'instruction, et, notamment, des extraits des comptes annuels du délégataire, que ces derniers résultent, pour une part importante, d'une augmentation des charges et d'une baisse des produits d'exploitation, sans que la requérante n'établisse qu'elle-même aurait pu ne pas être exposée aux mêmes évènements. Enfin, la société Vert Marine ne peut se prévaloir d'une éventuelle indemnité d'imprévision, laquelle aurait eu pour effet de couvrir le montant du déficit provoqué par l'évolution défavorable des conditions d'exécution du contrat, non d'allouer le bénéfice escompté à la présentation de l'offre. En revanche, compte tenu de la différence entre le modèle économique de la société Action développement loisir et le sien, lequel donnait notamment la priorité à la dynamisation de la clientèle, donc à la fréquentation de l'équipement, la société Vert Marine est fondée à soutenir qu'elle demeurait susceptible d'enregistrer un résultat différent de la société attributaire, hors conséquence des événements extérieurs aux parties sur lesquels elle ne pouvait influer. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déterminer le manque à gagner subi par la société Vert Marine au titre de la période de six ans, correspondant à la durée d'exécution de la délégation de service public conclue le 19 décembre 2017, allant de 2018 à 2023, en l'évaluant à la somme de 40 000 euros, laquelle inclut l'ensemble des intérêts ainsi que leur capitalisation.
6. En revanche, la société Vert Marine n'est pas fondée à demander l'indemnisation des frais de présentation de son offre, lesquels sont intégrés dans les charges prises en compte pour l'évaluation de son manque à gagner déterminé au point 5.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Vert Marine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande, et à demander la condamnation de la CAVBS à lui verser la somme de 40 000 euros.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Vert Marine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la CAVBS demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la CAVBS une somme de 1500 euros à verser à la société Vert Marine au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 2100274 du 19 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : La CAVBS est condamnée à verser à la société Vert Marine la somme de 40 000 euros.
Article 3 : La CAVBS versera à la société Vert Marine une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vert Marine et à la communauté d'agglomération Villefranche Beaujolais Saône.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2025.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne à la préfète du Rhône, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY00664