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17/04/2025 | FRANCE | N°22LY01393

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 17 avril 2025, 22LY01393


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. E... D... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Menthon-Saint-Bernard à réparer, à hauteur de 5 000 000 euros, le préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité du plan local d'urbanisme de la commune de Menthon-Saint-Bernard approuvé le 14 novembre 2011, en tant que ce plan classe en zone 1AU un terrain situé sur le territoire de cette commune.



Par un jugement n° 1902014 du 7 mars 2022, le t

ribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... D... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Menthon-Saint-Bernard à réparer, à hauteur de 5 000 000 euros, le préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité du plan local d'urbanisme de la commune de Menthon-Saint-Bernard approuvé le 14 novembre 2011, en tant que ce plan classe en zone 1AU un terrain situé sur le territoire de cette commune.

Par un jugement n° 1902014 du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés, sous le numéro 22LY01393, les 9 mai 2022, 25 septembre et 1er octobre 2024, M. D... et M. B..., représentés par Me Gentilhomme, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1902014 du 7 mars 2022 ;

2°) de condamner la commune de Menthon-Saint-Bernard à leur verser une somme de 5 000 000 euros en réparation du préjudice subi ;

4°) de mettre à la charge de la commune le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable, dans la mesure où ils ne sont pas co-auteurs du dommage indemnisé par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 novembre 2018, dont la commune est seule responsable ; leur requête ne constitue pas une action subrogatoire mais une action récursoire ;

- le jugement est entaché d'irrégularité, en ce qu'il n'est pas signé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que le préjudice qu'ils invoquent était éventuel ; le préjudice invoqué est réel, direct et certain, en ce que leur responsabilité est mise en cause devant les juridictions judiciaires et qu'il y a une chance sérieuse que leur responsabilité soit engagée ;

- la commune a commis une faute en classant, par sa délibération du 14 novembre 2011, en zone 1AU le terrain litigieux, en méconnaissance de l'article L. 146-1 du code de l'urbanisme, ainsi que cela a été reconnu par le jugement du 15 novembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble, confirmé par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 15 décembre 2020 ;

- l'illégalité du PLU approuvé par la commune est à l'origine directe du préjudice de perte de valeur vénale du bien dont les acquéreurs veulent obtenir réparation et pour lequel ils les ont attrait devant les juridictions judicaires ;

- ils n'ont commis aucun manquement à leur obligation de conseil, qui n'inclut pas l'analyse de la légalité des dispositions du plan local d'urbanisme ;

- si la juridiction judiciaire venait à retenir leur responsabilité pour défaut de conseil quant à l'application de la loi " littoral " au terrain, ils sont bien fondés à demander la condamnation de la commune à la somme de 5 000 000 d'euros en réparation du préjudice subi par eux du fait de la perte de valeur vénale des biens subie par les acquéreurs ; dès lors qu'il existe une probabilité sérieuse que le dommage se réalise, le préjudice futur est bien certain.

Par un mémoire enregistré le 27 juillet 2022, la commune de Menthon-Saint-Bernard, représentée par Me Choulet, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge solidaire des appelants le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal judiciaire sur l'action introduite à l'encontre des requérants, et, à titre très subsidiaire, à ce que les prétentions indemnitaires des requérants soient réduites.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- la demande indemnitaire est irrecevable, faute d'intérêt et de qualité pour agir des requérants ; en effet, dans le cadre d'une action subrogatoire, d'un coauteur d'un dommage à l'égard de son coauteur, la créance ne présente un caractère certain qu'à compter du paiement effectif des sommes à la suite d'une condamnation judiciaire du premier coauteur ; en l'espèce, en l'absence de condamnation effective des requérants par le tribunal judiciaire, la demande demeure hypothétique et prive les requérants d'un intérêt à agir ;

- la demande des requérants se heurte à l'autorité de chose jugée du jugement du 15 novembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble, les acquéreurs du bien en litige ayant obtenu la condamnation de la commune à les indemniser des préjudices qu'ils ont subis ;

- en tout état de cause, la commune n'a commis aucune faute en approuvant son plan local d'urbanisme le 14 novembre 2011 en tant qu'il classe les parcelles litigieuses en zone constructible, dès lors que les parcelles auraient pu devenir constructibles en vertu de la règle de l'urbanisation en continuité ;

- à supposer que le classement soit fautif, le lien de causalité direct, certain et exclusif entre cette faute éventuelle et les préjudices allégués n'est pas démontré, en l'absence d'élément apportant une assurance suffisante aux acquéreurs, qui se sont montrés imprudents, quant à la faisabilité juridique de l'opération immobilière projetée ; la faute des acquéreurs est opposable aux requérants, notaires de la vente, à supposer qu'ils soient condamnés ; le comportement des requérants est de nature à exonérer la commune de sa responsabilité.

Par une ordonnance du 27 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Maubon, première conseillère,

- les conclusions de Mme Djebiri, rapporteure publique,

- et les observations de Me Miah, substituant Me Gentilhomme, représentant MM. D... et B....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., notaire, a reçu le 9 novembre 2011 la vente par laquelle M. F... et Mme A..., assistés par M. B..., notaire, ont acquis un terrain de 10 262 m² constitué des parcelles cadastrées section ... situées au lieu-dit " Le Carroz " sur le territoire de la commune de Menthon-Saint-Bernard. Par un jugement n° 1602229 du 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que la délibération du 14 novembre 2011 approuvant le plan local d'urbanisme de la commune de Menthon-Saint-Bernard était entaché d'illégalité en ce que ce plan classait plusieurs parcelles, dont celles objet de la vente du 9 novembre 2011, en zone constructible, en raison de l'incompatibilité de ce classement avec les dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, relatif à l'extension de l'urbanisation du littoral en continuité avec les agglomérations et villages existants. Il a condamné la commune de Menthon-Saint-Bernard à verser à M. F... la somme de 1 454 704 euros. Par un arrêt n° 19LY00121 du 15 décembre 2020, la cour a confirmé l'engagement de la responsabilité de la commune et a porté à 2 182 056,50 euros la somme que celle-ci devait verser à M. F.... M. F... et Mme A..., conjointement avec une société dont M. F... est gérant, ont engagé devant le tribunal judiciaire d'Annecy un contentieux contre les vendeurs et contre les notaires, reprochant à M. D... et M. B... d'avoir manqué à leurs obligations de conseil, d'assistance et d'information. Par un courrier du 27 décembre 2018, M. D... et M. B... ont formé une demande préalable indemnitaire auprès de la commune de Menthon-Saint-Bernard tendant à ce qu'elle leur verse une somme de 5 000 000 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subis, demande qui a été rejetée par une décision du maire du 4 février 2019. Par la présente requête, M. D... et M. B... relèvent appel du jugement du 7 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande indemnitaire dirigée contre la commune de Menthon-Saint-Bernard.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". L'article R. 741-10 du même code ajoute : " La minute des décisions est conservée au greffe de la juridiction pour chaque affaire, avec la correspondance et les pièces relatives à l'instruction. (...) En cas de recours formé contre la décision devant une juridiction autre que celle qui a statué, le dossier de l'affaire lui est transmis ". Il ressort de l'examen de la minute du jugement attaqué transmise à la cour que celle-ci comporte les signatures de la présidente de la formation de jugement, de la rapporteure et de la greffière d'audience. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée aux parties ne comporte pas de signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit être écarté.

Sur la responsabilité de la commune de Menthon-Saint-Bernard :

3. D'une part, la commune de Menthon-Saint-Bernard estime que la requête de M. D... et M. B... constitue une action subrogatoire, les requérants étant subrogés dans les droits de M. F..., qui a obtenu la condamnation de la commune à lui verser une somme en réparation de l'illégalité de la délibération du 14 novembre 2011 approuvant le plan local d'urbanisme de la commune, par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 15 décembre 2020. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'action de M. D... et M. B... vise à obtenir l'engagement de la responsabilité de la commune pour faute et la condamnation de celle-ci à réparer le préjudice, qui leur est propre, qui résulterait de leur condamnation éventuelle par la juridiction judiciaire pour manquement à leur devoir de conseil. Ainsi, la présente action n'a pas le même objet que celle qui a donné lieu à l'arrêt de la cour du 15 décembre 2020. Par suite, et contrairement à ce que soutient la commune, l'autorité de chose jugée qui s'attache à cet arrêt ne peut pas leur être opposée.

4. D'autre part, le préjudice dont M. D... et M. B... sollicitent la réparation serait constitué par la condamnation pécuniaire que la juridiction judiciaire, saisie par les acquéreurs des parcelles litigieuses, serait susceptible de prononcer à leur encontre au titre de manquements à leurs devoirs de conseil, d'information et d'assistance, dans le cadre de la conclusion de la vente du 9 novembre 2011. Il résulte de l'instruction que le tribunal judiciaire d'Annecy, par un jugement du 12 janvier 2023, a débouté M. F... et autres de l'ensemble de leurs demandes et notamment de leurs demandes de condamnation de M. D... et M. B... pour manquements à leurs devoirs d'information et de conseil. L'appel interjeté à l'encontre de ce jugement est pendant devant la cour d'appel de Chambéry. En l'absence de toute condamnation de M. D... ou de M. B... à la date du présent arrêt, le préjudice qu'ils invoquent ne revêt pas de caractère certain, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres conditions d'engagement de la responsabilité de la commune.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune, que M. D... et M. B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. D... et M. B... soit mise à la charge de la commune, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de M. D... et M. B... le versement à la commune de Menthon-Saint-Bernard d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... et M. B... est rejetée.

Article 2 : M. D... et M. B... verseront solidairement une somme de 2 000 (deux mille) euros à la commune de Menthon-Saint-Bernard sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et à la commune de Menthon-Saint-Bernard.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente de la formation de jugement,

Mme Claire Burnichon, première conseillère,

Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.

La rapporteure,

G. MaubonLa présidente,

A.-G. Mauclair

La greffière,

O. Ritter

La République mande et ordonne à la préfète de la Haute-Savoie en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Une greffière,

N° 22LY01393 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01393
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Préjudice. - Caractère certain du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme MAUCLAIR
Rapporteur ?: Mme Gabrielle MAUBON
Rapporteur public ?: Mme DJEBIRI
Avocat(s) : CABINET CHOULET- PERRON-BOULOUYS- AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-17;22ly01393 ?
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