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15/05/2025 | FRANCE | N°24LY01599

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 15 mai 2025, 24LY01599


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner Grenoble Alpes Métropole, d'une part, à leur verser la somme de 32 000 euros et, d'autre part, à verser à M. A... une somme de 50 000 euros, en réparation des préjudices résultant du périmètre de protection rapprochée d'un captage d'eau potable et de la mise en demeure qui leur a été adressée de cesser leur activité de restauration.



Par un jugement n

° 2108122 du 4 avril 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.





Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner Grenoble Alpes Métropole, d'une part, à leur verser la somme de 32 000 euros et, d'autre part, à verser à M. A... une somme de 50 000 euros, en réparation des préjudices résultant du périmètre de protection rapprochée d'un captage d'eau potable et de la mise en demeure qui leur a été adressée de cesser leur activité de restauration.

Par un jugement n° 2108122 du 4 avril 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2024, M. D... A... et Mme C... B..., représentés par Me Angot, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2108122 du 4 avril 2024 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner Grenoble Alpes Métropole à leur verser la somme de 32 000 euros en réparation des préjudices résultant de la mise en demeure qui leur a été adressée de cesser leur activité de restauration ;

3°) de condamner Grenoble Alpes Métropole à verser à M. A... la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices résultant du périmètre de protection rapprochée d'un captage d'eau potable ;

4°) de mettre à la charge de Grenoble Alpes Métropole une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A... et Mme B... soutiennent que :

- ils ne peuvent être regardés comme ayant modifié la destination de leur logement au seul motif d'un local accessoire de restauration ;

- ils ont subi une perte de revenus professionnels et un préjudice moral du fait de la mise en demeure ;

- la déclaration d'utilité publique du captage d'eau n'a pas été notifiée à M. A..., propriétaire de la maison, en méconnaissance de l'article R. 1321-13-1 du code de la santé publique et ainsi il n'a pas pu faire valoir ses droits ;

- ce défaut de notification qui l'a empêché de faire valoir ses droits lui a causé un préjudice de 50 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2024, Grenoble Alpes Métropole, représentée par la SCP Fessler Jorquera et associés agissant par Me Fessler, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Grenoble Alpes Métropole soutient que :

- à la date de la déclaration d'utilité publique, les requérants n'apparaissaient pas sur le cadastre en qualité de propriétaires, ce qui explique l'absence de notification à leur égard, la notification ayant été faite au propriétaire désigné par le cadastre, qui n'a signalé aucun changement ;

- les requérants ont nécessairement eu connaissance du captage, qui est en outre repris au plan local d'urbanisme ;

- la mise en demeure est justifiée par le changement de destination de leur maison, d'une destination de logement à une destination de commerce de restauration, ce qui est prohibé par le plan local d'urbanisme.

- subsidiairement, le préjudice tenant à la perte des revenus d'une activité irrégulière n'est pas indemnisable ;

- le préjudice moral n'est pas établi.

Par ordonnance du 27 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2024 à 16h30.

Un mémoire complémentaire, présenté pour M. A... et Mme B... et enregistré le 28 octobre 2024 à 16h07, n'a pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux.

Par courrier du 20 février 2025, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour est susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que, en application de l'article L. 1321-3 du code de la santé publique, l'indemnisation du propriétaire d'une parcelle située dans le périmètre de protection rapprochée d'un captage d'eau destinée à la consommation humaine, par le propriétaire du captage, des préjudices résultant de l'institution des servitudes afférentes, relève du seul juge judiciaire, le jugement étant dès lors irrégulier en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires de M. A... et ces conclusions devant être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Angot, représentant M. A... et Mme B...,

- et les observations de Me Fessler, représentant Grenoble Alpes Métropole.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... est propriétaire d'une maison à usage d'habitation sur la parcelle ..., dans la commune de .... Avec sa compagne Mme B..., il a développé dans cette maison une activité de pizzeria sur place et à emporter. La parcelle se situant dans le périmètre de protection rapprochée d'un captage d'eau destinée à la consommation humaine, Grenoble Alpes Métropole les a mis en demeure de cesser cette activité. M. A... et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner Grenoble Alpes Métropole à leur verser la somme de 32 000 euros, ainsi qu'à verser à M. A... la somme de 50 000 euros. Par le jugement attaqué du 4 avril 2024, le tribunal a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes du 6ème alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique : " Les servitudes afférentes aux périmètres de protection ne font pas l'objet d'une publication aux hypothèques. Un décret en Conseil d'Etat précise les mesures de publicité de l'acte portant déclaration d'utilité publique prévu au premier alinéa, et notamment les conditions dans lesquelles les propriétaires sont individuellement informés des servitudes portant sur leurs terrains ". Aux termes de l'article R. 1321-13-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " L'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 1321-2 est publié au recueil des actes administratifs de l'Etat dans le département et est affiché à la mairie de chacune des communes intéressées pendant au moins deux mois. Une mention de cet affichage est insérée en caractères apparents dans deux journaux locaux. / Un extrait de cet acte est par ailleurs adressé par le bénéficiaire des servitudes à chaque propriétaire intéressé afin de l'informer des servitudes qui grèvent son terrain, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Lorsque l'identité ou l'adresse d'un propriétaire est inconnue, la notification est faite au maire de la commune sur le territoire de laquelle est située la propriété soumise à servitudes, qui en assure l'affichage et, le cas échéant, la communique à l'occupant des lieux / Les maires des communes concernées conservent l'acte portant déclaration d'utilité publique et délivrent à toute personne qui le demande les informations sur les servitudes qui y sont rattachées ". Aux termes de l'article R. 1321-13-2 du même code : " Les servitudes afférentes aux périmètres de protection mentionnées à l'article L. 1321-2 sont annexées au plan local d'urbanisme dans les conditions définies à l'article L. 153-60 du code de l'urbanisme ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1321-3 du code de la santé publique : " Les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à la consommation humaine, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Lorsque les indemnités visées au premier alinéa sont dues à raison de l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée visé à l'article L. 1321-2-1, celles-ci sont à la charge du propriétaire du captage ".

4. M. A..., invoquant sa qualité de propriétaire d'une parcelle située dans le périmètre de protection rapprochée d'un captage d'eau, a demandé la condamnation de Grenoble Alpes Métropole, propriétaire du captage, à lui verser une somme de 50 000 euros, au motif que la déclaration d'utilité publique instituant ce périmètre ne lui a pas été notifiée et qu'il n'a pu faire valoir ses droits. Il doit ainsi être regardé comme recherchant l'indemnisation des préjudices causés par l'institution des servitudes afférentes au périmètre de protection rapprochée du captage. S'il fait notamment valoir le retard à être informé de ce périmètre et l'incidence que ce retard a pu avoir sur son indemnisation, ce préjudice, à le supposer établi, n'est pas détachable de la procédure d'indemnisation spécialement prévue par le législateur. Ce litige indemnitaire relève dès lors de la compétence du seul juge judiciaire. C'est par conséquent à tort que le tribunal administratif a statué au fond sur ces conclusions au lieu de décliner la compétence de la juridiction administrative. Le jugement doit, en conséquence, être annulé pour irrégularité en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires présentées par M. A....

5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions indemnitaires de M. A....

Sur les conclusions de M. A... tendant à la réparation des préjudices liés à l'instauration de la servitude de protection rapprochée du captage :

6. Ainsi qu'il vient d'être dit, ces conclusions doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Sur les conclusions de M. A... et de Mme B... tendant à la réparation des préjudices liés à la mise en demeure de cesser une activité de restauration :

7. D'une part, aux termes de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés (...) ". Aux termes de l'article R. 1321-13 du même code : " (...) A l'intérieur du périmètre de protection rapprochée, sont interdits les travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols susceptibles d'entraîner une pollution de nature à rendre l'eau impropre à la consommation humaine. Les autres travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols peuvent faire l'objet de prescriptions, et sont soumis à une surveillance particulière, prévues dans l'acte déclaratif d'utilité publique (...) "

8. D'autre part, aux termes de l'article 6. 3 de l'arrêté du préfet de l'Isère du 5 octobre 2015 portant déclaration d'utilité publique, au bénéfice de Grenoble Alpes Métropole, des travaux de dérivation des eaux et de l'instauration des périmètres de protection en vue de l'autorisation d'utiliser de l'eau en vue de la consommation humaine pour les besoins de commune de Domène : " Le périmètre de protection rapprochée est constitué des parcelles cadastrées suivantes de la commune de ... (...) : / - parcelles n° (...) 564 (...) section B sur la totalité des parcelles (...). / Des servitudes sont instituées sur les terrains du périmètre de protection rapprochée suivant les prescriptions mentionnées en annexe II du présent arrêté (...) ". L'annexe II de cet arrêté, de nature cartographique, fait apparaitre que la parcelle cadastrée 564 de la section B relève du périmètre de protection rapprochée du captage Chapuis. L'annexe I du même arrêté, qui définit les prescriptions applicables pour chaque périmètre, prévoit notamment, s'agissant du périmètre de protection rapprochée en litige, que : " A l'intérieur du périmètre de protection rapprochée sont interdits : / 1. Toute nouvelle construction, superficielle ou souterraine, ainsi que l'extension et le changement de destination des bâtiments existants (...) ".

9. Il est constant qu'à la date d'entrée en vigueur de la déclaration d'utilité publique, après sa publication régulière en 2015, la parcelle où se trouve la maison de M. A... et Mme B... et qui se situe dans le périmètre de protection rapprochée du captage, comprenait une maison affectée à un usage d'habitation. Le développement dans cette maison, à compter de 2020, d'une activité de commerce de restauration, qui ne peut sérieusement être regardée comme constituant un simple accessoire des parties laissées à usage d'habitation, constitue un changement d'affectation prohibé par la déclaration d'utilité publique. Dès lors, en rappelant aux intéressés que cette nouvelle affectation des locaux était irrégulière et en les mettant en demeure d'y mettre fin, dans l'intérêt de la protection du captage, Grenoble Alpes Métropole, en charge du captage, n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

10. Il résulte de ce qui précède que M. A... et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs conclusions indemnitaires.

Sur les frais de l'instance :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2108122 du 4 avril 2024 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires de M. A... tendant à la réparation des préjudices liés à l'instauration de la servitude de protection rapprochée du captage.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires de M. A... tendant à la réparation des préjudices liés à l'instauration de la servitude de protection rapprochée du captage sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et Mme C... B..., et à Grenoble Alpes Métropole.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

B. Berger

La République mande et ordonne à la préfète de l'Isère, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01599


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01599
Date de la décision : 15/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Fondement de la responsabilité. - Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : ANGOT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-15;24ly01599 ?
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