Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de Montbard à lui verser les sommes de 420 000 euros en réparation du préjudice qu'elle soutient avoir subi à la suite de son éviction irrégulière de la délégation de service public conclue pour la gestion et l'animation du centre aquatique Amphitrite, subsidiairement, de 10 000 euros en remboursement des frais exposés pour présenter son offre, outre intérêts de droit à compter du 16 septembre 2020, capitalisés.
Par jugement n° 2100026 du 14 décembre 2023, le tribunal n'a fait droit qu'à sa demande subsidiaire.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 14 février 2024, la société Vert Marine, représentée par Me Boyer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté la demande qu'elle a présentée à titre principal ;
2°) de porter la condamnation de la commune de Montbard à la somme de 420 000 euros, outre intérêts de droit à compter du 16 septembre 2020, capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Montbard la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune, qui devait s'assurer du respect par les candidats de la législation du travail, était tenue d'écarter l'offre du candidat retenu, la société S-Pass, qui ne respectait pas la convention collective applicable, à savoir la convention collective nationale du sport ;
- l'irrégularité relevée a eu une incidence sur le classement des offres, dès lors que l'application par le candidat retenu de la seule convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (dite convention collective ELAC), moins onéreuse et moins contraignante, a eu des conséquences sur l'offre présentée et sur son appréciation, si bien qu'elle n'aurait pas été évincée si cette offre n'avait pas été entachée d'une telle irrégularité ;
- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le contrat car son offre a également été examinée par le jury et que, contrairement à celles des autres sociétés candidates, sa propre offre respectait la convention collective nationale du sport ;
- il n'est pas démontré par la collectivité qu'elle ait envisagé de déclarer la procédure infructueuse ;
- elle justifie de son préjudice par la production du compte d'exploitation prévisionnel remis à l'appui de son offre et par une attestation de son commissaire aux comptes.
La commune de Montbard, à laquelle la requête a été communiquée, n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard,
- les conclusions de Mme A...,
- et les observations de Me Cheramy pour la société Vert Marine.
Considérant ce qui suit :
1. Par avis publié le 30 mai 2018 et le 13 juin 2018, la commune de Montbard a engagé une procédure de consultation pour l'attribution de la délégation de service public afférente à l'exploitation du centre aquatique Amphitrite. Quatre candidates, dont la société S-Pass et la société Vert Marine, ont été admises à présenter une offre. A l'issue de cette procédure, la société S-Pass a été déclarée attributaire de la délégation. La société Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de Montbard à lui verser une somme de 420 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction, ou, à titre subsidiaire, la somme de 10 000 euros en remboursement des frais exposés pour présenter son offre, outre intérêts de droit à compter du 16 septembre 2020, capitalisés. Par jugement du 14 décembre 2023, le tribunal n'a fait droit qu'à sa demande présentée à titre subsidiaire. La société Vert Marine relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande principale.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. A l'appui de son recours, la société Vert Marine soutient que, dès lors que l'offre de la société S-Pass, attributaire de la délégation, de même que les offres des deux autres sociétés candidates, les sociétés Equalia et Prestalis, étaient irrégulières pour avoir fait application de la convention nationale collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, seule sa propre offre était régulière. Elle fait valoir que son offre n'ayant pas été regardée comme inacceptable, aucun motif d'intérêt général ne pouvait permettre à la commune de Montbard de renoncer à conclure avec elle, et qu'ayant ainsi été privée d'une chance sérieuse de conclure le contrat, elle doit être indemnisée de la privation des bénéfices qu'elle escomptait retirer de l'exploitation du centre aquatique, qu'elle évalue à 420 000 euros.
3. Aux termes du I de l'article 1er de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors applicable : " Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ".
4. Tandis qu'aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Les stipulations d'une convention de branche (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention (...), par arrêté du ministre chargé du travail (...) ".
5. Il résulte des dispositions du code du travail citées au point précédent que les stipulations d'une convention de branche rendues obligatoires par arrêté ministériel s'imposent aux candidats à l'octroi d'une délégation de service public lorsqu'ils entrent dans le champ d'application de cette convention. Par suite, une offre finale mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par l'autorité concédante et doit être écartée comme irrégulière par celle-ci.
6. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
7. D'autre part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité et si les chances sérieuses de l'entreprise d'emporter le contrat sont établies, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation. Il lui incombe aussi d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.
8. Si l'offre de la société attributaire, de même que celle de la société Equalia, étaient irrégulières pour faire application de la convention nationale collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, il ne résulte pas de l'instruction que la société Prestalis, classée en troisième position, aurait fait mention de cette convention dans son offre ou au cours des négociations. A cet égard, la société Vert Marine fait valoir que la société Prestalis s'est référée à la convention nationale collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels dans les rapports d'activité relatifs à la gestion des équipements qu'elle exploite dans d'autres communes. Toutefois, ces circonstances, étrangères à la mise en concurrence litigieuse, ne permettaient pas à la collectivité délégataire de déduire que la société Prestalis ferait application de cette convention au personnel affecté à l'exploitation du centre aquatique Amphitrite. De même, la seule comparaison des frais de personnel retracés dans les différentes offres ne permet pas de déterminer la nature de la convention collective que les candidates auraient entendu appliquer, alors notamment que l'écart des charges de personnel en défaveur de l'offre de la société Vert Marine se justifie, au moins pour partie, par le transfert de charges résultant de l'externalisation, par ses trois concurrentes, de la mission d'un agent technique dans un compte dédié à la sous-traitance et à la maintenance. Enfin, le seul document intitulé" comparatif CCN Sport / CCN ELAC " produit par la société Vert Marine, qui est fondé sur des éléments généraux et ne détient par lui-même aucun caractère probant, ne saurait suffire à déterminer la nature de la convention collective que la société Prestalis a entendu appliquer à son personnel. Dans ces conditions, la commune de Montbard, au vu des pièces, exigées par le règlement de consultation, qui lui ont été soumises, comme de l'ensemble des éléments portés à sa connaissance, n'était pas fondée à écarter l'offre de la société Prestalis comme irrégulière. Il s'ensuit que l'offre de la société Prestalis, classée en troisième position, n'étant pas irrégulière, la société Vert Marine, dont l'offre avait été classée en quatrième position, n'a pas été privée d'une chance sérieuse de conclure le contrat.
9. Il résulte de ce qui précède que la société Vert Marine n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a limité la condamnation mise à la charge de la commune de Montbard à la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2020 et de leur capitalisation, en indemnisation des frais qu'elle a exposés pour présenter son offre. Les conclusions de sa requête tendant à ce que la condamnation de la commune de Montbard soit portée à 420 000 euros doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Montbard, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Vert Marine.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Vert Marine est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vert Marine et à la commune de Montbard.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00391