Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
1°) Sous le n° 2400521, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 24 mai 2024 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination.
2°) Sous le n° 2405937, Mme A... B... a demandé au même tribunal d'annuler les décisions du 18 juin 2024 par lesquelles la préfète du Rhône a mis fin au délai de départ volontaire de trente jours qui lui avait été accordé et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2400521-2405937 du 26 juin 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon, après avoir renvoyé les conclusions relatives au refus de séjour à une formation collégiale, a annulé les décisions restant en litige et a enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la situation C... B... dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 juillet 2024, la préfète du Rhône, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2400521-2405937 du 26 juin 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter les conclusions C... B....
La préfète du Rhône soutient que :
- c'est à tort que la magistrate désignée a jugé que la décision d'éloignement méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ses décisions ne sont pas entachées d'incompétence et sont régulièrement motivées ;
- elles ne méconnaissent pas l'article 6, 5° de l'accord franco-algérien ;
- l'abrogation du délai de départ volontaire se justifie par l'absence de toute démarche pour organiser le départ ;
- l'abrogation du délai de départ volontaire permettait de prendre une mesure d'assignation à résidence, justifiée par un risque de soustraction à l'éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2024, Mme A... B..., représentée par la SELARL BS2A Bescou et Sabatier avocats associés, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B... soutient que :
- c'est à juste titre que la magistrate désignée a jugé que la décision d'éloignement méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- au surplus, l'obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour, qui méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 6, 5° de l'accord franco-algérien, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; elle méconnaît elle-même l'article 8 précité ;
- la fixation initiale du délai de départ volontaire et la fixation du pays de renvoi sont illégales en conséquence de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'abrogation du délai de départ volontaire n'est pas motivée ; elle méconnaît l'article L. 612-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'assignation à résidence est dépourvue de base légale dès lors que les articles L. 730-1 et L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient pas le cas de l'abrogation d'un délai de départ volontaire et qu'en cas d'annulation de la décision abrogeant le délai de départ volontaire, l'absence d'expiration de ce délai ne permettrait pas une assignation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, modifiée, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Stillmunkes, président assesseur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante algérienne née le 3 novembre 1974, a demandé au tribunal administratif de Lyon l'annulation, d'une part, des décisions du 24 mai 2024 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination et, d'autre part, des décisions du 18 juin 2024 par lesquelles la préfète du Rhône a mis fin au délai de départ volontaire de trente jours qui lui avait été accordé et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par le jugement attaqué du 26 juin 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal, après avoir renvoyé les conclusions relatives au refus de séjour à une formation collégiale, a annulé l'ensemble des autres décisions restant en litige et a enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la situation C... B... dans un délai de deux mois.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est née en Algérie le 3 novembre 1974. Elle y a épousé un compatriote le 26 octobre 1999 et le couple a eu trois enfants, deux filles nées respectivement le 3 juillet 2000 et le 16 octobre 2005 et un garçon né le 16 octobre 2005. Le couple a divorcé le 2 décembre 2006. Mme B... est entrée en France avec ses enfants le 26 décembre 2014 sous couvert d'un visa de court séjour. Sa demande d'asile a été rejetée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 11 avril 2016. Elle a sollicité le séjour en faisant valoir l'état de santé de sa fille la plus jeune et, par avis du 27 avril 2017, le médecin de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes a estimé que l'état de santé de l'enfant nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'aucun traitement approprié n'était disponible en Algérie. La préfète indique que, compte tenu de ces éléments médicaux, Mme B... a été régulièrement autorisée à se maintenir sur le territoire français sous couvert de récépissés valant autorisations provisoires de séjour. Il n'est pas contesté que Mme B... réside en France habituellement depuis plus de neuf ans à la date de la décision et elle y réside au demeurant habituellement depuis plus de dix ans à la date du présent arrêt. Si sa situation matérielle est précaire, il ressort de l'attestation produite par le préfet en défense en première instance qu'elle est hébergée avec ses enfants au même endroit depuis janvier 2017 et il ressort des pièces qu'elle produit qu'elle est investie dans le secteur associatif. Ses enfants, entrés aux âges respectifs de 14 ans pour l'aînée et de 9 ans pour les deux cadets, ont été scolarisés en France depuis leur entrée. A la date de la décision, l'aînée était inscrite en licence de langues étrangères appliquées à l'université Lyon 2. Si, par une décision du même jour, la préfète du Rhône a refusé à cette jeune fille la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiante au motif d'une absence de progression suffisante dans ses études universitaires, il ressort des pièces du dossier qu'elle a réalisé sur plusieurs années un cursus secondaire en France où elle vit depuis l'âge de 14 ans. Il n'est pas contesté que les deux plus jeunes enfants C... Mme B..., dont sa fille ayant l'état de santé le plus fragile, sont en situation régulière sous couvert de certificats de résidence algériens de dix ans. Ces deux jeunes gens, entrés très jeunes en France et âgés de dix-huit ans à la date de la décision, poursuivent leurs études et étaient tous les deux en terminale, en préparation du baccalauréat. Les trois enfants C... B... demeurent à son domicile. Enfin, si les parents C... B... et plusieurs de ses frères et sœurs demeurent en Algérie, une de ses sœurs et un de ses frères qui a acquis la nationalité française demeurent en France. Eu égard à l'ensemble de ces éléments et en particulier à la durée du séjour en France C... B... et à la situation de ses enfants qui demeurent à sa charge, la préfète du Rhône, en décidant son éloignement, a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts que cette décision poursuit. C'est en conséquence à bon droit que, pour annuler cette décision, ainsi que, par voie de conséquence, les autres décisions en litige, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon s'est fondée sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions et lui a enjoint de réexaminer la situation C... B....
5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros que Mme B... demande.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la préfète du Rhône est rejetée.
Article 2 : La somme de 1 200 euros, à verser à Mme B..., est mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02182