Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 30 mars 2020 par laquelle le président de l'office foncier de la Corse a exercé le droit de préemption qu'il s'était vu déléguer par le préfet de la Haute-Corse sur la parcelle cadastrée section B no 2218 et une partie de celle cadastrée section B n° 2219 (205 m² à détacher), situées sur le territoire de la commune de Biguglia, ensemble la décision du 23 juillet 2020 portant rejet de leur recours gracieux, et de mettre à la charge de cet office la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2001021 du 21 décembre 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande et mis à leur charge la somme de 1 500 euros à verser à l'office foncier de la Corse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 février 2022, MM. A... et B..., représentés par Me Albertini, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 21 décembre 2021 ;
2°) d'annuler ces deux décisions des 30 mars et 23 juillet 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'office foncier de la Corse la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision de préemption contestée est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme et elle est, à ce titre, entachée d'une erreur de droit ;
- cette décision a été prise tardivement, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code de l'urbanisme et il n'est pas démontré qu'elle ait été notifiée au notaire mandataire du propriétaire ;
- compte tenu de l'absence de convention conclue avec le préfet de la Haute-Corse, qui vicie la procédure, cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions des articles L. 210-1 du code de l'urbanisme, L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, et L. 4424-26-2 du code général des collectivités territoriales ; elle est, à ce titre, entachée d'une erreur de droit ;
- cette décision est entachée d'une disproportion au regard de l'intérêt poursuivi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2022, l'office foncier de la Corse, représenté par Me Finalteri, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens au titre de l'article R. 761-1 du même code soient mis à la charge de MM. A... et B....
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 26 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. En situation de carence depuis l'année 2014, la commune de Biguglia doit atteindre le taux de 25 % de logements locatifs sociaux par rapport aux résidences principales à l'horizon 2025, en application de l'article 55 de la loi susvisée du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Or, en 2020, ce taux n'était que de 3,25 %. En conséquence, en application des dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, le préfet de la Haute-Corse a encore, par un arrêté du 8 décembre 2017, prononcé la carence de la commune de Biguglia. Il est ainsi devenu, en application de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, compétent pour exercer le droit de préemption urbain, qu'il a délégué à l'office foncier de Corse, par un arrêté du 2 mars 2020, en vue de l'acquisition et du portage de la parcelle cadastré section B n° 2218 et d'une partie de celle cadastrée section B n° 2219 (205 m² à détacher), situées au lieu-dit D..., sur le territoire de la commune de Biguglia, afin de concourir à la réalisation d'opérations d'aménagement ou de construction permettant d'atteindre les objectifs de réalisation de logements sociaux qui incombent aux communes soumises aux obligations de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation. Le 30 mars 2020, le président de l'office foncier de la Corse a décidé d'exercer ce droit de préemption ainsi délégué. MM. A... et B..., acquéreurs évincés, relèvent appel du jugement du 21 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande tendant principalement à l'annulation de cette décision du 30 mars 2020 et de la décision du 23 juillet 2020 portant rejet de leur recours gracieux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, l'article L. 211-5 du code de l'urbanisme dispose que : " Tout propriétaire d'un bien soumis au droit de préemption peut proposer au titulaire de ce droit l'acquisition de ce bien, en indiquant le prix qu'il en demande. Le titulaire doit se prononcer dans un délai de deux mois à compter de ladite proposition (...) ". L'article L. 213-2 du même code précise que : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. (...) ".
3. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 7 de leur jugement attaqué, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 211-5 du code de l'urbanisme et de ce qu'il ne serait pas démontré que la décision contestée de préemption a été notifiée au notaire mandataire du propriétaire que les appelants se bornent à reproduire en cause d'appel, sans les assortir d'éléments nouveaux.
4. En deuxième lieu, la conclusion, conformément aux dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, d'une convention entre le préfet et l'office foncier de la Corse mentionné à l'article L. 4424-26-1 du code général des collectivités territoriales, n'est pas un préalable nécessaire à la délégation par ledit préfet de l'exercice du droit de préemption à cet office, dans le cadre d'un arrêté de carence. Il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que, par une délibération du 25 mars 2020, le conseil d'administration de l'office foncier de la Corse a approuvé l'acquisition et le portage, pour une durée de deux ans, de la parcelle cadastrée section B n° 2218 et d'une partie de celle cadastrée section B n° 2219, y compris par voie de préemption, " dans les conditions prévues par le projet de convention de portage annexée à la présente délibération " et qu'après avoir chargé le président de cet office de mettre en œuvre la décision de préemption, ledit conseil d'administration l'a autorisé à signer, avec le directeur général et le préfet de la Haute-Corse, la convention de portage dont l'intimé verse un extrait aux débats, étant encore précisé que, d'après le dernier alinéa de l'article 3-1 du règlement d'intervention de l'office foncier de la Corse, la signature d'une telle convention intervient après avis favorable du conseil d'administration et avant la signature de l'acte authentique d'acquisition. Par suite, les appelants ne sont pas fondés à soutenir qu'à défaut de convention, la décision contestée du 30 mars 2020 aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles L. 210-1 du code de l'urbanisme, L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, et L. 4424-26-2 du code général des collectivités territoriales, et qu'elle serait entachée d'un vice de procédure ainsi que d'une erreur de droit. L'ensemble de ces moyens doit être écarté.
5. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les droits de préemption (...) sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ".
6. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant (Conseil d'Etat, 30 juin 2023, n° 468543, B).
7. Pour exercer, par sa décision contestée du 30 mars 2020, le droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée section B n° 2218 et une partie de celle cadastrée section B n° 2219, le président de l'office foncier de la Corse, qui a notamment visé l'arrêté préfectoral du 8 décembre 2017 prononçant la carence de la commune de Biguglia au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, s'est fondé sur la circonstance que, compte tenu de leur implantation sur un emplacement " aussi stratégique ", à l'intérieur de la " tâche urbaine ", au bord du chemin de Petrelle, l'acquisition de ces tènements immobiliers restés à l'état naturel apparaissait comme un " outil majeur " de nature à concourir à la réalisation d'opérations d'aménagement ou de construction permettant d'atteindre les objectifs de réalisation de logements sociaux qui incombent aux communes soumises aux obligations de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, dont fait partie la commune de Biguglia. Une telle motivation, qui fait apparaître la nature du projet litigieux, est suffisante.
8. Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la mention, dans la fiche projet de l'office foncier de la Corse, d'une " densification urbaine " n'est pas en contradiction avec le projet tel que décrit au point précédent du présent arrêt.
9. Ainsi qu'il a été déjà rappelé, le 2 mars 2020 le représentant de l'Etat a délégué le droit de préemption à l'office foncier de la Corse dont le conseil d'administration a, par une délibération du 25 mars 2020, approuvé l'acquisition et le portage pour une durée de deux ans des parcelles en cause, dans les conditions prévues par le projet de convention de portage, et a autorisé le président et le directeur général de l'établissement public à signer cette convention avec le préfet de la Haute-Corse. Cette convention rappelle notamment, après une analyse de son assiette foncière, que le projet litigieux doit permettre à la commune de Biguglia de contribuer, par la construction d'une quarantaine de logements, au rattrapage du retard dans l'atteinte de ses objectifs en matière de logements sociaux. Elle précise la nature du projet, soit une opération de logements locatifs sociaux et sa typologie avec des logements financés par le prêt locatif à usage social (PLUS), d'autres, au moins 40 %, par le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), avec une part de logements de type T2. Elle fait également état que trois bailleurs sociaux ont manifesté leur intérêt pour ce projet et qu'ils ont même participé à une visite du terrain le 17 février 2020. Y figurent également des éléments relatifs au coût du projet et à son financement avec la mention d'une programmation de l'opération sur le fonds national des aides à la pierre (FNAP) en 2021 et il y est indiqué que les services de l'Etat souhaitent que l'office foncier de la Corse rétrocède, à la fin de la durée de portage, prévu pour deux ans, directement à l'opérateur social désigné. Ainsi, l'office foncier de la Corse justifie de la réalité de ce projet, dont les caractéristiques précises n'avaient pas à être définies, à la date d'édiction de la décision contestée de préemption et qui, ayant pour objet la mise en œuvre d'une politique locale de l'habitat, répond à ce titre aux objets définis à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
10. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que, d'une superficie estimée de 8 200 m², les deux parcelles en cause, acquises au prix de 790 000 euros, soit 10 % au-dessus de la valeur vénale fixée par France Domaine, sont demeurées à l'état naturel et elles dessinent une dent creuse au sein d'une zone pavillonnaire. Il n'est pas contesté que, bordant le chemin de Petrelle, elles se situent à proximité d'une école primaire, des services administratifs de la mairie, de La Poste, d'une gare et de petits commerces, et sont équipées de réseaux. Eu égard à la circonstance que, ainsi qu'il vient d'être rappelé au point précédent du présent arrêt, le projet de convention de portage prévoit une rétrocession par l'office foncier de la Corse à la fin de la durée de portage, prévu pour deux ans, à l'opérateur social désigné par l'Etat et donc un rachat par ce dernier, mais aussi à l'ampleur, à la consistance et à la finalité du projet litigieux ainsi qu'aux caractéristiques desdites parcelles, un tel projet présente un intérêt général suffisant et n'est pas entaché de disproportion.
11. Il suit de là que tous les moyens invoqués par MM. A... et B... tirés de ce que la décision contestée de préemption du 30 mars 2020 serait entachée d'illégalités au regard des dispositions précitées de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme doivent être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que MM. A... et B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 21 décembre 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande.
Sur les dépens :
13. La présente instance n'a pas donné lieu à dépens au sens des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de l'office foncier de Corse présentées sur ce fondement ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'office foncier de Corse, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par les appelants et non compris dans les dépens.
16. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de MM. A... et B... une somme de 2 000 euros à verser à l'office foncier de la Corse.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de MM. A... et B... est rejetée.
Article 2 : MM. A... et B... verseront solidairement à l'office foncier de la Corse une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'office foncier de la Corse au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., à M. C... B... et à l'office foncier de la Corse.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse et à la commune de Biguglia.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
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No 22MA00664
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