Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 20 septembre 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé son entrée sur le territoire français au titre de l'asile et a décidé son réacheminement vers l'Algérie ou tout autre pays où elle est légalement admissible.
Par un jugement n° 2308878 du 26 septembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille l'a admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2023, sous le n° 23MA02360,
Mme B... alias C..., représentée par Me Febbraro, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif du
26 septembre 2023 ;
3°) de désigner un interprète en dialecte bambara, pour l'assister au cours de l'audience ;
4°) d'enjoindre à l'administration de communiquer au conseil de la requérante l'enregistrement sonore de son entretien en visioconférence avec l'agent de protection de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 20 septembre 2023 ;
5°) d'annuler les décisions du ministre de l'intérieur et de l'outre-mer du
20 septembre 2023 ;
6°) de mettre fin à son maintien en zone d'attente ;
7°) d'enjoindre au ministre de lui délivrer un visa de court séjour ;
8°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice du conseil de la requérante qui, dans cette hypothèse, renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle, une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les mesures en litige ont été signées d'une autorité pour laquelle il n'est pas justifié d'une délégation de signature publiée ;
- le refus de l'admettre à entrer sur le territoire français est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de ses craintes d'être exposée à un mariage forcé en cas de retour dans son pays d'origine, dont elle a fait part avec précision à l'officier de protection et dont elle justifie par une attestation d'un membre de sa famille.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par Me Moreau de la scp Saidji et Moreau, conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
II - Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2023, sous le n° 23MA02464,
Mme B..., représentée alias C..., représentée par Me Febbraro, demande à la Cour, sur le fondement des dispositions des articles R. 811-14 et R. 811-17 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du jugement n° 2308878 du magistrat désigné du tribunal administratif du 26 septembre 2023 ;
2°) d'enjoindre à l'administration de lui communiquer l'enregistrement sonore de son entretien avec l'agent de l'OFPRA du 20 septembre 2023 ;
3°) en cas d'annulation de la décision en litige, d'enjoindre au ministre de lui délivrer un visa de court séjour.
Elle soutient que :
- les mesures en litige ont été signées d'une autorité pour laquelle il n'est pas justifié d'une délégation de signature publiée ;
- le refus de l'admettre à entrer sur le territoire français est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de ses craintes d'être exposée à un mariage forcé en cas de retour dans son pays d'origine, dont elle a fait part avec précision à l'officier de protection et dont elle justifie par une attestation d'un membre de sa famille ;
- l'exécution de la décision de première instance entraînerait pour elle des conséquences irréparables, soit en la plaçant en errance en Algérie, qui n'est pas son pays d'origine, soit en l'exposant au risque d'un mariage forcé dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par Me Moreau de la scp Saidji et Moreau, conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les observations de Me Febbraro, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité malienne, est entrée en France le 15 septembre 2023 et a demandé l'asile le 16 septembre 2023. Par décisions du 20 septembre 2023, prise après entretien de l'intéressée par visioconférence avec un officier de protection de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et avis défavorable de l'office, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé son entrée sur le territoire français au titre de l'asile et a décidé son réacheminement vers l'Algérie ou tout autre pays où elle est légalement admissible. Par un jugement du 26 septembre 2023, dont Mme B... relève appel par sa requête
n° 23MA02460 et dont elle demande le sursis à exécution par sa requête n° 23MA02464, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille l'a admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. Les requêtes n° 23MA02460 et n° 23MA02464 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur l'admission de Mme B... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président.(...) / L'aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d'aide juridictionnelle établit l'insuffisance des ressources ".
4. Eu égard à l'urgence qui s'attache à ce qu'il soit statué sur la requête de
Mme B..., il y a lieu, ainsi d'ailleurs qu'elle le demande, de prononcer l'admission provisoire de l'intéressée au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Premièrement, il y a lieu d'écarter le moyen, formulé en appel par Mme B... dans les mêmes termes qu'en première instance, tiré de l'incompétence du signataire des décisions en litige, par adoption du motif retenu par le premier juge à bon droit et avec suffisamment de précision au point 6 de son jugement.
6. Deuxièmement, aux termes de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise que dans les cas suivants : (...) 3° La demande d'asile est manifestement infondée. Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves ". L'article L. 352-2 du même code précise que : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au titre III du livre V. L'office tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile. (...) / Sauf si l'accès de l'étranger au territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public, l'avis de l'office, s'il est favorable à l'entrée en France de l'intéressé au titre de l'asile, lie le ministre chargé de l'immigration.".
7. Pour rejeter la demande de Mme B... d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et ordonner son réacheminement vers l'Algérie ou tout autre pays où elle serait légalement admissible, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a considéré, sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point précédent, que sa demande d'asile était manifestement infondée.
8. Mme B... invoque, à l'appui de sa demande d'asile, le risque d'être soumise par son oncle paternel à un mariage forcé avec un homme âgé en cas de retour au Mali, dans le village de Guri, situé dans la région du Kayes. L'intéressée produit à cet effet, outre ses documents d'identité et de voyage, la documentation générale sur la pratique des mariages forcés et précoces au Mali, un témoignage collectif du 23 septembre 2023 et le témoignage de son cousin établi le 26 septembre 2023.
9. Néanmoins, et d'une part, le rapprochement des déclarations de Mme B... devant l'officier de protection et du témoignage de son cousin, fait apparaître des contradictions quant au lieu de vie de l'intéressée qui a affirmé avoir toujours vécu à Bamako où elle est née, et vivre seule avec sa mère depuis le décès de son père en 2019, cependant que son cousin indique que du fait des pressions exercées sur elle par son oncle pour se marier, elle a quitté son " village natal " de " Guri " pour échapper à ses poursuivants à Bamako. La comparaison de ces mêmes documents montre également que Mme B... n'a pas évoqué d'autres pressions que celles émanant de son oncle par téléphone, alors que son cousin fait état d'agissements de sa famille et de celle de l'homme que son oncle entendrait la forcer à épouser.
10. D'autre part, Mme B... n'a fourni, ni lors de son entretien ni devant le tribunal ou la Cour, d'indications précises quant aux raisons pour lesquelles son oncle entendrait depuis un an la contraindre au mariage à un homme âgé de soixante-huit ans, alors que, selon ses dires, ses propres parents se sont unis librement et que son père est décédé depuis plus de
trois ans.
11. Enfin, si Mme B... affirme, lors de son entretien, ne pas avoir pu disposer de la protection des autorités maliennes, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que sa vie dans la capitale malienne, dont son cousin est l'un des conseillers communaux, l'exposait plus particulièrement aux agissements de son oncle. L'explication livrée par l'intéressée sur la circonstance que, le mariage lui ayant été annoncé il y a environ une année, cette annonce n'ait toujours pas été suivie d'effet, selon laquelle sa mère n'était pas encore prête, s'avère par
elle-même dépourvue de toute crédibilité. Le témoignage de son cousin aux termes duquel tant la famille de la requérante que celle de l'homme à qui elle serait promise ont bénéficié de l'aide des autorités pour la priver de sa liberté n'est pas corroboré par les déclarations de l'intéressée qui se borne à faire état des menaces téléphoniques de son oncle, vivant dans le nord-ouest du pays, et à ajouter, à la fin de son entretien, être soumise par lui à des violences.
12. Ainsi, compte tenu des contradictions, imprécisions et incohérences affectant les éléments de la demande de Mme B..., et alors que les sources d'information publiquement disponibles montrent que le taux de prévalence du mariage forcé au Mali est nettement inférieur dans la capitale que dans les autres régions du pays, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en considérant que la demande d'asile de l'intéressée est manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves, et en décidant pour ce motif de refuser son entrée sur le territoire français au titre de l'asile.
13. Il résulte de ce qui précède que, Mme B... n'articulant aucun moyen contre la décision ordonnant son réacheminement vers l'Algérie ou tout autre pays où elle serait légalement admissible, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande contre les décisions du 20 septembre 2023. Sa requête d'appel n° 23MA02460 doit donc être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans qu'il soit besoin d'ordonner la production de l'enregistrement sonore de l'entretien de l'intéressée devant l'OFPRA.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
14. Le présent arrêt se prononçant sur l'appel de Mme B..., les conclusions de celles-ci présentées dans sa requête n° 23MA02464 tendant au sursis à exécution du jugement du 26 septembre 2023 sont devenues sans objet. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par l'intéressée dans cette même requête.
DECIDE :
Article 1er : Mme B... est admise au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme B... présentées dans sa requête n° 23MA02464 et tendant à la suspension d'exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 septembre 2023.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 23MA02464 et la requête n° 23MA02460 sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... alias C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.
N° 23MA02460. 23MA024642