Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office, d'autre part, d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2303011 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2023, Mme A..., représentée par Me Vincensini, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de l'autoriser provisoirement au séjour sous un délai de 5 jours, puis de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sous un délai d'un mois ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de droit au séjour est insuffisamment motivée, particulièrement au regard de la situation de sa fille ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, tout comme la décision portant obligation de quitter le territoire français, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle réside habituellement en France depuis le 22 novembre 2016, aux côtés de sa fille âgée de 14 ans à leur arrivée, qui y poursuit sa scolarité et dont la juridiction vient d'admettre le droit au séjour ; elle est séparée de son époux ; elle a tissé de nombreux liens sociaux sur le territoire et effectué de nombreux efforts d'insertion, notamment par l'apprentissage de la langue ; les liens qu'elle conserve dans son pays d'origine ne sont pas intenses ;
- pour les mêmes raisons, la décision portant refus de droit au séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que, tout comme la décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une telle erreur quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité dont est entachée la décision portant refus de droit au séjour ; elle ne pouvait être prise alors qu'elle avait droit au séjour.
La procédure a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit d'observations.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Poullain a été entendu en audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante albanaise, née en 1973, relève appel du jugement du 13 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 22 novembre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France à la fin de l'année 2016, âgée de 43 ans, accompagnée de son époux dont elle s'est rapidement séparée, et de sa fille, alors âgée de 14 ans. Si ses deux demandes d'asile ont été rejetées, elle s'est maintenue sur le territoire en étant hébergée, avec sa fille, par l'association Réseau Hospitalité puis par un ami mettant à leur disposition un appartement. L'intéressée justifie s'être largement investie auprès de sa paroisse, en participant à des pèlerinages, et en rendant différents services à titre bénévole. Elle produit de nombreuses attestations de soutien de paroissiens, dont certains sont devenus ses amis. Elle s'est par ailleurs engagée avec succès dans l'apprentissage du français. Sa fille, qui a poursuivi sa scolarité de manière sérieuse, étudiait, à la date de la décision attaquée, en classe passerelle BTS Services, et avait vocation à poursuivre ses études en France, avec le soutien de toute la communauté éducative. Par un arrêt du 16 octobre 2023, postérieur à la décision attaquée, la Cour de céans a d'ailleurs annulé le refus de droit au séjour qui lui avait été opposé. Dans ces circonstances particulières, eu égard au lien très étroit qui unit Mme A... à sa fille, et alors que le fils aîné de la requérante réside en Grèce, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en refusant de lui délivrer un titre de séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être accueilli.
4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 novembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
6. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté du 22 novembre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône implique nécessairement, sauf changement dans les circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, qu'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " soit délivré à Mme A.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer ce titre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la placer, dans cette attente, sous autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat, Me Vincensini, peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Vincensini de la somme de 1 500 euros à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du 22 novembre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de la placer, dans cette attente, sous autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Vincensini la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Vannina Vincensini.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mai 2024.
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N° 23MA02650
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