Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 20 septembre 2022 par lequel le préfet du Jura a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2201560 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ce recours.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 décembre 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 24 février 2023, M. C... D... B..., représenté par Me Champy, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 1er décembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 20 septembre 2022 par laquelle le préfet du Jura, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet du Jura, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- son droit à être entendu a été méconnu ;
- le préfet du Jura a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que le principe du contradictoire n'a pas été respecté ;
-elle est insuffisamment motivée ;
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité affectant l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
s'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité affectant l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2023, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 6 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D... B..., ressortissant pakistanais né le 8 décembre 1970, est entré en France selon ses dires le 6 décembre 2015. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté le 10 octobre 2016 sa demande d'admission au statut de réfugié. Le 20 juillet 2017 la Cour nationale du droit d'asile a confirmé la décision de l'OFPRA. M. B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le 27 juin 2022. Par un arrêté du 20 septembre 2022, le préfet du Jura a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant un an. M. B... relève appel du jugement du 1er décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 septembre 2022.
Sur les moyens communs :
2. En premier lieu, M. Justin Babillotte, secrétaire général de la préfecture du Jura, a reçu, par arrêté préfectoral du 23 août 2022, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat dans le Jura, délégation de signature aux fins de prendre les mesures de la nature de celles contenues dans l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte litigieux doit être écarté.
3. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui s'est substitué à l'article L. 513-2 du même code dont se prévaut M. B... : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
4. M. B..., dont la demande d'admission au statut de réfugié a d'ailleurs été rejetée par une décision du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, en date du 10 octobre 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 20 juillet 2017, soutient risquer d'être exposé à des traitements prohibés par les stipulations précisés en cas de retour au Pakistan. Toutefois il ne produit à l'appui de ses allégations aucune précision ni aucun justificatif, susceptible d'établir qu'il court personnellement des risques en cas de retour dans son pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'appelant, l'arrêté contesté, qui comporte l'exposé des faits et des considérations de droit sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé. Le préfet du Jura, qui a mentionné dans son arrêté que l'appelant ne produit pas d'éléments justifiant de considérations humanitaires particulières, qu'il n'a pas d'attaches familiales et personnelles en France, que son épouse et ses enfants vivent au Pakistan, a procédé à un examen complet de la situation personnelle de M. B....
6. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
7. En l'espèce, l'obligation de quitter le territoire a été prise sur le fondement des dispositions du 2°, 3° et 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le rejet d'une demande de titre de séjour de l'intéressé, de sorte que l'administration n'avait pas à le mettre à même de présenter spécifiquement des observations sur cette mesure. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait été privé de la possibilité de présenter des éléments pertinents susceptibles d'influer sur le contenu de la décision en litige. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'alinéa premier de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".
9. M. B... soutient qu'il est présent en France de manière continue depuis sept ans au jour de la décision attaquée, qu'il a travaillé treize mois sur les deux années précédant cette décision au moyen de contrats à durée déterminée puis à durée indéterminée depuis 2021, qu'il justifie à ce titre d'expérience et de compétences dans le domaine de la restauration et, enfin, que le centre de ses intérêts privés se situe en France. Toutefois, la durée du séjour de M. B... sur le territoire français trouve essentiellement son origine dans son refus d'exécuter les décisions d'éloignement prises à son encontre. L'intéressé ne produit aucun élément de nature à démontrer une intégration particulière sur le territoire français. Il ressort au contraire des pièces du dossier qu'il est célibataire, sans charge de famille en France, mais également père d'enfants nés au Pakistan et dont il n'est pas démontré qu'ils ne résideraient plus dans leur pays d'origine. Dans ces conditions, M. B... ne peut pas être regardé comme justifiant de circonstances humanitaires ou d'un motif exceptionnel d'admission au séjour au sens des dispositions précitées de l'article L. 435-1 précité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
10. En premier lieu, le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit être écarté dès lors que la décision contestée fait suite à une demande de M. B....
11. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de destination est suffisamment motivée en fait par l'indication que l'intéressé est de nationalité pakistanaise, qu'il pourra être reconduit d'office à la frontière du pays dont il a la nationalité ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible, et qu'il n'établit pas que sa vie ou sa liberté est menacée ou qu'il est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le cadre de l'exécution de la décision. Dès lors, le moyen tiré d'une insuffisante motivation doit être écarté.
12. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, la décision fixant le pays de destination n'a pas été prise sur le fondement d'une décision faisant obligation de quitter le territoire français illégale. Le moyen tiré d'une telle exception d'illégalité ne peut, dès lors, qu'être écarté.
13. En quatrième et dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est dépourvu de toute précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
14. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'a pas été prise sur le fondement d'une décision faisant obligation de quitter le territoire français illégale. Le moyen tiré d'une telle exception d'illégalité ne peut, dès lors, qu'être écarté.
15. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France des intéressés.
16. Si M. B... soutient que la présence de sa famille en France constitue une circonstance humanitaire au sens de l'article L. 612-6 précité, il n'établit ni que ses enfants et son épouse seraient effectivement en France ni de surcroît qu'ils y résideraient régulièrement.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence les conclusions présentées par M. B... à fin d'injonction et celles au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Jura.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC03229