Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2201511 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ce recours.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mars 2023, M. B... C..., représenté par Me Burkatzki, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 mai 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour prévue par l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
s'agissant de la régularité du jugement :
- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur jugement en ne prenant pas en compte les éléments qu'il a transmis dans son mémoire enregistré le 13 avril 2022 ;
- le mémoire complémentaire enregistré le 13 avril 2022 n'a pas été visé.
s'agissant de la légalité de l'arrêté du 9 décembre 2021 :
- il est entaché d'incompétence ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas été consulté préalablement à l'édiction de la décision ;
- la préfète du Bas-Rhin n'établit pas, si le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a effectivement été consulté, que le médecin rapporteur n'ait pas siégé au sein du collège ou que le collège ait été régulièrement composé ;
- la préfète du Bas-Rhin n'établit pas que les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la cour nationale du droit d'asile lui aient été régulièrement notifiées ;
- il méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New-York le 30 mars 2007 ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Un mémoire complémentaire présenté le 17 juillet 2023 pour M. C... a été reçu et non communiqué.
Par une ordonnance du 13 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juillet 2023.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 6 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant arménien né le 11 juillet 1962, est entré en France selon ses dires le 21 juin 2019. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté le 28 février 2020 sa demande d'admission au statut de réfugié. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le 16 septembre 2019. Par un arrêté du 9 décembre 2021, la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C... relève appel du jugement du 12 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 décembre 2021.
Sur la légalité de l'arrêté du 9 décembre 2021 :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / [...] ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Dans son avis du 10 mai 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration précise que l'état de santé de M. C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'il pouvait, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays d'origine, y bénéficier effectivement d'un traitement adapté et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, il pouvait voyager sans risque.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... souffre d'une insuffisance rénale terminale sur néphroangiosclérose, dyalisée depuis juin 2019 à raison de trois fois par semaine, désormais stabilisée. L'appelant soutient, en se fondant notamment sur le certificat médical confidentiel adressé par le Dr A... à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que son traitement rend nécessaire la prise des huit médicaments suivants : Renvela 800 mg, Amlodipine 10 mg, Furosémide 500 mg, Speciafoldine 5 mg, Rocaltrol 0,25 µg, Zymad 80.000 IU, Aranesp 10 µg et Inhixa 40 mg. Le requérant produit également un certificat du Centre d'expertise des médicaments et des technologies médicales au nom de l'académicien Emil Gabrielyan, dont le statut s'apparente au vu des productions de M. C... à une autorité administrative indépendante, attestant que ne sont pas enregistrés en Arménie les médicaments susévoqués. A cet égard, ni dans ses écritures ni dans les pièces versées au dossier, la préfète du Bas-Rhin ne justifie qu'il existerait, pour M. C..., un traitement de substitution dans son pays d'origine ou que les principes actifs des médicaments cités dans l'attestation existeraient en Arménie sous une autre appellation commerciale. Dès lors, en l'absence de contestation de cette attestation, la préfète du Bas-Rhin a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. C....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
7. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire implique que M. C... soit immédiatement muni d'une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le présent arrêt, n'implique cependant pas, eu égard au motif d'annulation retenu, que la préfète du Bas-Rhin prenne une nouvelle décision dans un sens déterminé. Par suite, les conclusions de M. C... tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour doivent être rejetées. Il y a seulement lieu d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation administrative de M. C... et de prendre une nouvelle décision tenant compte des motifs du présent arrêt dans un délai de deux mois. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
8. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Burkatzki, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Burkatzki de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2201511 du 12 mai 2022 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 9 décembre 2021 de la préfète du Bas-Rhin est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin, d'une part, de délivrer immédiatement à M. C... une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'autre part, de réexaminer la situation administrative de M. C... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Burkatzki une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Burkatzki renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Sibileau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 23NC00690