Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 17 juillet 2020 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Strasbourg Grand Est a confirmé la décision de la commission de discipline de la maison centrale d'Ensisheim lui infligeant un avertissement.
Par un jugement n° 2005047 du 20 octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 octobre 2021 ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'incompétence du président de la commission de discipline de la maison centrale d'Ensisheim accueilli par le tribunal administratif pour annuler la sanction était inopérant dès lors que la décision prise sur recours préalable s'y est substituée ;
- le directeur adjoint des services pénitentiaires dispose d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
- le chef d'établissement était l'auteur de l'acte de poursuite ;
- la commission de discipline était régulièrement composée ;
- M. C... a eu accès aux pièces de son dossier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2022, M. C..., représenté par Me Ciaudo de la SCP Thémis avocats et associés, conclut au rejet de la requête et demande d'enjoindre au directeur de la maison centrale d'Ensisheim de lui restituer les biens illégalement saisis dans le cadre de la procédure disciplinaire, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la composition de la commission de discipline n'était pas conforme aux dispositions de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale en l'absence d'un second assesseur ;
- le président de la commission de discipline n'était pas habilité à siéger en l'absence de délégation de signature régulière ;
- il n'est pas établi que le premier assesseur ayant siégé dans la commission de discipline n'est pas la même personne que celle qui a rédigé le compte rendu d'incident à l'origine de la procédure ;
- les droits de la défense ont été méconnus dès lors qu'il n'est pas établi qu'il a pu consulter son dossier disciplinaire dans le respect des dispositions des articles R. 57-6-9 et R.57-6-16 du code de procédure pénale ;
- il n'a pas été en mesure de préparer sa défense dès lors que l'administration ne lui a pas laissé une copie de son dossier disciplinaire en méconnaissance des articles R. 57-7-16 et R. 57-7-17 du code de procédure pénale ;
- la sanction est disproportionnée par rapport aux faits reprochés en méconnaissance des articles R. 57-7-2 et R. 57-7-33 du code de procédure pénale ; en outre les faits ne sont pas fautifs au regard de sa situation médicale.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 14 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux, président,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., incarcéré depuis le 14 juin 2016, à la maison centrale d'Ensisheim, a été sanctionné d'un avertissement prononcé par le président de la commission de discipline le 25 juin 2020. A la suite d'un recours administratif préalable obligatoire exercé en application de l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale, alors en vigueur, le directeur interrégional des services pénitentiaires a, par une décision du 17 juillet 2020, qui s'est substituée à la décision initiale, confirmé cette sanction. Par un jugement du 20 octobre 2021, dont le garde des sceaux, ministre de la justice, fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette dernière décision.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. " Aux termes de l'article R. 57-7-7 du même code : " Les sanctions disciplinaires sont prononcées, en commission, par le président de la commission de discipline. Les membres assesseurs ont voix consultative ". Aux termes de l'article R. 57-7-8 du même code : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs. / Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement. Le second assesseur est choisi parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. La liste de ces personnes est tenue au greffe du tribunal de grande instance ". Aux termes de l'article R. 57-7-5 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint (...) ".
3. La commission de discipline a été présidée par M. A... E..., directeur adjoint des services pénitentiaires, lequel, à l'issue de la séance, a prononcé à l'encontre de M. C... la sanction d'avertissement. Il ressort des pièces produites en appel par le ministre de la justice, que M. E... disposait d'une délégation de M. F... B..., directeur de la maison centrale d'Ensisheim, du 17 mars 2020, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture du Haut-Rhin du 19 mars 2020, à l'effet de présider la commission de discipline et de prononcer une sanction disciplinaire. Par suite, le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a estimé, pour annuler la sanction en litige, que la compétence de M. E... pour présider la commission de discipline n'était pas établie.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... en première instance et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la sanction :
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-15 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Le chef d'établissement ou son délégataire apprécie, au vu des rapports et après s'être fait communiquer, le cas échéant, tout élément d'information complémentaire, l'opportunité de poursuivre la procédure (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 29 avril 2020 engageant des poursuites à l'encontre de M. C... a été directement signée par M. F... B..., chef d'établissement. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des poursuites manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs ". Aux termes de l'article R. 57-7-8 du même code : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs. / Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement. / Le second assesseur est choisi parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. La liste de ces personnes est tenue au greffe du tribunal de grande instance ".
8. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la fiche produite par l'administration comportant la signature des membres de la commission de discipline, que lors de la séance du 25 juin 2020 au cours de laquelle la situation de M. C... a été examinée, ont siégé deux assesseurs, l'un en qualité de membre du personnel de surveillance de l'établissement et l'autre en tant que personne extérieure à l'administration pénitentiaire. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la commission de discipline a été composée irrégulièrement en méconnaissance des dispositions précitées du code de procédure pénale.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline ".
10. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la confrontation entre les mentions du compte rendu d'incident, de la fiche d'incident, signée par son auteur, et de l'extrait du registre de la commission de discipline signé par ses membres qui ont siégé le 25 juin 2020, que le premier assesseur représentant le personnel de surveillance n'était pas l'auteur du compte rendu d'incident, conformément aux exigences de l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Pour l'application des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration aux décisions mentionnées à l'article précédent, la personne détenue dispose d'un délai pour préparer ses observations qui ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat ou du mandataire agréé, si elle en fait la demande. (...)". Aux termes de l'article R. 57-7-16 du même code : " En cas d'engagement des poursuites disciplinaires, les faits reprochés ainsi que leur qualification juridique sont portés à la connaissance de la personne détenue. Le dossier de la procédure disciplinaire est mis à sa disposition. / La personne détenue est informée de la date et de l'heure de sa comparution devant la commission de discipline ainsi que du délai dont elle dispose pour préparer sa défense. Ce délai ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a reçu en main propre, le 22 juin 2020, sa convocation devant la commission de discipline, laquelle mentionnait précisément les faits qui lui étaient reprochés, les dispositions du code de procédure pénale permettant de les qualifier de faute disciplinaire, lui précisait ses droits, et la faculté de solliciter une copie de son dossier. En outre, il est établi que le 24 juin 2020, à 11h53, un exemplaire du dossier de procédure, comprenant notamment le compte rendu d'incident, le rapport d'enquête, la convocation devant la commission de discipline, la décision sur rapport d'enquête et le signalement d'un incident individuel, a été mis à sa disposition. Il n'est aucunement démontré, ni même allégué, à supposer que l'exemplaire du dossier n'ait pas été laissé à sa disposition, que l'intéressé en aurait sollicité une copie qui lui aurait été refusée par l'administration. Ainsi, M. C... a été mis en mesure de consulter son dossier et, comme cela ressort d'ailleurs du compte rendu de la séance de la commission de discipline, de présenter utilement, avec l'assistance de son conseil, ses observations dans le respect des exigences prévues par les articles R. 57-6-9 et R. 57-7-16 du code de procédure pénale. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure disciplinaire doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale, dans sa version applicable au litige : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue : (...) / 8° D'enfreindre ou tenter d'enfreindre les dispositions législatives ou règlementaires, le règlement intérieur de l'établissement ou toute autre instruction de service applicables en matière d'introduction, de détention, de circulation, ou de sortie de sommes d'argent, correspondance, objets ou substances quelconques, hors les cas prévus aux 10° et 11° de l'article R. 57-7-1 ; (...) ". L'article R. 57-7-33 du même code, dans sa version applicable au litige, dispose que : " Lorsque la personne détenue est majeure, peuvent être prononcées les sanctions disciplinaires suivantes : 1° L'avertissement ; (...) ".
14. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
15. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte rendu d'incident du 20 avril 2020 et du rapport d'enquête, que M. C... détenait dans sa cellule cinquante et un flacons de gel antibactérien, neuf flacons de liquide jaune avec une odeur camphrée, un paquet de lingettes déodorantes, six paquets de lingettes antiseptiques, qui n'ont pas été acquis par l'intermédiaire de la cantine de la maison centrale. Il n'est pas davantage établi qu'il les aurait achetés à l'extérieur avec l'autorisation de l'administration, conformément au règlement intérieur de l'établissement. Il résulte, en outre, du rapport d'enquête que, contrairement à ce qu'a fait valoir l'intéressé, ces produits n'étaient pas dans son paquetage lors de son arrivée dans l'établissement et qu'ils n'ont pu lui être régulièrement remis lors de parloirs avec sa mère lorsqu'il était incarcéré dans un précédent établissement. L'intéressé ne conteste pas utilement que la détention en cellule de ces objets était interdite par les dispositions du règlement intérieur applicables aux détenus. Les certificats médicaux, datés des 14 juillet et 10 août 2020, préconisant l'achat urgent de lingettes antiseptiques, qui sont postérieurs aux faits qui sont reprochés à l'intéressé, ne sont pas de nature à justifier l'introduction et la détention de ces objets dans l'établissement pénitentiaire à la date des faits. L'épidémie de Covid-19 n'est pas davantage susceptible de justifier l'introduction irrégulière de gel dans l'établissement. Dans ces conditions, ces faits, qui contreviennent au règlement intérieur, sont constitutifs d'une faute disciplinaire du deuxième degré de nature à justifier une sanction. En prononçant pour ces faits un avertissement, qui est la plus faible des sanctions prévues à l'article R. 57-7-33 du code de procédure pénale, alors en vigueur, le directeur de la maison centrale d'Ensisheim n'a pas pris une sanction disproportionnée.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires du 17 juillet 2020. Par suite, le jugement du 20 octobre 2021 doit être annulé et la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Strasbourg doit être rejetée ainsi que ses conclusions à fin d'injonction présentées en appel.
Sur les frais de l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2005047 du 20 octobre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de M. C... et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. D... C....
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- Mme Roussaux, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. Barteaux
La présidente,
Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 21NC03324 2