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08/10/2024 | FRANCE | N°22NC00101

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 08 octobre 2024, 22NC00101


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association européenne contre les leucodystrophies a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Nancy à lui verser la somme de 420 225,69 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause.



Par un jugement n° 1900079 du 16 novembre 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête e

t un mémoire, enregistrés le 14 janvier 2022 et le 10 juin 2022, l'association européenne contre les leucodystrophies, repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association européenne contre les leucodystrophies a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Nancy à lui verser la somme de 420 225,69 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

Par un jugement n° 1900079 du 16 novembre 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 janvier 2022 et le 10 juin 2022, l'association européenne contre les leucodystrophies, représentée par Me Bouillot de la SCP H.B. et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 novembre 2021 ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Nancy à lui verser la somme de 420 225,69 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2019 ;

3°) de mettre à la charge du CHRU de Nancy la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux financés par ses soins pour la biobanque servent uniquement aux besoins du CHRU de Nancy ; les travaux et aménagements de locaux ainsi que l'installation de matériels et de bureaux ont été financés pour plus de 2 279 000 euros ;

- elle peut solliciter la réparation de son préjudice sur le fondement de l'enrichissement sans cause dès lors que les travaux et aménagements énoncés dans la convention du 1er septembre 2015 ont été réalisés dans le but d'un projet de création d'une banque d'échantillons biologiques, associée à une base de données médicales, qui n'a jamais été finalisé, en l'absence de transfert des échantillons biologiques, rendant sans objet la relation contractuelle entre elle et le CHRU de Nancy ;

- la convention du 4 décembre 2014 prévoyait expressément la création d'une base de données, impliquant un transfert d'échantillons biologiques, et pas seulement la création d'une biobanque ; l'absence de finalisation du projet rend sans objet les conventions signées entre elle et le CHRU de Nancy et entraîne la nullité du contrat ; l'enrichissement sans cause ne trouve pas son fondement dans une inexécution contractuelle qui lui serait imputable ;

- les conditions de l'enrichissement sans cause sont réunies ; le CHRU de Nancy a donné son accord pour la réalisation des travaux et aménagements et a participé au comité de suivi qui a validé les travaux réalisés dans le local d'archives ; l'ensemble des travaux a été réalisé avec l'accord du CHRU de Nancy et aussi dans son intérêt ;

- le montant de l'enrichissement, qui doit prendre en compte les dépenses des travaux réalisés dans les locaux du CHRU de Nancy, celles relatives au matériel, aux frais salariaux, aux frais de missions, aux frais des prestations externes et de communication, s'élève à la somme de 420 225,69 euros correspondant aux équipements que le CHRU de Nancy utilise et qu'elle a financés sur ses fonds propres ;

- elle n'a commis aucune faute à l'origine de l'abandon du projet, en réalité le CHRU de Nancy a modifié sa position ; la personne licenciée, située à Clermont-Ferrand, n'avait sa place que dans la phase intermédiaire du projet dans l'attente du transfert des échantillons biologiques à Nancy ; le projet de transfert ne peut plus être relancé dès lors que les échantillons ont été affectés à d'autres projets ; de plus, la seconde convention de mise à disposition a pris fin le 31 décembre 2015 et le professeur chargé du projet au CHU de Clermont-Ferrand a quitté cet établissement ;

- elle ne peut récupérer ses équipements dès lors que certains travaux ne peuvent être récupérés et qu'ils ont été réalisés dans le seul objectif de la création d'une biobanque et ne trouvaient donc une utilité que pour un tel projet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2022, le CHRU de Nancy, représenté par Me Houdart de la SELARL Houdart et Associés, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'association ELA, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action sur le fondement de l'enrichissement sans cause est irrecevable en raison du fondement contractuel des dépenses ; l'abandon du projet de transfert des échantillons dans la biobanque n'entraîne pas la nullité des conventions de mise à disposition ;

- elle est également irrecevable en raison de la faculté pour l'association ELA d'agir sur le terrain de la responsabilité pour faute ;

- les conditions de l'enrichissement sans cause ne sont pas réunies ; la requérante n'établit pas la réalité de l'appauvrissement par la production de tableaux réalisés par ses soins ; le montant des travaux et du matériel qui ne saurait excéder la somme globale de 364 915,92 euros a été couvert par les subventions ; l'association peut poursuivre le projet et récupérer les équipements ; la preuve de l'enrichissement n'est pas démontrée ; le CHRU a également supporté des frais divers ;

- l'enrichissement trouve sa cause dans la convention du 4 décembre 2014 et dans l'abandon par l'association ELA de son projet ;

- l'association ELA a commis une faute en abandonnant le projet avec le CHRU de Nancy qui s'oppose à l'engagement de la responsabilité de ce dernier et constitue la cause de l'enrichissement ;

- s'il avait su que l'association ELA ne mettrait pas tout en œuvre pour finaliser le projet, il n'aurait pas engagé ses moyens humains, organisationnels et financiers ; il s'agit d'un vice du consentement s'opposant à la mise en œuvre de l'enrichissement sans cause.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux, président,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,

- et les observations de Me Leguillon pour l'association ELA et de Me Phillips pour le centre hospitalier régional universitaire de Nancy ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association européenne contre les leucodystrophies, association reconnue d'utilité publique, qui regroupe des malades et des patients de malades atteints de leucodystrophie, a développé une plateforme technologique en Lorraine consistant dans la mise en place d'une banque d'échantillons biologiques de patients atteints de leucodystrophie, collectés sur l'ensemble du territoire français, dénommé centre de ressources biologiques Lorrain. La mise en œuvre de ce projet nécessitant un lieu de stockage des échantillons biologiques, l'association a conclu, le 4 décembre 2014, avec le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy une convention de mise à disposition de locaux ayant pour objet leur aménagement pour la constitution de cette banque d'échantillons biologiques. Une seconde convention du 1er septembre 2015 a précisé les modalités de cette mise à disposition de locaux à l'association ELA. Les travaux de construction et d'aménagements prévus par la convention initiale ont été réalisés au cours de l'année 2015. L'association ELA a cependant abandonné son projet en raison de l'absence de transfert des échantillons biologiques de patients atteints de leucodystrophie. Estimant que les travaux ont été financés par ses soins dans le seul intérêt du centre hospitalier, l'association lui a adressé une réclamation indemnitaire le 24 janvier 2019 qui a été expressément rejetée par une décision du 20 mars 2019. L'association ELA a alors demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le CHRU de Nancy à lui verser la somme de 420 225,69 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Par un jugement du 16 novembre 2021, dont l'association fait appel, le tribunal administratif a rejeté cette demande au motif que l'enrichissement du CHRU de Nancy trouvait sa cause dans la convention conclue le 4 décembre 2014.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.

3. Il résulte de l'instruction que la convention conclue entre le CHRU de Nancy et l'association ELA, le 4 décembre 2014, a pour objet de mettre à la disposition de cette association des locaux, d'une superficie de 591 m², situés sur le site de l'établissement hospitalier de Nancy-Brabois, dépendant du domaine public, afin de lui permettre de réaliser les travaux nécessaires à la création d'une base de données et d'une banque d'échantillons biologiques. Cette convention d'occupation, qui n'est pas constitutive de droits réels, stipule, en son article 6, que l'association prend à sa charge le coût des travaux de construction et d'amélioration réalisés dans les locaux mis à disposition, selon un descriptif annexé que le centre hospitalier a validé, et qui, au terme de la convention resteront la propriété de ce dernier qu'ils soient incorporés ou non et sans indemnité. L'article 1er de cette convention mentionne que ces travaux ont pour objet de permettre à l'association d'exercer ses missions d'accueil, de réception, de conservation de matériel biologique et de toute autre activité de nature scientifique et technique. Elle est conclue pour une durée d'un an à compter de sa prise d'effet soit le 8 décembre 2014. Une seconde convention, conclue avec l'association, le 1er septembre 2015, porte sur la mise à disposition à titre gratuit des locaux afin de permettre l'installation du centre de ressources biologiques, qui doit regrouper les données cliniques et biologiques des patients atteints de leucodystrophies. Elle rappelle en son article 1er, qu'elle n'est pas constitutive de droits réels et est consentie en vue de la réalisation de l'activité de l'association. Il résulte des articles 3 et 5 de la convention du 1er septembre 2015, que l'association assumera la prise en charge des frais relatifs aux travaux éventuels d'aménagement et d'équipement intérieurs nécessaires à son fonctionnement. Cette convention a une durée de quatre mois, avec pour terme le 31 décembre 2015. Il est constant qu'à leur échéance, ces conventions n'ont pas été renouvelées en raison de l'échec du projet de transfert des échantillons biologiques de patients atteints de leucodystrophie.

4. L'association ELA demande, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, l'indemnisation des dépenses qu'elle a engagées pour l'aménagement et l'équipement des locaux mis à sa disposition par le CHRU de Nancy et qui n'ont d'utilité, selon elle, que pour celui-ci, compte tenu de l'abandon de son projet de regroupement des échantillons biologiques des patients atteints de leucodystrophie. A cet égard, elle fait valoir que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'abandon de ce projet a eu pour effet de rendre sans objet les conventions de mise à disposition et d'entrainer leur nullité, lui ouvrant ainsi droit à une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Elle évalue son appauvrissement et l'enrichissement corrélatif du CHRU de Nancy à la somme globale de 420 225,69 euros toutes taxes comprises. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que l'association ELA a abandonné son projet à la suite du refus du centre hospitalier de Clermont-Ferrand de transférer les données biologiques de patients atteints de leucodystrophie vers le CHRU de Nancy au cours de l'année 2017, cette circonstance n'a pas pour effet, contrairement à ce que fait valoir la requérante, de priver d'objet les conventions précitées, qui ont été exécutées jusqu'à leur terme normal, ni d'affecter leur validité.

5. Par ailleurs, il résulte des stipulations de ces deux conventions d'occupation qu'elles ont été conclues afin de permettre à l'association de réaliser les travaux et aménagements nécessaires à son projet de banque d'échantillons biologiques et à son fonctionnement, même si elles font référence à un projet commun de stockage d'échantillons envisagé avec le CHRU de Nancy. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment des courriels échangés avec le CHRU de Nancy sur certains aspects techniques des travaux et aménagements, que la requérante aurait procédé à la réalisation de travaux à la demande et pour les besoins de l'activité de ce dernier. Ainsi, en application des stipulations des conventions précitées, les travaux et aménagements financés par l'association ELA sont entrés, sans indemnité, dans le patrimoine du CHRU de Nancy et ne sont donc pas dépourvus de cause.

6. En outre, s'agissant plus particulièrement des équipements et du matériel tels que microscopes, ordinateurs, il appartient à l'association, en application des principes généraux de la domanialité publique, de remettre les lieux en état au terme de la convention d'occupation et à cet effet de récupérer l'ensemble de ses équipements et matériels. Si elle fait valoir que ces derniers ne présentent plus aucune utilité pour elle du fait de l'abandon de son projet, raison pour laquelle elle ne souhaite pas les reprendre, elle ne peut pas pour autant imposer au propriétaire du domaine public de l'en indemniser.

7. De surcroît, il résulte de l'instruction que le CHRU de Nancy, dans son courrier du 20 mars 2019, a invité l'association à récupérer ces équipements et ce matériel qu'elle a financés sur ses fonds à concurrence de la somme de 420 225,69 euros toutes taxes comprises et dont elle demande le remboursement. Si l'intéressée fait valoir que du fait de l'abandon de son projet, elle n'a aucun intérêt à les reprendre, elle n'établit pas, en tout état de cause, qu'ils présenteraient pour le CHRU de Nancy, qui le conteste, une utilité.

8. Dans ces conditions, dès lors que l'association ELA ne démontre ni que son appauvrissement serait dépourvu de cause, ni dans tous les cas que les dépenses qu'elle a exposées présenteraient une utilité pour le CHRU de Nancy, elle n'est pas fondée à demander une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHRU de Nancy, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'association ELA demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association ELA la somme demandée par le CHRU de Nancy, au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'association ELA est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le CHRU de Nancy tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association européenne contre les leucodystrophies et au centre hospitalier universitaire de Nancy.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. Barteaux

La présidente,

Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

N° 22NC00101 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC00101
Date de la décision : 08/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : SELARL HOUDART ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-08;22nc00101 ?
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