Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCEA B... et M. G... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 17 septembre 2019 par laquelle la préfète de la région Grand Est a indiqué à M. F... que l'opération de reprise des terres louées à la SCEA B... n'est pas soumise à autorisation.
Par un jugement n° 1908493 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 août 2021 et 27 février 2024, la SCEA B... et M. B..., représentés par la Selarl Dôme Avocats, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 juin 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 17 septembre 2019 par laquelle la préfète de la région Grand Est a indiqué à M. F... que l'opération de reprise des terres louées à la SCEA B... n'est pas soumise à autorisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision est entachée d'un vice d'incompétence ; elle aurait dû être signée par ou pour le préfet de région et non pour la directrice régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, conformément à l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime ;
- l'illégalité de l'article 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) Alsace entache d'illégalité la décision litigieuse du 17 septembre 2019 :
. d'une part, le SDREA Alsace méconnaît les articles L. 331-2 et L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime en fixant à 65 ha hors zone viticole le seuil de surface au-delà duquel l'autorisation d'exploiter est requise ;
. d'autre part, la préfète a restreint le calcul de la surface agricole utile régionale (SAUR) à la seule catégorie des grandes et moyennes exploitations sans tenir compte notamment des petites exploitations, ce qui traduit une distinction illégale entre les exploitations ;
- la décision attaquée méconnaît l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime dès lors que M. F... est un exploitant pluriactif et, par voie de conséquence, soumis au contrôle des structures : il exerce une activité commerciale en qualité d'associé gérant de la SARL Ferme Rottmann ;
- c'est par omission délibérée que M. F... a déclaré ne pas être pluriactif de sorte que la décision litigieuse est entachée de fraude.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 31 janvier 2024 et 18 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête été communiquée à l'EARL Rottmatt et à M. F... qui n'ont pas produit d'observations.
Par un mémoire, enregistré le 21 avril 2024, la SCEA B... et M. B..., conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens. Ce mémoire n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 19 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 avril 2024 à midi.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- l'arrêté du 20 juillet 2015 fixant le modèle d'arrêté préfectoral portant schéma directeur régional des exploitations agricoles ;
- l'arrêté du 20 juillet 2015, fixant les modalités de calcul des équivalences par type de production, région naturelle ou territoire pour l'établissement du schéma directeur régional des exploitations agricoles ;
- l'arrêté du préfet de la région Alsace du 23 décembre 2015 portant schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) de la région Alsace ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,
- et les observations de Me Vergobbi, représentant la SCEA B... et M. B....
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL Rottmatt et M. F..., son gérant, ayant souhaité reprendre des terres leur appartenant, louées à la SCEA B..., ont obtenu, le 17 septembre 2019, un rescrit, sur le fondement de l'article L. 331-4-1 du code rural et de la pêche maritime, aux termes duquel l'opération de reprise n'est pas soumise à autorisation préalable. La SCEA B... et M. B..., son gérant, ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cette décision. Ils relèvent appel du jugement n° 1908493 du tribunal administratif de Strasbourg du 17 juin 2021 qui a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 38 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " Le préfet de région peut donner délégation de signature notamment en matière d'ordonnancement secondaire : 1° En toutes matières, et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs de services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans la région, au secrétaire général pour les affaires régionales et, en cas d'empêchement de celui-ci, aux agents de catégorie A placés sous son autorité ;( ...) ;4° Pour les matières relevant de leurs attributions, aux chefs ou responsables des services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans la région. Ces chefs ou responsables de service peuvent recevoir délégation afin de signer les lettres d'observation valant recours gracieux adressées aux collectivités territoriales ou à leurs établissements publics. Ces chefs ou responsables de service, ainsi que l'adjoint auprès du directeur régional des finances publiques mentionné au 7°, peuvent donner délégation pour signer les actes relatifs aux affaires pour lesquelles ils ont eux-mêmes reçu délégation aux agents placés sous leur autorité. Le préfet de région peut, par arrêté, mettre fin à tout ou partie de cette délégation. Il peut également fixer, par arrêté, la liste des compétences qu'il souhaite exclure de la délégation que peuvent consentir les chefs ou responsables de service, et l'adjoint auprès du directeur régional des finances publiques, aux agents placés sous leur autorité ; (...) ". D'autre part, il résulte de l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime que les décisions relatives aux autorisations d'exploiter sont prises par le préfet de région.
3. Par arrêté n° 2019-330 du 31 juillet 2019, publié au recueil des actes administratifs (RAA) du 1er août 2019, le préfet de la région Grand Est a donné délégation de signature à Mme A... C..., directrice de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), a l'effet de signer, notamment, " l'ensemble des actes, décisions et correspondances relatif au contrôle des structures ". Par une décision du 5 août 2019, publiée le même jour au RAA de la région Grand Est, la directrice de la DRAAF a donné délégation de signature à Mme I... H..., cheffe du pôle performance environnementale et valorisation des territoires, dans la limite des attributions de ce pôle, une telle subdélégation ayant été expressément autorisée par les dispositions citées au point précédent. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait limité la portée de la subdélégation que la directrice de la DRAAF était habilitée à consentir, malgré la possibilité que lui en donnait le 4° de l'article 38 du décret du 29 avril 2014 précité. Il résulte de ce qui précède que Mme H... était régulièrement habilitée, par l'effet de la subdélégation du 5 août 2019, à signer la décision du 17 septembre 2019. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision doit être écarté.
4. En deuxième lieu, d'une part aux termes de l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable au litige : " (...) II.- Le schéma directeur régional des exploitations agricoles fixe, compte tenu des orientations mentionnées au I du présent article, le seuil de surface au-delà duquel l'autorisation d'exploiter est requise en application de l'article L. 331-2. Ce seuil est compris entre le tiers et une fois la surface agricole utile régionale moyenne, établie dans des conditions fixées par le décret mentionné au V du présent article. Le schéma directeur régional des exploitations agricoles détermine des équivalences à la surface agricole utile régionale moyenne, par type de production, en particulier pour les productions mentionnées à l'article L. 641-5 et pour les ateliers de production hors sol. S'il y a lieu, ces équivalences peuvent être fixées par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole, en tenant compte de la surface agricole utile moyenne des espaces concernés (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 20 juillet 2015, fixant les modalités de calcul des équivalences par type de production, région naturelle ou territoire pour l'établissement du schéma directeur régional des exploitations agricoles : " (...) le SDREA peut, le cas échéant, fixer des équivalences par territoire présentant une cohérence agricole. Ces territoires peuvent être infra ou supra départementaux. Ils doivent comporter une spécificité ou une pratique agricole dominante. (...) ".
5. Aux termes de l'article 4 du SDREA de la région Alsace du 23 décembre 2015, publié au RAA du 28 juin 2016 : " (...) la moyenne régionale de surface agricole utile (SAU) toute production confondue pour les exploitations de taille moyenne et grande (...) est de 45 hectares pour l'ensemble de la région Alsace. / (...) / Vu l'hétérogénéité des structures existantes entre les exploitations situées sur les secteurs viticoles et les autres exploitations, deux zones sont ainsi définies. / (...) / Conformément à l'arrêté du 20 juillet 2015, des équivalences sont fixées pour les deux territoires amenant aux seuils de déclenchement précisés ci-après. Ces équivalences sont de 1,44 pour le territoire Hors zone viticole et 0,31 pour le territoire Zone viticole " / Seuils de déclenchement du contrôle des structures par territoire : 65 ha hors zone viticole, 14 ha en zone viticole ".
6. Il résulte des dispositions précitées au point 4 du présent arrêt que si le seuil de surface au-delà duquel l'autorisation d'exploiter est requise en application de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime doit être compris entre le tiers et une fois la surface agricole utile régionale moyenne, il peut également être fixé au moyen d'équivalences par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole. En l'espèce, l'article 4 du SDREA de la région Alsace se réfère à deux territoires types présentant une cohérence en matière agricole, à savoir les zones viticoles et les zones non viticoles. Il fixe un seuil de déclenchement du contrôle des structures en fonction d'une pondération calculée en équivalence de la surface agricole utile moyenne d'une part à 65 hectares pour l'ensemble des productions hors-zone viticole (45 hectares de SAU X 1,44) et d'autre part à 14 hectares en zone viticole (45 hectares X 0,31). En se bornant à soutenir que l'article 4 du SDREA contesté est illégal en tant qu'il prévoit un seuil supérieur à une fois la surface agricole utile régionale moyenne sans prendre en compte les équivalences pourtant autorisées par les dispositions précitées, les requérants ne contestent pas utilement la légalité de ces dispositions.
7. D'autre part, aux termes de l'article R. 312-3 du code rural et de la pêche maritime : " Pour fixer le seuil de surface mentionné au II de l'article L. 312-1, le schéma directeur régional des exploitations agricoles prend en compte soit la surface agricole utile moyenne toutes productions confondues, soit la surface agricole utile moyenne par classe d'orientation technico-économique des exploitations particulières, au sens du b de l'article 2 du règlement (CE) n° 1217/2009 du Conseil du 30 novembre 2009 portant création d'un réseau d'information comptable agricole sur les revenus et l'économie des exploitations agricoles dans l'Union européenne, fixées au niveau régional lors du dernier recensement agricole ou, le cas échéant, par l'enquête sur les structures des exploitations agricoles réalisée à la suite de ce recensement. Les modalités de calcul des équivalences par type de production et, le cas échéant, par région naturelle ou par territoire, sont fixées par un arrêté du ministre chargé de l'agriculture. ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 20 juillet 2015 fixant le modèle d'arrêté préfectoral portant schéma directeur régional des exploitations agricoles intitulé " fixation des seuils de contrôle " : " (...) Il est possible de choisir en critère de seuil : la SAU régionale TOUTE PRODUCTION : soit celle de la catégorie " toute exploitation confondue ", soit celle de la catégorie " moyenne et grande exploitation " (...) ".
8. Il résulte de l'article 4 du SDREA de la région Alsace que la SAU est fixée " toute production confondue pour les exploitations de taille moyenne et grande ". Cette disposition ne méconnaît ainsi pas les dispositions précitées de l'article R. 312-3 du code rural et de la pêche maritime en tant qu'elles prévoient que la SAU doit être déterminée " toute production confondue ". Quant à la possibilité de choisir la catégorie " toute exploitation confondue " ou celle " moyenne et grande exploitation ", elle est expressément prévue par l'article 4 de l'arrêté du 20 juillet 2015 fixant le modèle d'arrêté préfectoral portant schéma directeur régional des exploitations agricoles précité.
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, dans toutes ses branches, de l'illégalité de l'article 4 du SDREA de la région Alsace en application duquel la décision contestée a été prise ne peut être qu'écarté.
10. En dernier lieu, aux termes du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime : " Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes /(...) 3°Quelle que soit la surface en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole : (...) c) Lorsque l'exploitant est un exploitant pluriactif, remplissant les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle, dont les revenus extra-agricoles excèdent 3120 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance (...) "
11. Il ressort des pièces du dossier que M. F... disposait, au regard de l'avis d'imposition au titre de l'année 2019, de revenus extra agricoles inférieurs au seuil fixé par le I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime précité au-delà duquel une autorisation est nécessaire. Dans ces conditions, la décision litigieuse ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 331-2 du code précité ni n'est, en tout état de cause, entachée de fraude.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA B... et M. B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCEA B... et de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA B..., à M. G... B..., à l'EARL Rottmatt, à M. D... F... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera délivrée au préfet de la région Grand Est.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 21NC02295