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11/02/2025 | FRANCE | N°23NC00802

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 11 février 2025, 23NC00802


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux requêtes distinctes, d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dont il bénéficiait et, d'autre part, la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 27 février 2020 portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil.

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Par un jugement n° 2003857, 2003858 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Strasbo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux requêtes distinctes, d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dont il bénéficiait et, d'autre part, la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 27 février 2020 portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil.

Par un jugement n° 2003857, 2003858 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir joint les deux demandes, les a rejetées.

Par la suite, et par deux autres requêtes distinctes, M. A... a également demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 30 septembre 2020 et du 1er octobre 2020 portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil.

Par deux jugements n° 2007917 et n° 2007940 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses deux demandes.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête, enregistrée le 13 mars 2023, sous le n° 23NC00802, M. A..., représenté par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2003857-2003858 du 20 avril 2022 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler la décision implicite de suspension des conditions matérielles d'accueil prise par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

3°) d'annuler la décision du 27 février 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de rétablir ses conditions matérielles d'accueil ;

4°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de le faire bénéficier sans délai des conditions matérielles d'accueil et notamment de l'allocation pour demandeur d'asile à compter du 1er juin 2018, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 400 euros TTC, au bénéfice de son conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision de suspension des conditions matérielles d'accueil :

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande comme tardive ; si le conseil d'Etat a étendu le principe de sécurité juridique à certaines décisions implicites, c'est uniquement pour les décisions nées du silence de l'administration après demandes des intéressés et non comme en l'espèce quand une décision implicite est née de l'absence de paiement d'une créance administrative pour laquelle la prescription quadriennale s'applique ; l'extension de la jurisprudence Czabaj le prive d'un accès à un recours effectif contre cette décision ; il a sollicité le rétablissement des conditions matérielles d'accueil le 18 février 2020 de sorte que son recours, enregistré le 2 juillet 2020 devant le tribunal administratif, a été exercé dans le délai raisonnable d'un an ;

- la décision implicite de suspension des conditions matérielles d'accueil est non écrite et non motivée en méconnaissance des articles L. 744-8 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- elle viole le principe du contradictoire car cette décision implicite a été prise avant la notification d'une décision de suspension des conditions matérielles d'accueil et de la réception de ses observations ; elle n'a pas tenu compte de sa situation de vulnérabilité établie par un certificat médical ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que sa situation n'a pas été prise en compte et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article D. 744-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les dispositions de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas conformes au paragraphe 5 de l'article 20 de la directive 2013/13/UE ; la décision litigieuse le prive d'un niveau de vie digne et ne tient pas compte de sa vulnérabilité ;

- elle viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil du 27 février 2020 :

- l'annulation de la décision implicite de suspension des conditions matérielles d'accueil entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de la décision portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil ;

- elle est insuffisamment motivée en droit et en fait ;

- elle méconnaît l'article D. 744-39 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il n'a pas été informé dans une langue qu'il est susceptible de comprendre des conditions et modalités de cessation des conditions matérielles d'accueil ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ; l'OFII ne démontre pas quelle obligation il n'a pas respecté et n'a pas pris en considération sa situation de vulnérabilité ;

- il ne pouvait se voir opposer les dispositions de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui le privent d'un niveau de vie digne, en violation des dispositions de l'article 20, paragraphe 5, de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ;

- la décision litigieuse est entachée de défaut de base légale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est fondé à solliciter au titre de l'injonction l'allocation pour demandeur d'asile entre le 1er juin 2018 et le 31 mars 2021 car la Cour nationale du droit d'asile lui a accordé le statut de réfugié par une décision du 22 janvier 2021, notifiée le 22 février 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Froment, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que sa demande devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle il lui a suspendu les conditions matérielles d'accueil, était tardive ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.

II) Par une requête, enregistrée le 14 mars 2023, sous le n° 23NC00818, M. A..., représenté par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2007917 du 20 avril 2022 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de rétablir ses conditions matérielles d'accueil ;

3°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de le faire bénéficier sans délai des conditions matérielles d'accueil et notamment de l'allocation pour demandeur d'asile entre le 18 février 2020 et le 31 mars 2021, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 400 euros TTC, au bénéfice de son conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article D. 744-39 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il n'a pas été informé, dans une langue qu'il est susceptible de comprendre, des conditions et modalités de cessation des conditions matérielles d'accueil ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision par laquelle l'OFII lui a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, et qui fait l'objet d'un recours enregistré sous le n° 23NC00802 devant la présente cour, et devra être annulée par voie de conséquence ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ; l'OFII n'a pas réalisé de nouvel examen de vulnérabilité et n'a pas tenu compte de ses besoins ;

- elle est dépourvue de base légale car aucune décision expresse de suspension des conditions matérielles d'accueil n'est intervenue préalablement et sa situation ne correspond à aucune des catégories visées aux articles L. 744-8 et D. 744-37 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui permet de refuser les conditions matérielles d'accueil ;

- il remplit les conditions de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour bénéficier des conditions matérielles d'accueil ;

- les dispositions de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui le privent d'un niveau de vie digne, ne sont pas compatibles avec les dispositions de l'article 20, paragraphe 5, de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ;

- la décision de refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est fondé à solliciter l'allocation pour demandeur d'asile entre le 18 février 2020 et le 31 mars 2021 car la Cour nationale du droit d'asile lui a accordé le statut de réfugié par une décision du 22 janvier 2021, notifiée le 22 février 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Froment, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- M. A... ne saurait invoquer l'illégalité de la décision de suspension ayant précédé celle de refus de rétablissement, ces deux décisions ne formant pas une opération complexe, la légalité de la première ne conditionnant pas celle de la seconde ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.

III) Par une requête, enregistrée le 14 mars 2023, sous le n° 23NC00819, M. A..., représenté par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2007940 du 20 avril 2022 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler la décision du 1er octobre 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de rétablir ses conditions matérielles d'accueil ;

3°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de le faire bénéficier sans délai des conditions matérielles d'accueil et notamment de l'allocation pour demandeur d'asile entre le 18 février 2020 et le 31 mars 2021, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 400 euros TTC, au bénéfice de son conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article D. 744-39 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il n'a pas été informé, dans une langue qu'il est susceptible de comprendre, des conditions et modalités de cessation des conditions matérielles d'accueil ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision par laquelle l'OFII lui a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, et qui fait l'objet d'un recours enregistré sous le n° 23NC00802 devant la présente cour, et devra être annulée par voie de conséquence ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ; l'OFII n'a pas réalisé de nouvel examen de vulnérabilité et n'a pas tenu compte de ses besoins ;

- elle est dépourvue de base légale car aucune décision expresse de suspension des conditions matérielles d'accueil n'est intervenue préalablement et sa situation ne correspond à aucune des catégories visées aux articles L. 744-8 et D. 744-37 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui permet de refuser les conditions matérielles d'accueil ;

- il remplit les conditions de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour bénéficier des conditions matérielles d'accueil ;

- les dispositions de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui le privent d'un niveau de vie digne, ne sont pas compatibles avec les dispositions de l'article 20, paragraphe 5, de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ;

- la décision de refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est fondé à solliciter l'allocation pour demandeur d'asile entre le 18 février 2020 et le 31 mars 2021 car la Cour nationale du droit d'asile lui a accordé le statut de réfugié par une décision du 22 janvier 2021, notifiée le 22 février 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Froment, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- M. A... ne saurait invoquer l'illégalité de la décision de suspension ayant précédé celle de refus de rétablissement, ces deux décisions ne formant pas une opération complexe, la légalité de la première ne conditionnant pas celle de la seconde ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 14 mars 1999 en Guinée, est entré en France afin de solliciter l'asile. Titulaire d'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin à compter du 21 décembre 2017, M. A..., qui avait accepté les conditions matérielles d'accueil, a perçu l'allocation pour demandeur d'asile à compter de décembre 2017 jusqu'à la suspension de son versement sur son compte bancaire le 1er juin 2018. La France étant devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile, M. A... s'est vu délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale le 18 février 2020. Il a alors sollicité le rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Par une décision du 27 février 2020, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a refusé de faire droit à sa demande. Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2020 sous le n° 2003858, au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, M. A... a demandé l'annulation de la décision révélée par laquelle l'OFII lui a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 1er juin 2018. Par une seconde requête, également enregistrée le 2 juillet 2020 sous le n° 2003857, auprès de ce même tribunal, M. A... a demandé l'annulation de la décision du 27 février 2020 par laquelle l'OFII a refusé de lui accorder le rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Par un jugement n° 2003857-2003858 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir joint les deux requêtes pour statuer par un seul jugement, a rejeté ses demandes. Par la suite, M. A... a également demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions de l'OFII du 30 septembre 2020 et du 1er octobre 2020 portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Par deux jugements n° 2007917 et n° 2007940 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses deux demandes. Par des requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, M. A... relève appel de ces trois jugements.

Sur la requête n° 23NC00802 :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". Il résulte de ces dispositions que cette notification doit, s'agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l'autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle.

3. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

4. Pour rejeter comme tardive la demande introduite par M. A... tendant à l'annulation de la décision suspendant le bénéfice de ses conditions matérielles d'accueil, les premiers juges ont estimé que celui-ci devait être regardé comme ayant eu connaissance de cette décision dès le mois de juin 2018, date à laquelle le versement de l'allocation pour demandeur d'asile a cessé, dès lors que cette allocation constituait sa seule ressource. Toutefois, il est constant qu'aucune décision explicite n'a été notifiée à l'intéressé. Il ressort en revanche des pièces du dossier que M. A... a eu connaissance, de manière certaine, de cette décision de suspension au plus tôt le 21 février 2020, date à laquelle il a demandé le rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Dans ces conditions, la demande de première instance de M. A..., qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 2 juillet 2020, soit avant l'expiration du délai raisonnable d'un an, n'était pas tardive.

5. Il s'ensuit que M. A... est fondé à soutenir que le rejet de sa demande tendant à l'annulation de la décision révélée portant suspension du bénéfice des conditions matérielles d'accueil pour tardiveté entache d'irrégularité le jugement n°2003857-2003858 qui doit être annulé dans cette mesure.

6. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions présentées en première instance par M. A... tendant à l'annulation de la décision portant suspension des conditions matérielles d'accueil et, par la voie de l'effet dévolutif, sur le surplus des conclusions de la requête.

En ce qui concerne la légalité de la décision révélée suspendant les conditions matérielles d'accueil :

7. Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile et applicable au litige : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile a abandonné son lieu d'hébergement déterminé en application de l'article L. 744-7, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile La décision de suspension, de retrait ou de refus des conditions matérielles d'accueil est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. La décision est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites dans les délais impartis. Lorsque le bénéfice des conditions matérielles d'accueil a été suspendu, le demandeur d'asile peut en demander le rétablissement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". Aux termes de l'article D. 744-38 du même code : " La décision de suspension, de retrait ou de refus de l'allocation est écrite, motivée et prise après que l'allocataire a été mis en mesure de présenter à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ses observations écrites dans le délai de quinze jours. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. Lorsque le bénéfice de l'allocation a été suspendu, l'allocataire peut en demander le rétablissement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. La reprise du versement intervient à compter de la date de la décision de réouverture ".

8. Si les termes de cet article ont été modifiés par différentes dispositions du I de l'article 13 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, il résulte du III de l'article 71 de cette loi que ces modifications, compte tenu de leur portée et du lien qui les unit, ne sont entrées en vigueur ensemble qu'à compter du 1er janvier 2019 et ne s'appliquent qu'aux décisions initiales, prises à compter de cette date, relatives au bénéfice des conditions matérielles d'accueil proposées et acceptées après l'enregistrement de la demande d'asile. Les décisions relatives à la suspension et au rétablissement de conditions matérielles d'accueil accordées avant le 1er janvier 2019 restent régies par les dispositions antérieures à la loi du 10 septembre 2018.

9. La situation de M. A..., qui a accepté des conditions matérielles d'accueil depuis son enregistrement au guichet unique de la préfecture du Bas-Rhin le 21 décembre 2017, reste ainsi régie par les dispositions de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015.

10. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 27 juin 2018, l'OFII a informé M. A... de son intention de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil au motif qu'il n'avait pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, l'a invité à présenter ses observations écrites dans un délai de quinze jours et l'a informé qu'à défaut, la décision de suspension deviendrait effective. A la suite de ce courrier, l'OFII a interrompu, dès le mois de juin 2018, le versement de l'allocation pour demandeur d'asile sur le compte bancaire de l'intéressé. Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'OFII aurait pris une décision écrite et motivée prononçant la suspension des conditions matérielles d'accueil du requérant. Par suite, celui-ci est fondé à soutenir que la décision de suspension du bénéfice des conditions matérielles d'accueil a été prise en méconnaissance des dispositions des articles L. 744-8 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande et de la requête, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision révélée par laquelle le directeur général de l'OFII a suspendu ses conditions matérielles d'accueil.

En ce qui concerne la légalité de la décision du 27 février 2020 refusant le rétablissement des conditions matérielles d'accueil :

12. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il incombe au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi de conclusions recevables dirigées contre de telles décisions consécutives, de prononcer leur annulation par voie de conséquence.

13. La décision par laquelle l'OFII a refusé de faire droit à la demande de rétablissement des conditions matérielles d'accueil de M. A... n'aurait pu légalement être prise en l'absence de la décision portant suspension des conditions matérielles d'accueil. Ainsi, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de suspension des conditions matérielles d'accueil prononcée par le présent arrêt entraîne l'annulation par voie de conséquence de la décision consécutive du 27 février 2020 par laquelle l'OFII a refusé de procéder au rétablissement des conditions matérielles de M. A....

14. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 27 février 2020 par laquelle le directeur général de l'OFII a refusé le rétablissement des conditions matérielles d'accueil.

Sur la requête n° 23NC00818 :

15. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que la décision litigieuse portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil du 30 septembre 2020 n'aurait pu légalement être prise en l'absence de la décision portant suspension des conditions matérielles d'accueil. Ainsi, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de suspension des conditions matérielles d'accueil prononcée par le présent arrêt entraîne l'annulation par voie de conséquence de la décision consécutive par laquelle l'OFII a refusé de procéder au rétablissement des conditions matérielles de M. A....

16. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 30 septembre 2020 par laquelle le directeur général de l'OFII a refusé le rétablissement des conditions matérielles d'accueil.

Sur la requête n° 23NC00819 :

17. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que la décision litigieuse portant refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil du 1er octobre 2020 n'aurait pu légalement être prise en l'absence de la décision portant suspension des conditions matérielles d'accueil. Ainsi, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de suspension des conditions matérielles d'accueil prononcée par le présent arrêt entraîne l'annulation par voie de conséquence de la décision consécutive par laquelle l'OFII a refusé de procéder au rétablissement des conditions matérielles de M. A....

18. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 1er octobre 2020 par laquelle le directeur général de l'OFII a refusé le rétablissement des conditions matérielles d'accueil.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

19. Il résulte de l'instruction que M. A... a obtenu le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 janvier 2021 qui lui a été notifiée le 22 février 2021. Eu égard aux motifs d'annulation retenus, l'exécution du présent arrêt implique qu'il soit enjoint au directeur de l' OFII de rétablir M. A..., uniquement pour les périodes au cours desquelles il a disposé d'une attestation de demandeur d'asile, dans ses droits aux conditions matérielles d'accueil, notamment dans ses droits à l'allocation pour demandeur d'asile à compter du 1er juin 2018, date à laquelle ce bénéfice a été suspendu et jusqu'au terme du mois suivant la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit le 31 mars 2021, dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt. Par suite, il y a lieu d'adresser au directeur général de l'OFII une injonction en ce sens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

20. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle pour ces trois requêtes. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chebbale, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement à Me Chebbale de la somme globale de 3 000 euros TTC pour les trois requêtes.

D E C I D E :

Article 1er : Les jugements n° 20003857-2003858, n° 2007917 et n°2007940 du 20 avril 2022 du tribunal administratif de Strasbourg, la décision révélée par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu les conditions matérielles d'accueil de M. A... et les décisions du 27 février 2020, du 30 septembre 2020 et du 1er octobre 2020 par lesquelles l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui accorder le rétablissement des conditions matérielles d'accueil sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de rétablir M. A..., pour les périodes au cours desquelles il justifie d'une demande d'asile, dans ses droits aux conditions matérielles d'accueil à compter du 1er juin 2018 jusqu'au 31 mars 2021, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à Me Chebbale une somme globale de 3 000 euros TTC en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Chebbale renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance enregistrée sous le n° 2003858 et des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Me Chebbale.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barteaux, président,

- M. Lusset, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLe Président,

Signé ; S. Barteaux

La greffière,

Signé N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 23NC00802-23NC00818-23NC00819


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00802
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTEAUX
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : DE FROMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;23nc00802 ?
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