Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2023 par lequel la préfète de l'Aube l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302784 du 5 janvier 2024, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 mars et 10 juillet 2024, Mme B..., représentée par Me Lebaad, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2302784 du 5 janvier 2024 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Aube du 3 novembre 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut, de réexaminer sa situation et lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 400 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi ne mentionne pas le pays de destination ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnait les dispositions des articles L. 611-3, L. 425-9, L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant dès lors qu'elle est enceinte d'un enfant reconnu par anticipation par son père, de nationalité française ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de renvoi ne précise aucun pays de destination ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- elle méconnait les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2024, le préfet de l'Aube, représenté par Me Ancelet de la SCP G. Ancelet et B. Elie, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Un mémoire complémentaire, enregistré le 5 juin 2024, a été présenté par Mme B.... Il n'a pas été communiqué en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par une décision du 15 février 2024, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lusset a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne, déclare être entrée en France le 14 septembre 2021, accompagnée de son fils mineur, né le 28 septembre 2011. Elle a sollicité des autorités françaises son admission au séjour au titre de l'asile en raison de craintes en cas de retour dans son pays d'origine. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 26 mai 2023, notifiée le 1er juin 2023, de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 18 septembre 2023. Par arrêté du 3 novembre 2023, la préfète de l'Aube l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 5 janvier 2024 par lequel le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que le président du tribunal a omis de viser et de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, invoqué par Mme B... dans son mémoire en réplique contre la décision fixant le pays de renvoi, et tiré de ce que cette décision ne mentionne pas le pays à destination duquel elle pourra être éloignée. Le jugement attaqué est par suite irrégulier et doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination, divisible des autres décisions.
3. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par Mme B... à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi et par la voie de l'effet dévolutif sur le surplus de ses conclusions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.
5. En deuxième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision attaquée que la préfète de l'Aube se serait abstenue de procéder à un examen particulier de la situation de la requérante.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".
7. Si Mme B... fait valoir qu'un ressortissant français a reconnu, le 12 décembre 2023, par anticipation sa paternité à l'égard de l'enfant qu'elle portait, au demeurant postérieurement à la date de l'arrêté contesté, elle ne peut toutefois utilement se prévaloir des dispositions précitées dès lors qu'elle n'était pas mère d'un enfant français déjà né à la date de l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
9. Mme B... soutient, en produisant un certificat médical du 24 novembre 2023, bénéficier d'un suivi médical spécifique en France du fait de sa grossesse " à haut risque de malformations fœtales " entrainant un " diabète gestationnel déséquilibré sans insuline lente ". Toutefois, ce certificat médical, produit postérieurement à la date de l'arrêté attaqué, ne permet pas de justifier qu'elle présente un risque particulier en cas de voyage vers la Guinée ni qu'elle ne pourrait être prise en charge dans son pays d'origine. Par ailleurs, si Mme B... soutient être enceinte de près de cinq mois à la date de la décision, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait porté à la connaissance des autorités préfectorales sa situation médicale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
10. En cinquième lieu, lorsque la loi prescrit qu'un ressortissant étranger doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prescrivent pas la délivrance d'un titre de plein droit mais laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. Le législateur n'a ainsi pas entendu imposer au préfet d'examiner d'office si l'étranger remplit les conditions prévues par cet article. Il en résulte que la requérante ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 435-1 à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, alors qu'elle n'avait pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement de cet article et que la préfète de l'Aube n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre. Pour ces mêmes derniers motifs, la requérante ne peut utilement invoquer les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 423-23 et L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Mme B..., entrée en France en septembre 2021, n'établit pas entretenir de relations stables et intenses avec des personnes séjournant régulièrement sur le territoire français ni être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine. Si elle se prévaut de la présence de son compagnon, ressortissant français, sur le territoire français, la requérante indique elle-même qu'il ne s'agit que d'une relation extraconjugale et que l'intéressé n'a pas pour projet d'entretenir avec elle une relation stable. Elle ne justifie enfin d'aucun élément particulier d'intégration dans la société française. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée a été prise en violation des stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
13. En septième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
14. Mme B... ne saurait utilement se prévaloir de l'intérêt supérieur de l'enfant à naître. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations précitées doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
15. En premier lieu, la décision attaquée indique notamment que Mme B..., dont la nationalité guinéenne a été rappelée, pourra être reconduite d'office à destination du pays dont elle a la nationalité, ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel elle est légalement admissible. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision ne mentionne pas le pays à destination duquel elle pourra être renvoyée manque en fait et doit être écarté.
16. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacés ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
17. Mme B... se prévaut des risques d'excision pesant sur son futur enfant ainsi que des risques de persécution émanant de son entourage familial à l'encontre de son fils ainé, en cas de retour en Guinée dont elle est originaire. Toutefois, les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir la réalité des craintes dont elle se prévaut. Au demeurant, l'Office français de protection des réfugiés et les apatrides a considéré, dans sa décision, du 26 mai 2023 rejetant sa demande d'asile, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 18 septembre 2023, que ses déclarations n'avaient pas permis " d'établir la réalité des faits allégués et de conclure à l'existence d'une atteinte grave à son encontre en cas de retour dans son pays ". Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 3 novembre 2023 par laquelle la préfète de l'Aube a fixé le pays de destination, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent également être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par le préfet de l'Aube, au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2302784 du 5 janvier 2024 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 3 novembre 2023 fixant le pays de destination.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par Mme B... en première instance tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions du préfet de l'Aube présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. LussetLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
2
N° 24NC00651