Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à destination du pays dont il a la nationalité et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux années, d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, sur le fondement des articles L. 911-2 et L. 911-3 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2303448 du 7 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée sous le n° 23NC03620 le 14 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Issa, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 décembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 28 novembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à destination du pays dont il a la nationalité et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux années ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de ce que le préfet n'a pas suffisamment motivé l'obligation de quitter le territoire français et n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ; l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de droit ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ; il ne présente aucune menace pour l'ordre public ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa durée, quant aux circonstances humanitaires et quant à l'existence d'une menace à l'ordre public.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2024, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 29 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 septembre 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Guidi, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 15 mars 1993, de nationalité marocaine, est entré en France à une date indéterminée. Par arrêté du 3 septembre 2022, le préfet du Bas-Rhin a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour pendant un an. Ayant été interpellé le 28 novembre 2023 par les services de police à Mulhouse dans le cadre d'une procédure pour des faits de recel de vol, il a fait l'objet, le 28 novembre 2023, d'un arrêté l'obligeant à quitter le territoire français sans délai à destination du pays dont il a la nationalité et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, édicté par le préfet du Haut-Rhin. M. A... relève appel du jugement du 7 décembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions contestées :
2. L'arrêté attaqué vise les textes dont le préfet du Haut-Rhin fait application et mentionne de manière suffisamment précise les faits qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions attaquées manque dès lors en fait et ne peut qu'être écarté. Il ressort en outre des mentions de l'arrêté que la situation du requérant a fait l'objet d'un examen complet de la part du préfet du Haut-Rhin avant que ne soient prises les décisions en litige.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ". Aux termes de l'article L. 611-2 du même code : " L'étranger en provenance directe du territoire d'un des États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 peut se voir appliquer les 1° et 2° de l'article L. 611-1 lorsqu'il ne peut justifier être entré ou s'être maintenu sur le territoire métropolitain en se conformant aux stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 19, du paragraphe 1 de l'article 20 et des paragraphes 1 et 2 de l'article 21 de cette même convention ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 621-1 du même code : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre État prévue à l'article L. 615-1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'État. Il est mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ". et aux termes de l'article L. 621-2 du même code : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse l'étranger qui, admis à entrer ou à séjourner sur le territoire de cet Etat, a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 311-1, L. 311-2 et L. 411-1, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec cet État, en vigueur au 13 janvier 2009 ".
5. Il ressort de la combinaison de ces dispositions que le champ d'application des obligations de quitter le territoire français et celui des remises d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen qui l'a autorisé à entrer ou l'a admis au séjour sur son territoire, sur le fondement des articles L. 621-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 de ce code. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré irrégulièrement en France à une date inconnue, a été interpellé et placé en garde-à-vue le 28 novembre 2023 dans le cadre d'une procédure pour recel de vol qui a donné lieu à une ordonnance pénale du délégué du procureur de la République. L'enquête policière a également révélé qu'il avait été mis en cause le 28 octobre 2023 par les autorités suisses dans le cadre d'une procédure pour vol à la tire, et qu'il faisait l'objet d'un signalement établi le 5 juillet 2022 par un tribunal pénal espagnol dans le cadre d'une procédure pour tentative de meurtre. S'il a déclaré, lors de son audition par les services de police, vouloir rentrer directement en Suisse d'où il provenait, le " bon de sortie " établi par les autorités helvétiques, libellé sous un nom d'alias, ne lui permet pas de justifier qu'il bénéficierait d'un droit au maintien sur le territoire de cet Etat. Il ne démontre pas davantage être admissible en Allemagne où la procédure d'asile qu'il a entamée a expiré le 4 novembre 2022, ainsi que l'ont indiqué les autorités allemandes en réponse à une demande d'information des autorités françaises. Par suite, le préfet du Haut-Rhin n'a commis aucune erreur d'appréciation, ni méconnu les dispositions de l'article L. 621-1 et de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui faisant obligation de quitter le territoire français.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) 604/2013 du 26 janvier 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que si M. A... a présenté une demande d'asile en Allemagne, cette procédure avait expiré le 4 novembre 2022, ainsi que l'ont indiqué les autorités allemandes en réponse à une demande d'information des autorités françaises. Par suite, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Haut-Rhin aurait méconnu les dispositions de l'article 18 du règlement (UE) 604/2013 du 26 janvier 2013 en lui faisant obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la décision de refus d'accorder un délai de départ volontaire :
9. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...)3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ".
10. Il ressort des termes même de l'arrêté contesté que M. A... a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement par le préfet du Bas-Rhin le 3 septembre 2022 qu'il n'a pas exécutée. Par suite, le préfet du Haut-Rhin, qui a exercé son pouvoir d'appréciation sur la situation de l'intéressé, pouvait légalement pour ce seul motif refuser de lui accorder un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :
11. Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
12. Pour prendre une décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans à l'encontre de M. A..., le préfet du Haut-Rhin a relevé que sa présence en France est récente, qu'il est célibataire sans enfant à charge, sans ressources légales, qu'il ne justifie pas avoir transféré le centre de ses intérêts en France, que son comportement représente une menace à l'ordre public et qu'il n'a effectué en France aucune démarche en vue de sa régularisation. Si le requérant, auquel le préfet n'a accordé aucun délai de départ volontaire, fait valoir qu'il a des problèmes de santé, il n'apporte aucune justification probante à l'appui de cette allégation et ne justifie par conséquent d'aucune circonstance humanitaire. Par suite, le préfet du Haut-Rhin n'a pas commis d'erreur d'appréciation de la situation de M. A... en fixant à deux ans la durée de cette interdiction de retour sur le territoire français.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa requête. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2025.
La rapporteure,
Signé : L. GuidiLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : I. Legrand
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
I. Legrand
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N° 23NC03620