Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune d'Authe à lui verser la somme de 213 000 euros au titre
des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des inondations à répétition de son habitation.
Par un jugement n° 2101046 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné la commune d'Authe à verser à Mme B... une somme
de 13 800 euros, a mis à la charge définitive de la commune d'Authe les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 912,78 euros, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 décembre 2022 et le 19 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Royaux de la SCP Royaux, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2101046 du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il n'a pas fait pleinement droit à sa demande ;
2°) de condamner la commune d'Authe à lui verser la somme de 228 000 euros au titre
des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des inondations à répétition de son habitation ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Authe une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a la qualité de tiers par rapport au réseau d'évacuation des eaux de la commune, lequel constitue un ouvrage public ;
- la responsabilité de la commune d'Authe est engagée, même sans faute, à raison
du dysfonctionnement de son réseau d'évacuation des eaux ;
- le préjudice matériel lié à la minoration du prix de vente de la propriété sur le marché immobilier peut être évalué à 150 000 euros, celui lié au coût des travaux d'assèchement peut être évalué à 13 000 euros, celui lié au coût du mobilier et des finitions détruites par les inondations peut être évalué à 10 000 euros ; le préjudice moral subi peut être évalué à 3 000 euros par an pendant quinze ans, soit 45 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2023, la commune d'Authe, représentée par Me Boucher de la SELARL Jurilaw Avocats Conseils, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que le jugement du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne soit annulé et à ce que l'intégralité des demandes de Mme B... soient rejetées ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la survenance des dommages résulte uniquement de la propre négligence de Mme B..., de l'état naturel des sols et du défaut de ventilation, de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée ;
- les préjudices invoqués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a fait l'acquisition le 16 octobre 2000 d'une maison d'habitation
de réalisation ancienne située sur le territoire de la commune d'Authe. En 2011 et 2016, elle a constaté divers désordres en lien avec des inondations récurrentes au moment des intempéries et une humidité constante qu'elle impute à des dysfonctionnements et à un entretien défectueux du réseau de collecte et d'évacuation des eaux dans sa partie canalisée et dans sa partie aérienne, lequel reste la propriété de la commune d'Authe jusqu'au 1er janvier 2026, faute de transfert des compétences " eau " et " assainissement " des communes membres de la communauté de communes de l'Argonne Ardennaise à cet établissement. L'expert, désigné par ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy du 9 novembre 2017, a déposé son rapport le 17 novembre 2018. Au vu des conclusions de ce rapport, Mme B... a adressé le 14 décembre 2018 puis le 15 octobre 2019 à la commune d'Authe une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis, laquelle a été implicitement rejetée. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune d'Authe à l'indemniser des conséquences dommageables résultant des dysfonctionnements et de l'entretien défectueux du réseau communal de collecte et d'évacuation des eaux pour un montant total de 213 000 euros. Elle relève appel du jugement du 2 décembre 2022 en tant qu'il n'a pas fait totalement droit à sa demande, le tribunal ayant condamné la commune d'Authe à lui verser une somme de 13 800 euros.
Sur la responsabilité de la commune d'Authe :
2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
3. Il résulte de l'instruction, et notamment des constatations du rapport d'expertise déposé le 17 novembre 2018, que les inondations affectant la propriété de Mme B..., qui se situe à proximité et en contrebas de l'église de la commune, ont, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, deux causes déterminantes. D'abord, les eaux pluviales de l'église, qui, sont collectées puis rejetées, à quelques mètres des fondations de l'édifice, directement dans le sol d'où elles ruissellent pour converger vers la résidence de Mme B... pour s'y infiltrer. Ensuite, les dysfonctionnements du réseau communal d'évacuation des eaux pluviales, dont la capacité hydraulique est trop faible, ainsi que son mauvais entretien, marqué notamment par l'accumulation de sable dans les canalisations.
4. En premier lieu, la commune d'Authe conteste le lien de causalité entre le dispositif communal d'évacuation des eaux pluviales dont elle a la garde et les inondations subies par l'habitation de Mme B....
5. D'une part, elle fait valoir que lors d'une visite effectuée le 22 juin 2021, l'architecte des bâtiments de France a considéré que les eaux pluviales de l'église étaient correctement récupérées et évacuées, et que le sol entre l'église et l'habitation de Mme B... était perméable et plane permettant ainsi aux eaux de pluie de s'infiltrer correctement. Toutefois, ces constations sommaires présentées en quelques lignes dans un courriel par l'architecte des bâtiments de France, lequel ne dispose pas des compétences techniques pour apprécier de telles situations, ne suffisent pas à remettre en cause l'analyse circonstanciée réalisée par l'expert désigné à cet effet, dont les conclusions ont été rappelées au point 3.
6. D'autre part, la commune, s'appuyant notamment sur une précédente expertise judiciaire et sur un développement du rapport d'expertise du 17 novembre 2018, se prévaut de ce que les fondations de la maison, bâtie en 1860, seraient inadaptées et que, même en l'absence d'inondations, la nature des sols, de type argileux, ainsi que l'existence d'une dessication des couches superficielles lors des périodes de sécheresse favoriseraient le ruissellement et contribueraient à la persistance des désordres. Toutefois, selon l'expert, qui a mentionné ces éléments dans son rapport, la cause déterminante du dommage est constituée par le système de collecte des eaux pluviales inadapté de l'église ainsi que par les dysfonctionnements et le manque d'entretien du réseau communal d'évacuation des eaux pluviales entourant la propriété de Mme B....
7. Il s'ensuit que le lien de causalité est établi.
8. En second lieu, la commune d'Authe invoque, pour s'exonérer de sa responsabilité, des fautes qu'aurait commises Mme B....
9. D'une part, le caractère inadapté des fondations de l'habitation de Mme B... par rapport aux caractéristiques du sol, évoqué au point précédent, ne révèle pas en soit l'existence d'une faute de la victime.
10. D'autre part, la non-conformité du système d'assainissement de l'habitation de Mme B... est sans lien avec le dommage. En revanche, il résulte du rapport d'expertise, et n'est pas contesté, que l'absence de ventilation de la maison contribue à la présence d'humidité. En outre, il est constant que l'intéressée a cessé d'entretenir son bien depuis de nombreuses années. Par suite, comme l'ont relevé les premiers juges, ces faits, constitutifs de fautes de la victime, sont de nature à exonérer partiellement la commune, à hauteur de 20 % de la condamnation qui sera prononcée à son encontre.
Sur les préjudices :
11. En premier lieu, Mme B... sollicite la condamnation de la commune à lui verser la somme de 150 000 euros, montant qui correspond, selon elle, à la différence entre la valeur d'acquisition de son bien immobilier qu'elle chiffre à 190 000 euros et celle résultant des dernières estimations de son habitation, fixée à 40 000 euros. Toutefois, la requérante ne verse aucun élément de nature à justifier ce prix d'achat, le montant de son prêt bancaire, libellé en francs, n'étant pas rattachable avec certitude au bien qu'elle a acquis en l'an 2000. En tout état de cause, en admettant même que la somme de 182 500 francs, figurant sur le relevé bancaire dont elle se prévaut, corresponde effectivement au montant d'acquisition de sa maison, soit environ 36 400 euros, son habitation n'aurait alors pas perdu, au regard des évaluations qu'elle a produites, de valeur vénale. Par suite, elle n'établit pas la réalité de ce chef de préjudice.
12. En deuxième lieu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il n'est pas contesté que les travaux d'assèchement envisagés par la société Isoter, tels que décrits dans son devis du 6 décembre 2016, ne seraient pas de nature à remédier aux troubles de jouissance, notamment les remontées de salpêtre et d'humidité par capillarité. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant la commune à verser à Mme B... la somme de 13 000 euros, soit 10 400 euros après déduction de la part de 20 % imputable aux fautes de la requérante.
13. En troisième lieu, en se bornant à soutenir que l'indemnité accordée par le tribunal en réparation du mobilier est insignifiante alors qu'elle l'évaluait à la somme forfaitaire de 10 000 euros, la requérante, qui n'a pas été en mesure de produire de justificatifs de la valeur de ses biens, n'établit pas que les premiers juges auraient sous-estimé son préjudice en le fixant à la somme de 1 200 euros, soit 1 000 euros après la prise en compte des fautes de l'intéressée.
14. En quatrième et dernier lieu, compte tenu des tracasseries subies en raison des démarches consécutives à la survenance du sinistre et de l'anxiété liée aux risques d'inondations et de dégradations de son bien, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante ou excessive du préjudice moral subi par Mme B... en le fixant à la somme de 3 000 euros, soit 2 400 euros compte tenu de sa part de responsabilité.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné la commune d'Authe à verser à lui une somme de 13 800 euros en réparation des divers préjudices qu'elle a subis. La commune d'Authe n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il l'a déclarée responsable des dommages subis par Mme B... et l'a condamnée à l'indemniser.
Sur les frais liés au litige :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme B... et de la commune d'Authe présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de la commune d'Authe ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune d'Authe.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
Le président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au préfet des Ardennes, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 22NC03152 2