Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... et l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ulysse ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 27 mai 2019 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a notifié à l'EARL Ulysse une réduction de surface équivalente à la surface en doublon correspondant à 61,89 hectares de son dossier PAC 2018 ainsi qu'une sanction administrative pour sur-déclaration correspondant à 1,5 fois la surface en écart, ensemble la décision du 1er août 2019 du préfet de Meurthe-et-Moselle portant rejet du recours gracieux formé contre cette décision.
Par un jugement n° 1902849 du 8 février 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 avril 2022, M. D... et l'EARL Ulysse, représentés par la SCP Lebon et Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 8 février 2022 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de Meurthe-et-Moselle des 27 mai et 1er août 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont opéré une substitution de motifs sans les avoir mis à même de présenter leurs observations sur cette substitution, laquelle n'était en outre pas sollicitée par l'administration ;
- la décision contestée du 27 mai 2019 est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet a fait application des dispositions obsolètes du règlement (CEE) n° 1765/92 du conseil du 30 juin 1992 et qu'il a uniquement recherché, pour déterminer le bénéficiaire de l'aide, qui était l'exploitant effectif des ilots, sans s'interroger sur le caractère régulier ou non de cette occupation ni rechercher qui était détenteur de droits sur le terrain en cause ;
- la décision contestée est entachée d'erreurs de droit et de fait dès lors que les terres litigieuses étaient à la disposition de M. D... au sens du règlement délégué n° 639/2014, contrairement à Mme A... qui ne disposait d'aucun droit ni titre sur ces parcelles et qui ne démontre pas en avoir assuré l'exploitation effective.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune ;
- le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement Européen et du conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune ;
- le règlement délégué (UE) n° 639/2014 de la Commission du 11 mars 2014 complétant le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et modifiant l'annexe X dudit règlement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset,
- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,
- et les observations de Me Coissard, pour M. D... et la société Ulysse.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., gérant de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ulysse, a déposé le 11 mai 2018 une demande tendant au bénéfice des aides surfaciques de la politique agricole commune au titre de la campagne 2018. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, le service instructeur a relevé des anomalies en raison des déclarations concurrentes de M. D... et de Mme C... A... portant sur des parcelles similaires d'une surface totale de 61,89 hectares. Par un courrier du 19 mars 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle a informé le requérant que les ilots 1 à 6 de sa déclaration chevauchaient des ilots d'autres d'exploitations ayant également fait l'objet d'une déclaration au titre de la campagne PAC 2018 et qu'il envisageait d'appliquer une réduction de surface équivalente à la surface en doublon, correspondant à 61,69 hectares de son dossier PAC 2018, ainsi qu'une sanction administrative pour sur-déclaration correspondant à 1,5 fois la surface en écart en application de l'article 19 bis du règlement (UE) n° 640/2014 de la Commission du 11 mars 2014. En réponse à cette lettre, M. D... a fait valoir ses observations par un courrier du 8 avril 2019. Par une décision du 27 mai 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle a notifié à M. D..., en qualité de gérant de l'EARL Ulysse, une réduction de surface équivalente à la surface en doublon correspondant à 61,89 hectares de son dossier PAC 2018 ainsi qu'une sanction administrative pour sur-déclaration correspondant à 1,5 fois la surface en écart. Puis, par une décision du 1er août 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté le recours gracieux formé par M. D... à l'encontre de cette décision. M. D... et l'EARL Ulysse font appel du jugement du 8 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 32 du règlement (UE) n° 1307/2013 susvisé : " L'aide au titre du régime de paiement de base est octroyée aux agriculteurs, sur la base d'une déclaration conformément à l'article 33, paragraphe 1, après activation d'un droit au paiement par hectare admissible dans l'Etat membre où le droit au paiement a été attribué. (...) ". L'article 4 de ce règlement dispose que : " 1. Aux fins du présent règlement, on entend par : / a) 'agriculteur", une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales (...) dont l'exploitation se trouve dans le champ d'application territoriale des traités (...) et qui exerce une activité agricole ; / b) 'exploitation", l'ensemble des unités utilisées aux fins d'activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d'un même Etat membre ; / c) 'activité agricole" : / i) la production, l'élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la récolte, la traite, l'élevage et la détention d'animaux à des fins agricoles, / (...) iii) l'exercice d'une activité minimale, définie par les Etats membres, sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture ". L'article 24 du même règlement dispose que : " (...) 2. Sauf en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, le nombre de droits au paiement attribués par agriculteur en 2015 est égal au nombre d'hectares admissibles que l'agriculteur déclare dans sa demande d'aide conformément à l'article 72, paragraphe 1, premier alinéa, point a), du règlement (UE) n° 1306/2013 pour 2015 et qui sont à sa disposition à une date fixée par l'État membre. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 15 du règlement délégué n° 639/2014 susvisé : " 2. Lorsqu'un hectare admissible visé au paragraphe 1 fait l'objet d'une demande d'attribution de droits au paiement par plusieurs demandeurs, la décision concernant le bénéficiaire auquel les droits au paiement sont attribués est prise en fonction de qui dispose de la compétence décisionnelle en ce qui concerne les activités agricoles exercées sur cet hectare et de qui retire des bénéfices de ces activités et en assume les risques financiers ".
3. En cas d'introduction de plusieurs demandes d'attribution de droits au paiement concurrentes pour des mêmes surfaces, il appartient à l'autorité compétente, sous le contrôle du juge, de vérifier lequel des demandeurs a les hectares admissibles à sa disposition. Il résulte des dispositions de l'article 24 du règlement n° 1307/2013 citées précédemment, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 17 décembre 2020, WQ contre Land Berlin, n° C-216/19, que lorsqu'une demande d'aide est introduite à la fois par une personne justifiant d'un titre juridique sur des surfaces agricoles et par un tiers qui utilise, de fait, ces surfaces sans aucun fondement juridique, les hectares admissibles correspondant auxdites surfaces sont " à la disposition " du seul titulaire d'un titre juridique sur ces dernières.
4. Il ressort des pièces du dossier que dans le cadre de la procédure contradictoire mise en œuvre préalablement à l'adoption des décisions attaquées, M. D... a fait notamment valoir, sur le fondement des dispositions de l'article 24 du règlement n° 1307/2013 précitées telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qu'il était titulaire d'un prêt à usage gratuit portant sur les parcelles litigieuses à compter du 1er mars 2018 alors que Mme A..., à l'origine de la déclaration concurrente sur les mêmes parcelles, ne disposait quant à elle d'aucun titre juridique lui permettant d'exploiter les parcelles litigieuses. Or, pour départager les demandes d'attribution de droits au paiement concurrentes pour les mêmes surfaces, le préfet de Meurthe-et-Moselle a considéré que les circonstances avancées par M. D... étaient sans incidence dès lors que l'herbe sur les parcelles en cause avait été récoltée par Mme A... et que " la règlementation communautaire impose que le demandeur d'aide soit celui qui met en valeur les surfaces agricoles déclarées, nonobstant le caractère régulier ou non de l'occupation de celles-ci ". Par suite, les requérants sont fondés à soutenir qu'en prenant uniquement comme critère d'appréciation l'exploitation effective des parcelles en litige, sans prendre en considération le titre juridique dont se prévalait le requérant pour justifier de son droit sur les parcelles en litige, le préfet de Meurthe-et-Moselle a méconnu le sens et la portée des dispositions citées au point 3, et entaché la décision attaquée du 27 mai 2019 d'une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement ni les autres moyens de la requête, que M. D... et l'EARL Ulysse sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 27 mai 2019 ainsi que de la décision de rejet de leur recours gracieux du 1er août 2019.
Sur les frais liés au litige :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1902849 du 8 février 2022 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet de Meurthe-et-Moselle du 27 mai et du 1er août 2019 sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... et à l'EARL Ulysse la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Ulysse et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
Le président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 22NC00878 2