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27/05/2025 | FRANCE | N°23NC00851

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 27 mai 2025, 23NC00851


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Sogeho a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la délibération n° 24 du 24 juin 2019 du conseil municipal de Strasbourg, en tant que cette délibération approuve la cession à la SARL Foncière Grand Est des parcelles cadastrées en section BY n° 232 et n° 210/116, pour un montant de 14 773 000 euros, ensemble la décision du 26 septembre 2019 rejetant son recours gracieux contre ladite délibération.

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Par un jugement n° 1908617 du 16 janvier 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Sogeho a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la délibération n° 24 du 24 juin 2019 du conseil municipal de Strasbourg, en tant que cette délibération approuve la cession à la SARL Foncière Grand Est des parcelles cadastrées en section BY n° 232 et n° 210/116, pour un montant de 14 773 000 euros, ensemble la décision du 26 septembre 2019 rejetant son recours gracieux contre ladite délibération.

Par un jugement n° 1908617 du 16 janvier 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 15 mars 2023, le 3 octobre 2023, le 4 janvier 2024, le 9 décembre 2024 et le 17 février 2025, la société à responsabilité limitée (SARL) Sogeho, représentée par Me Bernard de la société Freche et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 janvier 2023 ;

2°) d'annuler la délibération n° 24 du 24 juin 2019 du conseil municipal de Strasbourg en tant que cette délibération approuve la cession à la SARL Foncière Grand Est des parcelles cadastrées en section BY n° 232 et n° 210/116, pour un montant de 14 773 000 euros, ensemble la décision du 26 septembre 2019 rejetant son recours gracieux contre ladite délibération ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Strasbourg la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la délibération litigieuse méconnaît l'article L. 2121-17 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'il n'est pas établi que le quorum était atteint lors de la séance du conseil municipal du 24 juin 2019 ;

- s'agissant d'une vente avec charges, la commune de Strasbourg aurait dû engager une procédure conforme aux principes généraux de la commande publique, et elle a ainsi méconnu son obligation de publicité et de mise en concurrence ;

- les conseillers municipaux n'ont pas été suffisamment informés de la portée effective de la délibération, comme l'imposent les dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 juillet 2023, le 18 juin 2024 et les 13 janvier et 3 avril 2025, la SARL Foncière Grand Est, représentée par la SELARL Soler-Couteaux et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable faute pour la société Sogeho de justifier d'un intérêt pour agir ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 août 2024 et le 10 janvier 2025, la commune de Strasbourg, représentée par Me Verdin de la SELARL Dôme Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires distincts, enregistrés le 26 novembre 2024, le 17 février 2025 et le 22 avril 2025, la société Sogeho demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la délibération n° 24 du 24 juin 2019 du conseil municipal de Strasbourg, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et d'égalité devant la loi des dispositions de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales en tant que ces dispositions n'imposent pas aux collectivités territoriales de faire précéder la vente d'une dépendance de leur domaine privée d'une procédure de publicité et de mise en concurrence préalables.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, dont la constitutionnalité est contestée, sont applicables au litige ;

- elles ne peuvent être regardées comme ayant été déclarées conformes à la Constitution dès lors que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des dispositions de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales ;

- les décisions du Conseil d'Etat n° 470192 et n° 366494 ne sont pas des " précédents " applicables à la QPC soulevée dans la présente instance ;

- un changement de circonstances justifie une saisine du Conseil constitutionnel ;

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux dès lors que les dispositions en cause méconnaissent les principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et d'égalité devant la loi.

Par des mémoires enregistrés les 10 janvier et 3 avril 2025, la commune de Strasbourg soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et qu'il n'y a ainsi pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Par des mémoires enregistrés les 13 janvier et 3 avril 2025, la SARL Foncière Grand Est soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 tenant à l'absence de déclaration de conformité des dispositions critiquées à la constitution et à ce que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ne sont pas remplies, et qu'il n'y a ainsi pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lusset,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,

- et les observations de Me Lunel, pour la société Sogeho, de Me Verdin, pour la commune de Strasbourg, et de Me Waltuch, pour la société Foncière Grand Est.

Une note en délibéré, présentée pour la société Sogeho, a été enregistrée le 12 mai 2025.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Strasbourg est propriétaire d'un terrain situé avenue Herrenschmidt sur lequel elle a consenti le 29 janvier 1973 un bail emphytéotique en vue de permettre la construction d'un hôtel, exploité sous l'enseigne " Mercure Wacken ". Par une délibération n° 24 du 24 juin 2019, le conseil municipal de la ville de Strasbourg a, notamment, approuvé la cession à la SARL Foncière Grand Est de l'emprise de l'hôtel, constituée par les parcelles cadastrées en section BY n° 232 et n° 210/116, pour un montant de 14 773 000 euros, en vue de favoriser la reconstruction de l'hôtel par la réunion des droits du preneur et du bailleur de l'emphytéose. La société Sogeho, qui était intéressée par le rachat du fond de commerce exploité sous l'enseigne " Mercure Wacken ", fait appel du jugement du 16 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération n° 24 du 24 juin 2019 en tant qu'elle approuve cette cession, ainsi que de la décision du 26 septembre 2019 rejetant son recours gracieux contre ladite délibération.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ".

3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. La société Sogeho demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, qui sont applicables au litige, et selon lesquelles : " Le conseil municipal délibère sur la gestion des biens et les opérations immobilières effectuées par la commune, sous réserve, s'il s'agit de biens appartenant à une section de commune, des dispositions des articles L. 2411-1 à L. 2411-19. / Le bilan des acquisitions et cessions opérées sur le territoire d'une commune de plus de 2 000 habitants par celle-ci, ou par une personne publique ou privée agissant dans le cadre d'une convention avec cette commune, donne lieu chaque année à une délibération du conseil municipal. Ce bilan est annexé au compte administratif de la commune. / Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité ".

5. D'une part, les dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales qui ont pour objet respectivement de déterminer l'organe compétent de la commune pour délibérer sur la gestion des biens et des opérations immobilières et d'imposer un bilan annuel de ces opérations soumis à délibération du conseil municipal ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité devant la loi. En outre, les dispositions du deuxième alinéa de cet article L. 2241-1 ne sont pas applicables au litige. La question concernant ces dispositions est, dès lors, dépourvue de caractère sérieux.

6. D'autre part, la société requérante critique la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales en tant qu'elles n'imposent pas à une commune de faire précéder la vente d'une dépendance de son domaine privé d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Il est vrai que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales imposent seulement aux communes de plus de 2 000 habitants d'adopter une délibération portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles sans soumettre cette cession à une quelconque formalité de publicité et de mise en concurrence. Toutefois, ces dispositions sont la reprise à l'identique de celles du I de l'article L. 311-8 du code des communes crées par l'article 11 de la loi du 8 février 1995. Or, le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 95-361 DC du 2 février 1995, a déclaré conforme à la Constitution la loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public, dont l'article 11. Ainsi, les dispositions critiquées par la société Sogeho ont déjà été déclarées conformes à la Constitution. Par ailleurs, si, ainsi que le soutient la requérante, le Conseil constitutionnel n'a pas, dans sa décision du 2 février 1995, expressément statué sur la conformité des dispositions en cause aux normes constitutionnelles qu'elle invoque dans la présente instance et qui au demeurant existaient déjà à l'époque, cette circonstance ne peut être regardée comme constituant un changement de circonstances de droit de nature à justifier un nouvel examen par le Conseil constitutionnel. De même, en se bornant à faire valoir que le droit et la jurisprudence de l'Union européenne se montrent de plus en plus favorables à l'application de règles garantissant le respect de la liberté d'entreprendre à l'occasion de la vente de leurs biens immobiliers par les collectivités publiques, la société requérante n'établit pas l'existence d'un changement de circonstance de nature à justifier un nouvel examen par le Conseil constitutionnel de sa conformité à la Constitution. Il suit de là que la condition posée au 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 n'est pas satisfaite.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par la société Sogeho.

Sur le bien-fondé du jugement :

8. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-17 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil municipal ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente ". En vertu de l'article L. 2121-2 du même code, le conseil municipal de Strasbourg, ville de 250 000 à 299 999 habitants, compte 65 membres.

9. Il ressort des pièces du dossier produites par la ville de Strasbourg, et notamment du compte-rendu de la séance du 24 novembre 2024 du conseil municipal, que 35 conseillers municipaux ont pris part au vote de la délibération n° 24, soit la majorité des membres en exercice. Si la société Sogeho soutient que le quorum n'aurait pas été atteint durant toute la durée de l'examen du point n° 24 et, notamment, qu'il aurait fallu aller chercher des élus pour l'atteindre en toute fin de vote, elle ne l'établit pas, alors que les mentions de la délibération font foi jusqu'à preuve contraire. Il s'ensuit, comme l'ont relevé les premiers juges, que le moyen tiré de ce que la délibération attaquée aurait été irrégulièrement adoptée doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aux collectivités locales de faire précéder la simple cession d'un immeuble du domaine privé de mesures de publicité et d'organiser une mise en concurrence des acquéreurs éventuels. Toutefois, la conclusion par ces personnes publiques de contrats emportant cession d'un immeuble de leur domaine privé dont l'objet principal est de confier à un opérateur économique la réalisation de travaux en vue de la construction, selon des spécifications précises imposées par lesdites personnes publiques, d'ouvrages qui, même destinés à des tiers, répondent à un besoin d'intérêt général défini par lesdites collectivités, est soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique.

11. En l'espèce, si la délibération contestée assortit la vente de la triple condition de maintenir l'activité hôtelière pendant une durée de quinze ans, de déposer le permis de construire correspondant à la reconstruction de l'hôtel dans un délai de trois ans et de satisfaire à un quota d'heures d'insertion pendant la réalisation des travaux, cette seule exigence n'est pas suffisante pour considérer que les caractéristiques du projet ont été établies de manière précise et détaillée par la commune afin de répondre à un besoin d'intérêt général préalablement défini par elle. Par suite, et comme l'ont relevé les premiers juges, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la délibération en litige aurait dû être précédée de règles minimales de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1121-1 du code de la commande publique : " Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix ". Il ressort des pièces du dossier que la commune de Strasbourg a cédé à la société Foncière Grand Est le terrain d'assiette comportant l'hôtel exploité sous l'enseigne " Mercure Wacken " et sur lequel cette société envisage de réaliser un nouvel hôtel. Contrairement à ce que soutient la requérante, quand bien même la vente comporte une stipulation imposant le maintien d'une activité hôtelière durant quinze ans adossée à un droit de résolution au profit de la commune, l'exploitation du futur hôtel ne constitue ni la contrepartie de travaux répondant à un besoin de la commune, ainsi qu'il a été exposé précédemment, ni la gestion d'un service mais résulte du transfert de propriété du terrain d'assiette du futur bâtiment à la société Foncière Grand Est qui a également vocation à réunir les droits de l'emphytéote. Par suite, la société Sogeho n'est pas fondée à soutenir que cette cession devrait être requalifiée en concession de service qui aurait dû être précédée d'une mise en concurrence.

13. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal ". Aux termes de l'article L. 2121-13 du même code : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ". Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.

14. D'une part, la société requérante soutient que les membres du conseil municipal auraient été induits en erreur dans la mesure où la délibération indique qu'elle a pour objet la confusion des droits de l'emphytéote et du bailleur alors que la société Foncière Grand Est n'était pas encore, à la date de la délibération, détentrice du bail emphytéotique. S'il ressort des pièces du dossier que la fusion absorption entre la société Foncière Grand Est et la société S.H.I., qui était titulaire du bail emphytéotique, n'est effectivement intervenue qu'en octobre 2020, soit postérieurement à la délibération, cette dernière mentionne toutefois que la société Foncière Grand Est bénéficiait, au moment de son adoption, d'une promesse de cession des parts de la société S.H.I., et fait également état de l'existence d'un contrat d'apport conclu antérieurement à la délibération. Aussi, dès lors que les membres du conseil municipal ont été informés de ce schéma juridique clairement exposé dans la délibération litigieuse, la seule circonstance que la fusion absorption entre les sociétés Foncière Grand Est et S.H.I. soit intervenue postérieurement à la délibération en litige ne suffit pas à démontrer que les membres du conseil municipal n'auraient pas été en mesure d'appréhender le contexte ou de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées, ni de mesurer les implications de leurs décisions.

15. D'autre part, la délibération litigieuse rappelle que le bail emphytéotique était d'une durée de cinquante-deux ans, que son échéance était fixée au 31 décembre 2026 et que les droits de l'emphytéote et du bailleur " sont séparés et valorisables séparément ". La délibération précise également, en se fondant sur l'avis de France Domaine du 12 avril 2019, que " la valeur vénale de l'ensemble immobilier a été fixée au prix de 17 770 000 euros répartie comme suit : 3 037 000 pour les droits de l'emphytéote actuel, et 14 733 000 euros pour les droits de la Ville ". La délibération précise enfin que cette estimation se base, d'une part, sur la valeur du terrain et, d'autre part, sur une quote-part de la valeur des constructions réalisées par le titulaire du bail. Dans ces conditions, les membres du conseil municipal doivent être regardés comme ayant été suffisamment informés de ce que, en résiliant avant son terme le bail emphytéotique, la ville de Strasbourg renonçait à une indemnité d'environ 3 millions d'euros représentative de la quote-part de la valeur des constructions réalisées par l'emphytéote.

16. Il s'ensuit que le moyen, pris en ses deux branches, tiré de ce que les conseillers municipaux n'ont pas été suffisamment informés de la portée effective de la délibération adoptée doit être écarté.

17. Il résulte de ce qui précède que la société Sogeho n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la ville de Strasbourg, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Sogeho demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge la société Sogeho le versement, à chacune, de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la ville de Strasbourg et par la société Foncière Grand Est.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en appel par la société Sogeho.

Article 2 : La requête de la société Sogeho est rejetée.

Article 3 : La société Sogeho versera à la ville de Strasbourg et à la société Foncière Grand Est la somme de 2 000 euros chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sogeho, à la commune de Strasbourg et à la SARL Foncière Grand Est.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barteaux, président,

- M. Lusset, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.

Le rapporteur,

Signé : A. Lusset

Le président,

Signé : S. Barteaux

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

N° 23NC00851 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00851
Date de la décision : 27/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTEAUX
Rapporteur ?: M. Arnaud LUSSET
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : SELARL SOLER-COUTEAUX ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-27;23nc00851 ?
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