Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 4 septembre 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite d'office.
Par un jugement n° 2303329 du 2 avril 2024, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 mai 2024, Mme B..., représentée par Me Coche-Mainente, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2303329 du 2 avril 2024 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 4 septembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour de six mois renouvelables l'autorisant à travailler, dans un délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, sous la même condition d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé et la préfète ne démontre pas avoir procédé à un examen sérieux de sa situation ;
En ce qui concerne la décision refusant le titre de séjour :
- elle peut bénéficier d'une admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, dès lors qu'elle justifie d'une présence stable et ininterrompue sur le territoire français depuis 2014 et d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 7 octobre 2021 ;
- la décision méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est dépourvue de base légale dès lors qu'elle est fondée sur une décision portant refus de séjour elle-même illégale ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours :
- la décision doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision est dépourvue de base légale dès lors qu'elle est fondée sur une décision portant obligation de quitter le territoire français elle-même illégale ;
- la décision a été prise en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2024, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête de Mme B... est irrecevable dès lors que, par un jugement du 10 octobre 2023, le tribunal administratif a rejeté la requête de cette dernière tendant à annuler la décision implicite par laquelle son admission au séjour avait été refusée après avoir redirigée sa demande comme tendant à l'annulation de la décision explicite intervenue le 4 septembre 2023.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lusset a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante russe née le 16 janvier 1982, est entrée en France au cours de l'année 2014 selon ses déclarations, pour y solliciter le statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 2 novembre 2015 et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 27 juin 2016. Sa demande de réexamen a également été rejetée par l'OFPRA et par la CNDA respectivement les 17 juillet 2018 et 17 janvier 2019. Elle a fait l'objet de deux mesures d'éloignement en date des 26 août 2016 et 3 septembre 2020 qu'elle n'a pas exécutées. Par un courrier du 30 juin 2022, reçu le 13 juillet 2022 par le préfet de Meurthe-et-Moselle, Mme B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Le préfet a implicitement rejeté cette demande. Par un arrêté du 21 mars 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle, qui a également placé Mme B... en rétention administrative, lui a fait obligation, sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra, le cas échéant, être reconduite et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois. Par un jugement du 11 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté. Par un jugement du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Nancy, après avoir regardé les conclusions de la requérante tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour comme dirigées contre l'arrêté du 4 septembre 2023 intervenu en cours d'instance en tant qu'il confirme ce refus, a rejeté la demande d'annulation. Mme B... relève appel du jugement du 2 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2023 portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Par un jugement du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté le recours formé par la requérante contre la décision implicite par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle avait rejeté sa demande de titre de séjour formée le 13 juillet 2022, après avoir regardé les conclusions de l'intéressée comme tendant à l'annulation de la décision de refus de séjour prononcée par l'arrêté du 4 septembre 2023, intervenu en cours d'instance. En raison de la triple identité de parties, d'objet et de cause entre le présent litige et celui déjà tranché par le tribunal administratif de Nancy dans son jugement du 10 octobre 2023 en ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation du refus de séjour, l'autorité de chose jugée attachée à ce jugement, devenu définitif, fait obstacle à ce qu'il soit statué à nouveau sur les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour. Par suite, la fin de non-recevoir, en tant qu'elle est opposée aux conclusions relatives au refus d'admission au séjour, doit être accueillie.
Sur le surplus des conclusions de la requête :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est présente en France depuis 2014, soit 9 ans à la date de l'arrêté litigieux, et qu'elle entretient une relation avec un ressortissant français depuis le mois de juin 2021. Elle fait valoir qu'elle réside chez son compagnon et le fils de celui-ci depuis le début de l'année 2023, et se prévaut de la conclusion d'un pacte de solidarité (PACS) le 12 février 2024, circonstance certes postérieure à la décision attaquée mais qui atteste du sérieux et de la stabilité de sa relation. Il est en outre constant que la requérante est intégrée professionnellement, occupant un emploi à durée indéterminée depuis le 7 octobre 2021 en qualité de cuisinière. Par ailleurs, la requérante justifie, par la production de nombreuses attestations, d'importants liens amicaux tissés sur le territoire français à travers ses diverses activités bénévoles, notamment au sein de l'association des " restos du cœur ". Dans ces conditions, et dans les circonstances particulières de l'espèce, au regard de l'intensité des liens personnels de la requérante en France, de leur ancienneté et de leur stabilité, de ses conditions d'existence, et de son insertion dans la société française, Mme B... est fondée à soutenir qu'en prononçant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, la préfète de Meurthe-et-Moselle a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à en demander, pour ce motif, son annulation ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2023 en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite d'office.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
7. Le présent arrêt, eu égard au motif d'annulation, implique seulement d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme B... une autorisation provisoire de séjour, sans délai, et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Coche-Mainente, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Coche-Mainente de la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2303329 du 2 avril 2024 du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination est annulé.
Article 2 : Les décisions du 4 septembre 2023 du préfet de Meurthe-et-Moselle portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la demande de Mme B... dans un délai de deux mois et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Coche-Mainente, avocate de Mme B..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Coche-Mainente renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Coche-Mainente et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. LussetLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 24NC01417