Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 16 juin 2023 par lequel la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin, l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2301834 du 22 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 septembre 2023, Mme E..., représentée par Me Stella, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 juin 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision est insuffisamment motivée en fait et en droit ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision fixant le délai de départ volontaire :
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision est entachée d'un erreur d'appréciation dès lors que le risque qu'elle se soustraie à la mesure d'éloignement n'est pas établi ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision a été prise par une autorité incompétente ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est fondée sur une décision portant obligation de quitter le territoire français elle-même illégale ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation s'agissant des circonstances humanitaires ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation s'agissant de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Peton a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante algérienne née en 1989, déclare être entrée en France en 2021. Le 16 juin 2023, elle a été interpellée et placée en garde à vue pour des faits de violence conjugale. Après avoir constaté l'irrégularité de son séjour en France, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi, lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée d'un an par un arrêté du 16 juin 2023. Mme E... relève appel du jugement du 22 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, par un arrêté du 4 octobre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 7 octobre 2022, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à M. B... F..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer tous actes et décisions relevant des attributions dévolues à la direction des migrations et de l'intégration, à l'exception de certaines décisions au nombre desquelles ne figurent pas les décisions en litige, et, en cas d'absence ou d'empêchement, à M. C... D..., chef du bureau de l'asile et de la lutte contre l'immigration irrégulière. Il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas allégué que M. F... n'aurait pas été absent ou empêché à la date de la signature de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision, signée par M. D..., aurait été prise par une autorité incompétente doit être écarté.
3. En deuxième lieu, l'arrêté du 16 juin 2023 énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfait dès lors à l'obligation de motivation. Il ne ressort ni de ces motifs ni des pièces du dossier que cet arrêté aurait été pris sans examen de la situation personnelle de l'intéressée, telle qu'elle a été portée à la connaissance de la préfète. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions en litige manque en fait et doit être écarté.
4. En troisième lieu, Mme E... soutient que la décision est entachée de plusieurs erreurs de fait. Toutefois, si elle reproche à la préfète de ne pas avoir tenu compte de sa grossesse, elle n'en établit pas l'existence. Par ailleurs, si l'arrêté contesté, d'une part, mentionne de manière erronée que le compagnon de Mme E... est un ressortissant étranger en situation irrégulière alors que ce dernier est de nationalité française et, d'autre part, ne précise pas que le père de l'intéressée est de nationalité française, il ressort des pièces du dossier que la préfète aurait pris la même décision en se fondant sur les autres éléments de la situation personnelle et familiale de Mme E.... Par suite, le moyen tiré de cette inexactitude et de l'absence de cette précision doit être écarté.
5. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme E... déclare être entrée en France en décembre 2021 où elle se maintient irrégulièrement depuis cette date. Elle fait valoir, sans l'établir, que son père est de nationalité française. Elle se prévaut de sa vie commune avec un ressortissant français depuis le 3 mai 2023 avec lequel elle a eu un projet de mariage. Toutefois, outre que cette relation est très récente, Mme E... a indiqué vouloir renoncer à ce mariage au cours de son audition par les services de police. Elle soutient attendre un enfant à naitre en février 2024 sans apporter aucun élément probant à l'appui de cette affirmation. Eu égard aux conditions et à la durée du séjour en France de Mme E..., laquelle a vécu la majeure partie de sa vie en Algérie où elle n'allègue pas être dépourvue d'attaches personnelles et familiales, l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels elle a été prise.
7. En cinquième lieu, compte tenu de ce qui a été dit de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que celles fixant un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an doivent être annulées en conséquence de l'annulation de cette obligation.
8. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... déclare être entrée en France en 2021 et s'est depuis lors maintenue sur le territoire français sans entamer de démarches en vue de régulariser sa situation. Dans ces conditions, alors que la décision n'est aucunement fondée sur l'existence d'une menace à l'ordre public et en dépit de la possession d'un passeport algérien en cours de validité et d'une attestation d'hébergement établie par son compagnon, c'est à bon droit que la préfète du Bas-Rhin a estimé que Mme E... ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes et qu'elle présentait un risque de fuite et a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire.
10. En septième lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prenant une décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur d'appréciation et ce, alors même que Mme E... n'aurait jamais fait l'objet d'une condamnation pénale et que sa présence en France ne constituerait pas une menace pour l'ordre public. Mme E... pouvant poursuivre sa vie privée et familiale ailleurs qu'en France et dans l'espace de Schengen, notamment dans le pays dont elle est la ressortissante, une interdiction d'une telle durée ne porte pas au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts dans lesquels a été prise cette mesure de police. Cette dernière, dès lors, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas non plus entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme E..., dont la situation ne se caractérise pas par des circonstances humanitaires ou exceptionnelles.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Stella.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC02991