Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement no 2302038 du 6 février 2024, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2024, M. A..., représenté par Me Boia de la Selarl Le Cab avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, subsidiairement un titre de séjour " travailleur temporaire " sur le fondement de l'article L. 435-3 de ce code ;
4°) de mettre à la charge de B... la somme de 1 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la légalité du refus de séjour :
- la décision en litige est entachée d'erreur de droit quant au fondement du titre de séjour sollicité ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a justifié de son état civil par l'acte de naissance du 20 juin 2022 ;
S'agissant de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la légalité de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.
La requête a été communiquée au préfet de la Marne, qui a produit des pièces.
Les parties ont été informées, par un courrier du 7 mai 2025, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'il y a lieu de substituer les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celles de l'article L. 435-3 comme base légale du refus de titre de séjour, dont le motif demeure inchangé.
Par un mémoire, enregistré le 7 mai 2025, des observations en réponse au moyen soulevé d'office ont été présentées pour M. A....
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 11 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant nigérian déclarant être né le 14 mai 2005, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 27 février 2020 selon ses déclarations et a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance par un jugement en assistance éducative du 4 décembre 2020. Le 29 juillet 2022, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi qu'il ressort du certificat de dépôt remis par les services de la préfecture. Par un arrêté du 3 août 2023, le préfet de la Marne a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 6 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
En ce qui concerne la justification de l'état civil :
2. L'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article L. 811-2 du même code dispose que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Les dispositions de l'article 47 du code civil posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Il ressort de la décision en litige, et n'est pas contesté, que M. A... a remis, le 29 octobre 2022, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un certificat de naissance portant le n° 003782 délivré le 29 novembre 2005 ainsi qu'un passeport délivré le 9 mai 2022. Il ressort du rapport d'examen technique documentaire, réalisé le 17 février 2023, par un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières Est, et dont le préfet s'est approprié les termes pour considérer que le requérant n'établissait pas son état civil, que le certificat de naissance présenté constitue un faux en écriture publique et que le passeport, délivré à la suite de la production du certificat de naissance, doit également pour ce motif être regardé comme un faux document, alors au surplus que, s'agissant d'un passeport biométrique, la puce intégrée ne comporte aucune des informations censées y être contenues.
5. Pour contester le motif de la décision en litige, M. A... produit un second certificat de naissance portant le n° 0599162, délivré à la même date du 29 novembre 2005, qui comporte les mêmes mentions que le premier certificat de naissance, mais dont le cachet humide indique cette fois le nom de B... fédéré de Lagos et non celui d'Ogun, corrigeant ainsi une des anomalies relevées par le rapport d'expertise susmentionné. Le requérant, qui reconnaît que ce second certificat de naissance n'a toutefois pas été expertisé, ne précise pas les raisons pour lesquelles il dispose de deux certificats de naissance établis sur des supports présentant des caractéristiques différentes. Ce second certificat, dont il n'est pas non plus expliqué pourquoi il n'a pas été remis à l'appui de la demande de titre de séjour, n'est pas non plus celui sur la base duquel le passeport nigérian a été délivré à M. A.... Il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme établissant l'état civil de l'intéressé. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui opposant l'absence d'établissement de son état civil, le préfet de la Marne a entaché la décision portant refus de titre de séjour d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne le fondement de la demande de titre de séjour :
6. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Par ailleurs aux termes de l'article L. 423-22 du même code : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ".
7. Il ressort de la décision de refus de titre de séjour en litige que le préfet de la Marne a examiné la demande de régularisation présentée par M. A... sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de la date de naissance du 14 mai 2003 indiquée sur le jugement du 4 décembre 2020 portant placement en assistance éducative. L'attestation de dépôt d'un dossier de régularisation, remise à M. A... le 29 juillet 2022, indique également qu'il est né le 14 mai 2003 et que sa demande est fondée sur l'article L. 435-3 du code précité. Le requérant, qui ne produit d'ailleurs pas sa demande de titre de séjour, n'a pas contesté, alors, l'analyse faite par les services préfectoraux.
8. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette date de naissance en 2003 procède d'une erreur, les documents d'état civil auxquels il est fait référence dans les pièces du dossier portant tous une date de naissance en 2005, laquelle est d'ailleurs confirmée par les résultats de la consultation du " système visabio " en mai 2022, dont il ressort que les autorités consulaires italiennes au Nigéria ont délivré en février 2019 un visa de court séjour à M. A..., s'étant déclaré né le 14 mai 2005, mais comme ayant alors seize ans, et titulaire d'un passeport qui n'est, au demeurant, pas celui dont il s'est prévalu à l'appui de sa demande de titre de séjour.
9. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait du être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
10. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt que la décision de refus de titre de séjour est motivée par l'absence de présentation de documents d'état civil permettant d'établir l'identité de M. A.... Le préfet de la Marne aurait ainsi pris la même décision à l'encontre de l'intéressé, en exerçant en l'espèce le même pouvoir d'appréciation, s'il s'était fondé sur les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il y a lieu de substituer aux dispositions de l'article L. 435-3 du même code, cette substitution de base légale n'ayant pas pour effet de priver l'intéressé d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet de la Marne doit être écarté.
11. En dernier lieu, compte tenu du motif de la décision en litige, M. A..., dont il n'est pas contesté qu'il suit réellement et sérieusement sa formation, n'est pas fondé à soutenir que la décision de refus de titre de séjour méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni celles, en tout état de cause, de l'article L. 435-3 du même code.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de séjour.
13. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. A... résidait sur le territoire français depuis trois ans et demi à la date de la décision en litige. Scolarisé à partir du deuxième trimestre de l'année 2020/2021 en " CAP ébéniste ", sans réussite, il a suivi en 2021/2022 et 2022/2023 une formation en vue de l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle agricole dans les métiers de l'horticulture, dans laquelle il s'est investi avec sérieux ainsi qu'il ressort de ses bulletins de note, de la délivrance d'un diplôme de l'élève méritant au terme de sa première année ainsi que d'un " prix du travail manuel " délivré le 31 mai 2022 par le Club Rotary de Reims et enfin de l'obtention de son diplôme à la session de juin 2023 avec la mention bien. Il s'était inscrit, à la date de la décision en litige, en baccalauréat professionnel production horticole. Toutefois, les mérites du requérant sur le plan scolaire et le soutien qu'il reçoit des personnes qui le suivent ne suffisent pas à établir qu'il aurait désormais ancré en France l'essentiel de sa vie privée. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations précitées.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Boia et au ministre B..., ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Martinez, président,
- M. Agnel, président-assesseur,
- Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre B..., ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 24NC00636