Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société en nom collectif (SNC) Lidl a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 24 juillet 2020 de l'inspectrice du travail refusant l'autorisation de licencier M. A... B... pour inaptitude ainsi que la décision du 4 janvier 2021 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours gracieux dirigé contre décision.
Par un jugement n° 2101061 du 2 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 30 juin 2022, 13 avril 2023 et 19 juin 2023, la société Lidl, représentée par Me Corre, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 mai 2022 ;
2°) d'annuler les décisions des 24 juillet 2020 et 4 janvier 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- M. B... a été informé de la disponibilité du poste d'employé administratif aux entrées marchandises à Saint germain Lès Arpajon dès le 28 novembre 2019, soit près de deux mois avant sa prise de fonctions ;
- il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir proposé à l'intéressé de formation préalable à ce poste, laquelle au demeurant n'était pas nécessaire, alors que des formations étaient prévues dès sa prise de fonctions ;
- M. B... n'a émis aucune crainte d'être licencié pour insuffisance professionnelle sur ce nouveau poste avant le 5 octobre 2020 de sorte qu'en retenant ce motif l'inspectrice du travail puis la ministre ont entaché leur décision d'une erreur de fait ;
- les circonstances des premières recherches de reclassement sont sans influence sur les secondes ;
- l'inspectrice du travail et la ministre ont entaché leur décision d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que ses recherches de reclassement n'étaient ni loyales, ni sérieuses.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Lidl ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures de première instance.
Par des mémoires, enregistrés les 14 mars et 1er juin 2023, M. B..., représenté par Me Mlekuz, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Lidl sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Lidl ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 20 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 juillet 2023.
Le mémoire présenté le 27 septembre 2023 pour la société Lidl n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- les observations de Me Defains-Lacombe substituant Me Corre, représentant la société Lidl,
- et les observations de Me Mlékuz, représentant M. B... .
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été engagé à compter du 24 septembre 2001 par la société Lidl pour exercer les fonctions d'opérateur au sein de la base logistique de la direction régionale de Ploumagoar (Côtes d'Armor). Il était titulaire d'un mandat de conseiller du salarié. A la suite d'un incident qui s'est déroulé sur son lieu de travail le 19 décembre 2018, l'intéressé a été placé en arrêt de maladie. Le médecin du travail ayant émis, le 18 septembre 2019 à l'issue de la visite de reprise prévue par l'article R.4624-31 du code du travail, un avis d'inaptitude de ce salarié à son poste d'opérateur logistique, la société Lidl a engagé des recherches de reclassement. Les propositions de postes communiquées à M. B... le 28 novembre 2019, puis le 20 décembre 2019, n'ont pu aboutir. Le 16 mars 2020, la société Lidl, après avoir convoqué l'intéressé à un entretien préalable et consulté de comité social et économique d'établissement (CSEE), a saisi l'inspectrice du travail d'une demande d'autorisation de licenciement de M. B... pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement. Par une décision du 24 juillet 2020, l'inspectrice du travail a refusé la demande de la société Lidl en remettant en cause le sérieux de ses recherches de reclassement. Le recours hiérarchique de la société dirigé contre cette décision a été rejeté le 4 janvier 2020 par la ministre du travail. La société Lidl relève appel du jugement du 2 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la légalité des décisions contestées :
2. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail (...) à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail (...) ".
3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1226-10 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 28 novembre 2019, la société Lidl a fait parvenir à M. B... plusieurs offres de reclassement. Il n'est pas contesté que le poste de " gestionnaire service paie " au centre des services administratifs de Strasbourg, retenu par l'intéressé, n'était plus disponible avant l'expiration du délai de réflexion qui lui était laissé. De nouvelles propositions de reclassement lui ont été communiquées le 20 décembre 2019. Parmi celles-ci figurait un poste d'employé administratif aux entrées marchandises à Saint-Germain-Lès-Arpajon (Essonne), déjà proposé le 28 novembre 2019. Ce n'est toutefois qu'au cours d'un entretien, tenu le 8 janvier 2020, que M. B... a eu une connaissance suffisante des caractéristiques de ce poste et qu'il a notamment appris qu'il devait prendre ses fonctions le 20 janvier suivant. La société Lidl, qui n'a proposé à ce salarié aucun aménagement des contraintes ainsi fixées, n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'intéressé aurait disposé d'un délai suffisant pour organiser son déménagement ou son hébergement temporaire en région parisienne alors qu'il habitait en Bretagne.
5. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le poste d'employé administratif " entrée des marchandises " requiert un niveau de compétence supérieur à celui d'opérateur logistique, poste précédemment occupé par M. B.... Alors qu'un opérateur logistique est chargé de placer les colis des marchandises commandées par les magasins sur des palettes au moyen d'un engin " longue fourche ", celui d'employé administratif " entrée des marchandises " implique un accueil des chauffeurs venant livrer la plateforme logistique, la réception des marchandises ainsi que la gestion éventuelle des réclamations auprès des fournisseurs. La rémunération afférente à ces fonctions est d'ailleurs plus élevée pour le second poste. Si la société Lidl n'était pas tenue dans le cadre du reclassement de ce salarié de lui proposer une formation excédant la simple adaptation à ce nouveau poste, seul un accompagnement par un autre salarié maîtrisant le poste et les outils informatiques, dont les modalités n'étaient pas précisées, était programmé. Or, si M. B... avait indiqué avoir un niveau scolaire en langues étrangères et ne pas maîtriser l'informatique, aucune précision ne lui était apportée quant aux formations dont il aurait pu bénéficier dans ces domaines. Ainsi que l'a relevé la ministre du travail, M. B... a ainsi pu légitimement exprimer, lors de l'enquête réalisée dans le cadre du recours hiérarchique de la société, ses craintes de ne pas pouvoir acquérir les compétences requises dans un délai suffisant puis d'être licencié, après avoir engagé des frais pour son installation en région parisienne.
6. Par suite, eu égard à ce qui vient d'être dit aux points 4 et 5, l'inspectrice du travail puis la ministre du travail ont pu estimer que les recherches de reclassement effectuées par la société Lidl ne revêtaient pas un caractère loyal et sérieux. Ce motif était dès lors suffisant pour justifier le refus d'autoriser cette société à procéder au licenciement pour inaptitude de M. B..., sans qu'il soit nécessaire qu'ils se prononcer sur le lien allégué entre ce licenciement et l'exercice de son mandat de représentant du personnel.
7. Il résulte de tout ce qui précède, que la société Lidl n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 24 juillet 2020 et 4 janvier 2021 refusant d'autoriser le licenciement pour inaptitude de M. B....
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société Lidl de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Lidl le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Lidl est rejetée.
Article 2 : La société Lidl versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Lidl, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02060