Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes :
- d'annuler la décision par laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vannes a implicitement rejeté sa demande du 26 décembre 2018 de protection fonctionnelle et d'enjoindre au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vannes de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
- d'annuler la décision du 2 avril 2019 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
- d'annuler la décision par laquelle le président du tribunal de grande instance de Vannes a implicitement rejeté sa demande de protection fonctionnelle et d'enjoindre au président du tribunal de grande instance de Vannes de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Par un jugement nos 1902058, 1902735 et 1906262 du 20 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes de Mme A....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 mars 2022 et les 24 février et 24 mars 2023, Mme A..., représentée par Me Deleurme-Tannoury, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 janvier 2022 ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vannes a implicitement rejeté sa demande du 26 décembre 2018 de protection fonctionnelle, ainsi que la décision du 2 avril 2019 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et la décision par laquelle le président du tribunal de grande instance de Vannes a implicitement rejeté sa demande de protection fonctionnelle et d'enjoindre à ces autorités de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont nécessairement admis que les juges des tutelles du tribunal judiciaire de Vannes avaient méconnu le principe général du droit interdisant à l'autorité administrative de prendre deux ou plusieurs sanctions à l'égard d'un même agent, pour des mêmes faits ;
- les premiers juges ne pouvaient fonder leur décision sur des faits prétendument " corroborés " ou " confirmés " par la Cour de cassation, sauf à méconnaître l'étendue des compétences du juge de cassation, qui se borne, en tant que juge de cassation, à reprendre l'exposé des faits tel qu'énoncé par la Cour d'appel ;
- le tribunal s'est borné à reprendre les déclarations du ministère de la Justice, aucune pièce justificative n'étant fournie par l'administration à l'appui de ses allégations ;
- en décidant que sa privation de travail, postérieure au 3 mai 2016, résultait de la perte de confiance de l'administration et en se fondant sur des motifs qui s'attachaient exclusivement aux ordonnances de dessaisissement du 3 mai 2016, propres à chaque majeur protégé concerné, le tribunal a commis une erreur d'interprétation du sens des 25 arrêts rendus par la Cour d'Appel de Rennes le 19 décembre 2017, dès lors que sa privation de travail et de rémunération est constitutive d'une radiation et caractérise une situation de harcèlement moral :
* une procédure de retrait d'agrément a été initiée, en méconnaissance des règles applicables et par un jugement du 24 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté préfectoral lui retirant son agrément de mandataire judiciaire à la protection des majeurs ;
* alors que son agrément emporte de plein droit le maintien de son inscription automatique sur la liste départementale des mandataires agréés pour exercer dans le département, les juges des tutelles du tribunal judiciaire de Vannes refusent de la recevoir et de lui attribuer des mesures de protection, dans le respect de l'égalité de traitement entre agents publics ;
* la détention d'un agrément en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs confère au professionnel concerné un droit acquis à se voir confier des mesures de protection par les juges des tutelles et le principe d'égalité de traitement entre agents publics oblige le juge des tutelles à confier à chaque mandataire des mesures de protection ;
* l'administration envisage de délivrer quatre nouveaux agréments en toute illégalité ;
* elle a été exclue systématiquement et sans justifications des réunions annuelles organisées par les juges des tutelles et à toutes informations intéressant sa profession, sur la période comprise entre le 3 mai 2016 et 2020 ;
* elle a subi une dégradation de ses conditions de travail compromettant sa santé et son avenir professionnel ;
- l'attitude de l'administration s'apparente, en réalité, à une véritable sanction disciplinaire déguisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 7 août 2023, la clôture immédiate de d'instruction a été prononcée en application des dispositions des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire a été enregistré le 23 août 2023 pour Mme A....
Une note en délibéré a été enregistrée le 30 octobre 2023 pour Mme A....
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- l'arrêté du 1er décembre 2014 fixant l'organisation en bureaux de la direction des services judiciaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... s'est vu délivrer un agrément lui permettant d'exercer les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, par un arrêté du préfet du Morbihan du 23 février 2011. S'estimant victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de certains juges des tutelles du tribunal d'instance de Vannes, elle a adressé, le 4 mars 2016, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vannes une demande de protection fonctionnelle. Cette demande a été rejetée le 24 mars 2016. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision de refus de protection fonctionnelle du 24 mars 2016. Mme A... a alors présenté des nouvelles demandes de protection fonctionnelle, auprès du garde des Sceaux, ministre de la justice, du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vannes et auprès du président du tribunal de grande instance de Vannes.
2. La requérante a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision par laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vannes a implicitement rejeté sa demande du 26 décembre 2018 de protection fonctionnelle, ainsi que la décision du 2 avril 2019 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et la décision par laquelle le président du tribunal de grande instance de Vannes a implicitement rejeté sa demande de protection fonctionnelle. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 janvier 2022 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Si Mme A... soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en ce que le tribunal ne pouvait fonder sa décision sur des faits prétendument " corroborés " ou " confirmés " par la Cour de cassation, sauf à méconnaître l'étendue des compétences du juge de cassation, ce moyen relève de la contestation du bien-fondé du jugement en cause. A supposer que la requérante ait soulevé le moyen tiré de ce que les premiers juges se seraient, en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure, fondés sur des pièces absentes du dossier, il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions en question, contestées par Mme A..., ont été versées aux débats en première instance.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes des dispositions de l'article 11 de la même loi : " I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".
5. D'une part, il résulte d'un principe général du droit que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Ce principe général du droit s'étend à toute personne à laquelle la qualité de collaborateur du service public est reconnue.
6. D'autre part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
7. En l'espèce, comme l'a relevé le tribunal, Mme A... apporte son concours, en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, à l'autorité judiciaire au titre de la protection juridique des majeurs. Cette mission, assurée par l'Etat au travers des mesures de protection décidées par les juges des tutelles, constitue une mission de service public. Dès lors, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, chargés de mettre en œuvre ces mesures, doivent être regardés comme participant à l'exécution de cette mission de service public et peuvent être qualifiés de collaborateurs du service public.
8. En premier lieu, Mme A... fait valoir que les juges des tutelles du tribunal judiciaire de Vannes ont méconnu le principe général du droit interdisant à l'autorité administrative de prendre deux ou plusieurs sanctions à l'égard d'un même agent, pour des mêmes faits. Il ne ressort cependant d'aucune pièce du dossier que ces juges des tutelles ont méconnu le principe cité ci-dessus.
9. En deuxième lieu, les faits relevés par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 décembre 2019 et par la cour d'appel de Rennes dans ses arrêts du 19 décembre 2017 ou la circonstance que les arrêts rendus par la Cour d'Appel de Rennes n'aient pas été versés aux débats par les parties sont sans incidence sur la légalité de la décision en cause.
10. En troisième lieu, en se prévalant notamment d'une privation totale de travail et de rémunération et du fait qu'aucune mesure de protection ne lui ait été confiée depuis 2016, malgré ses demandes en ce sens, et qu'elle avait notamment fait l'objet d'une procédure de retrait d'agrément irrégulière, Mme A... allègue des faits qui sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
11. Toutefois, il résulte notamment de l'arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2019 que la requérante : " avait non seulement adopté des comportements et tenu des propos inadaptés auprès des majeurs protégés, mais encore exprimé des critiques ouvertes, injustifiées et outrancières à l'encontre du juge des tutelles, ce qui avait nécessairement conduit à une perte de confiance dans la capacité de celle-ci à remplir ses fonctions de curatrice et de tutrice auprès des majeurs protégés concernés ". Si la détention d'un agrément en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs donne vocation à se voir confier des mesures de protection, cet agrément n'implique pas l'obligation pour le juge des tutelles de confier à chaque mandataire des mesures de protection. La circonstance qu'une procédure de retrait d'agrément a été initiée, en méconnaissance des règles applicables, et que par un jugement du 24 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté préfectoral retirant à Mme A... son agrément de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, n'est pas de nature à démontrer un quelconque lien entre cette procédure et des faits constitutifs de harcèlement moral. Par ailleurs, la seule production de convocations à des réunions annuelles en 2014 et 2015, ne saurait suffire pour établir que Mme A... aurait été exclue systématiquement des réunions annuelles organisées par les juges des tutelles et à toutes informations intéressant sa profession, sur la période comprise entre le 3 mai 2016 et 2020. Enfin, si cette situation a pu conduire à une dégradation des conditions de travail de Mme A..., compromettant sa santé et son avenir professionnel, cette dégradation ne résulte pas des agissements de l'administration. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que les agissements en cause, au titre desquels Mme A... a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, puissent être qualifiés d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 416 du code civil : " Le juge des tutelles et le procureur de la République exercent une surveillance générale des mesures de protection dans leur ressort (...). ". Aux termes de l'article 417 du code civil : " Le juge des tutelles peut prononcer des injonctions contre les personnes chargées de la protection et condamner à l'amende civile prévue par le code de procédure civile celles qui n'y ont pas déféré. Il peut les dessaisir de leur mission en cas de manquement caractérisé dans l'exercice de celle-ci, après les avoir entendues ou appelées. Il peut, dans les mêmes conditions, demander au procureur de la République de solliciter la radiation d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs de la liste prévue à l'article L. 471-2 du code de l'action sociale et des familles. "
13. Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs apportent leur concours à une mission de service public, assurée par l'Etat au travers des mesures de protection décidées par les juges des tutelles. Dans ces conditions, il appartient au juge administratif de l'excès de pouvoir de s'assurer que les mesures administratives prises par le juge des tutelles en application des articles 416 et 417 du code civil ont pour but exclusif de préserver le bon fonctionnement du service public de la justice.
14. En l'espèce, la circonstance que Mme A... ne s'est vu confier aucune mesure de protection entre 2016 et le retrait de son agrément en 2020 n'est pas constitutive d'un harcèlement moral mais résulte exclusivement de la perte de confiance de l'administration dans la capacité de la requérante à remplir ses fonctions de curatrice et de tutrice auprès des majeurs protégés concernés et ne saurait, en tout état de cause, être assimilée à une sanction disciplinaire déguisée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 20 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 27 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- Mme Gélard, première conseillère
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 novembre 2023.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22NT00862