Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... J... H..., M. A... K... E... et M. D... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 12 février 2021 de l'autorité consulaire française à C... (Congo) refusant de délivrer à l'enfant B... I..., à M. A... K... E... et à M. D... G... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n°s 2108913, 2108961 et 2108962 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 2 juin 2021 de la commission de recours en tant qu'elle refuse de délivrer à M. A... K... E... et à M. D... G... les visas de long séjour demandés et a rejeté la requête n° 2108913.
Procédure devant la cour :
Par une requête, un mémoire ampliatif et des mémoires, enregistrés les 23 mai, 28 juin, 8 août 2022 et 26 mai 2023 (ce dernier n'ayant pas été communiqué), M. A... J... H..., représenté par Me Peleka, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 2 juin 2021 en tant que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à l'enfant B... I... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation du caractère probant des éléments produits pour établir l'identité de l'enfant B... I... et leur lien familial ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.
M. H... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 août 2022 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relatives aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 2 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse de délivrer à M. A... K... E... et M. D... G... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié et a rejeté les conclusions présentées par M. H... tendant à l'annulation de la même décision en tant qu'elle refuse de délivrer à l'enfant B... I... le visa demandé. M. H... relève appel de ce jugement dans cette mesure.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision de la commission de recours est fondée sur ce que l'identité de la demanderesse et son lien familial avec le réunifiant ne sont établis ni par l'acte de naissance de l'enfant B... I..., née postérieurement à l'entrée en France de M. H..., l'acte ne précisant pas l'identité du déclarant et ne portant pas sa signature, ni par des éléments probants de possession d'état. La décision contestée est également fondée sur ce que l'autre parent n'étant ni décédé, ni déchu de l'exercice de ses droits parentaux ou du droit de garde, l'intérêt supérieur de l'enfant commande qu'il reste auprès de son autre parent dans son pays d'origine.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". En outre, aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
5. Enfin, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors en vigueur : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. En premier lieu, à l'appui de la demande de visa présentée pour l'enfant B... I..., née le 9 avril 2005, a été produit un duplicata d'un acte de naissance établi le 9 mai 2005 par l'officier de l'état-civil de la commune de Nkayi. Si le ministre de l'intérieur soutient que ce document ne comprend ni l'identité ni la signature du déclarant, il ne précise pas quelles règles relatives à l'état-civil congolais auraient été méconnues en l'espèce. En outre, les mentions de l'acte de naissance correspondent aux déclarations de M. H... dans sa fiche familiale destinée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, en estimant que l'identité de la demanderesse de visa, et partant, son lien familial à l'égard de M. H... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 3.
7. En second lieu, le requérant produit pour la première fois en appel une ordonnance de délégation de l'autorité parentale, rendue le 27 décembre 2018 par la présidente du tribunal pour enfants de C..., qu'il soutient avoir communiquée à l'autorité consulaire française au Congo dans son dossier de demande de visa de long séjour pour l'enfant B... I.... Il ressort de cette ordonnance que l'autorité parentale sur l'enfant est transférée
M. H..., lequel est domicilié en France. En outre, il ressort des pièces du dossier que la mère de l'enfant a donné son accord, devant l'officier de l'état-civil de la commune de Nkayi dont la signature a été légalisée, pour que la jeune B... I... rejoigne son père en France. Dans ces conditions, en refusant la délivrance du visa demandé au motif que la mère de l'enfant n'était pas déchue de ses droits parentaux ou de garde, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 434-3 et L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que M. F... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse de délivrer à l'enfant B... I... le visa demandé.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant B... I.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ce visa à l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. D'une part, M. H... n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, son avocat n'a pas demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 mars 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la requête n° 2108913.
Article 2 : La décision du 2 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle refuse de délivrer à l'enfant B... I... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à l'enfant mineure, B... I..., le visa de long séjour demandé, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... J... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2024.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01620