Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2022 par lequel le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire sans délai, lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2202896 du 2 février 2023, le président du tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 21 décembre 2022 et a enjoint au préfet du Calvados de procéder au réexamen de la situation administrative de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 février 2023, le préfet du Calvados demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Caen du 2 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- quand bien même il dispose d'une autorisation et d'un contrat de travail, M. B... n'a pas sollicité le visa de long séjour qui lui était nécessaire en application de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni un titre de séjour ;
- la décision contestée ne porte pas sur un refus de titre de séjour ;
- elle ne méconnaît pas les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Derlange, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant argentin, né le 21 octobre 1991, est entré en France en février 2022, selon ses déclarations. Par un arrêté du 21 décembre 2022, le préfet du Calvados lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an et a fixé le pays de destination. Le préfet relève appel du jugement du 2 février 2023 par lequel le président du tribunal administratif de Caen a, sur la demande de M. B..., annulé l'arrêté du 21 décembre 2022 du préfet du Calvados et a enjoint à celui-ci de procéder au réexamen de la situation administrative de l'intéressé.
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré (...) ". Aux termes de l'article L. 312-2 du même code : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an.
Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité de visiteur, d'étudiant, de stagiaire ou au titre d'une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24. ".
3. Pour annuler l'arrêté du 21 décembre 2022, le président du tribunal administratif de Caen a estimé qu'en obligeant M. B... à quitter le territoire français sans délai, le préfet du Calvados avait commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé, telle qu'elle ressortait des pièces du dossier qui permettaient de considérer que la régularisation de sa situation administrative était une perspective raisonnable.
4. Toutefois, s'il est constant que M. B... a obtenu une autorisation de travail le 19 janvier 2022 et qu'il dispose d'un contrat de travail signé le 1er février 2022, il ne ressort pas des pièces du dossier que, comme il le soutient, il aurait demandé un titre de séjour pour régulariser sa situation. Il ressort de ses propres déclarations à la gendarmerie, lors de son audition en retenue le 21 décembre 2022, qu'il n'a jamais disposé de visa de long séjour et que le visa de court séjour qui lui a permis d'entrer en Espagne en 2020 était expiré depuis longtemps quand il est venu en France. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est célibataire, sans charges de famille en France, alors qu'il a deux enfants mineurs en Argentine. Il n'est justifié d'aucune circonstance exceptionnelle liée à son activité professionnelle qui ferait manifestement obstacle à son éloignement, alors qu'il n'est entré sur le territoire français que depuis peu. Dans ces conditions, le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif de Caen s'est fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entaché son arrêté pour l'annuler.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Caen et la cour.
6. En premier lieu, M. B... ne peut utilement soutenir qu'il n'est pas établi que M. C... disposait d'une délégation de signature lui permettant d'adopter la décision en litige, dès lors que celui-ci n'est pas l'auteur de cette décision mais seulement son agent notificateur.
7. En deuxième lieu, l'arrêté contesté, qui précise les éléments de droit et de fait sur lesquels il est fondé est suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".
9. En vertu de leurs termes mêmes, les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, aujourd'hui codifiées aux articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'il ressort des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur que le législateur a entendu déterminer dans ce code l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté comme inopérant.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. (...) ". L'article L. 5221-2 du code du travail dispose que : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ".
11. M. B... ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'il pourrait prétendre à un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'arrêté contesté est fondé sur le fait qu'il n'est pas titulaire d'un titre de séjour et que ces dispositions ne prévoient pas l'attribution d'un titre de plein droit. En tout état de cause, il ne peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions faute de disposer du visa mentionné à l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est célibataire, sans charges de famille en France, alors qu'il a deux enfants mineurs en Argentine. Il n'est entré en France qu'en février 2022 alors qu'il a vécu en Argentine au moins jusqu'à l'âge de vingt-huit ans. Dans ces conditions, quand bien même son frère exerce, au même endroit et pour le compte du même employeur, le même emploi que lui, le préfet du Calvados n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B.... Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
14. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. M. B... ne fait état d'aucun risque précis auquel il serait exposé en cas de retour en Argentine. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est fondé à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté du 21 décembre 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2202896 du 2 février 2023 du président du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Geniès et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 2 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2024.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00379