Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 juillet 2019 par laquelle la ministre du travail a autorisé son licenciement pour inaptitude.
Par un jugement n° 1909955 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 16 juillet 2019 en tant qu'elle autorise le licenciement de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 février 2023 et un mémoire enregistré le 10 janvier 2024, la ... (...), représentée par Me Sapène, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 décembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par Mme B... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- en se prononçant sur l'origine de l'inaptitude de Mme B..., le tribunal administratif a outre-passé ses pouvoirs et conféré à l'administration un pouvoir qu'elle n'a pas ;
- la preuve du lien de causalité entre l'exercice des fonctions représentatives de Mme B... et la dégradation de son état de santé n'est en aucun cas apportée ; il convient en effet de distinguer un épuisement professionnel et la dégradation de son état de santé qui serait liée à l'exercice de ses mandats syndicaux ;
- depuis l'aménagement de son poste en 2015, Mme B... n'éprouve plus de difficultés à prendre ses heures de délégation ;
- l'intéressée n'établit pas la prétendue hostilité de son employeur lors des instances représentatives du personnel ; les témoignages imprécis dont elle se prévaut ne sauraient caractériser un lien direct entre la dégradation de sa santé et l'exercice de ses mandats alors qu'aucune mention ne vient confirmer ses dires dans les comptes rendus de réunions de la délégation unique du personnel ; les demandes de la direction d'accéder aux documents comptables et financiers du comité d'établissement (CE) étaient parfaitement légitimes ; l'intéressée, qui assurait les fonctions de trésorière du CE depuis 2014, a cependant refusé d'y faire droit pendant plusieurs années et les comptes de 2015 et 2016 n'ont jamais été présentés en réunion ; elle a refusé de communiquer les comptes au trésorier adjoint qui avait été désigné en son absence et a fait appel à un cabinet comptable de son choix ; les comptes et analyse comptables de 2015 et 2°16 ont été présentés en DUP les 15 mars et 19 juillet 2017 soit bien avant son avis d'inaptitude émis le 8 octobre 2018 ; ces évènements ne présentent dès lors aucun lien avec son licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Conte, en qualité d'administrateur provisoire du cabinet de Me Moine, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 7 000 euros soit mise à la charge de la ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la ... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Garcia, substituant Me Sapène, représentant la ....
Considérant ce qui suit :
1. Le 14 février 2005, Mme B... a été recrutée par la ... (...), dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, pour assurer les fonctions d'assistante commerciale. Cette société, qui a pour activité l'assainissement et la collecte de déchets industriels en vue de leur traitement, appartient au groupe ..., filiale du groupe .... Mme B... est membre titulaire de la délégation unique du personnel depuis le 18 avril 2016 et était, auparavant, membre du comité d'entreprise, dont elle assure les fonctions de trésorière depuis 2014. Elle est également déléguée syndicale. Le 8 octobre 2018, à l'occasion d'une visite de reprise, le médecin du travail a déclaré Mme B... inapte à son poste et à tout autre poste au sein de la ... mais apte à travailler dans une autre organisation. L'intéressée a refusé les offres de reclassement dans les filiales du groupe auquel appartient la ... qui lui ont été proposées. Le 28 novembre 2018, la société a sollicité auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour inaptitude cette salariée protégée en raison de ses mandats syndicaux. Par une décision du 22 janvier 2019, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation demandée mais, par une décision du 16 juillet 2019, la ministre du travail, saisie par la ... sur recours hiérarchique, a autorisé le licenciement de Mme B... pour inaptitude. La ... relève appel du jugement du 15 décembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 16 juillet 2019 en tant qu'elle autorise le licenciement pour inaptitude de Mme B....
Sur la légalité de la décision du 16 juillet 2019 :
2. Il convient à titre liminaire, ainsi que le soutient la société requérante, de distinguer les faits invoqués par Mme B... se rapportant à ses relations de travail avec son employeur en sa qualité d'assistante commerciale, de ceux relatifs à l'exercice de ses mandats de représentante du personnel, seuls en litige dans le cadre du présent litige. Ainsi, sont sans incidence sur la légalité de la décision de la ministre du travail autorisant son licenciement pour inaptitude, annulée par les premiers juges, l'origine professionnelle ou non de son inaptitude, les relations difficiles qu'entretenait Mme B... avec son supérieur hiérarchique, les sanctions disciplinaires prises à son encontre ainsi que les procédures introduites par cette salariée devant le conseil de prud'hommes, lesquelles sont sans lien avec ses mandats syndicaux.
3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise, et non de rechercher la cause de cette inaptitude. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard, de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
4. La décision contestée rappelle en premier lieu, que, si Mme B... a rencontré des difficultés pour bénéficier des autorisations d'absence ou heures de délégation, destinées à lui permettre d'assurer pleinement ses mandats de membres du comité d'entreprise et de la délégation unique du personnel, et en particulier ses fonctions de trésorière de ces instances, par un courrier du 1er juin 2015 son employeur a consenti à aménager les tâches qui lui étaient dévolues dans le cadre de ses fonctions d'assistante commerciale. Dans un courrier du 7 juillet 2015, l'inspecteur du travail a pris acte de la volonté de la ... de modifier les attributions de cette salariée tout en soulignant cette prise en compte " tardive ". La ... rappelle que ces faits sont toutefois anciens. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B..., qui a été placée à plusieurs reprises en congés de maladie et notamment à compter du 20 juin 2018, n'aurait pas, depuis 2015, bénéficié des autorisations d'absence nécessaires à l'exercice de ses mandats syndicaux.
5. La ... met en avant, en deuxième lieu, le caractère imprécis des témoignages produits par Mme B... à l'appui de sa requête, lesquels ont été pris en compte par le tribunal administratif pour annuler la décision de la ministre du travail. Cette dernière avait en effet considéré que ces attestations étaient " peu circonstanciées " et " ne permett[ai]ent pas à elles-seules d'établir un lien direct entre la dégradation de l'état de santé de la salariée et l'exercice par cette dernière de ses mandats ". Il ressort toutefois des nombreuses attestations dont se prévaut Mme B..., que l'ensemble des autres représentants du personnel, membres de la délégation unique du personnel, dénoncent de manière concordante et unanime l'attitude " suffisante, hautaine et dédaigneuse ", " humiliante " et " agressive " de la direction de la ... au cours des réunions de cette instance à l'encontre de Mme B..., notamment lorsqu'elle prenait la parole. Certains évoquent des propos " diffamatoires " " injustifiés " et " humiliants " qui ont été tenus à l'occasion des réunions des 18 janvier et 15 mars 2017 aux cours desquelles des membres de la direction lui ont reproché " de manière désobligeante et humiliante " de ne pas avoir suffisamment détaillé les comptes de la délégation unique du personnel alors qu'elle se conformait à la pratique auparavant admise. Un autre représentant du personnel dénonce un " acharnement " d'un membre de la direction à l'encontre de Mme B.... Dans sa décision du 22 janvier 2019, l'inspecteur du travail avait considéré pour sa part, après avoir réalisé une enquête contradictoire au sein de la société, que les sept attestations dont il disposait étaient " précises et concordantes " et suffisantes pour justifier le lien entre l'autorisation de licenciement sollicitée et les mandats de Mme B.... En outre, si la société requérante fait valoir que les comptes rendus des réunions de la délégation unique du personnel ne confirment pas ces témoignages, ces documents ne retracent, ni les débats, ni leur teneur mais se bornent à récapituler les décisions prises, ainsi qu'en atteste la mention figurant au point 8 du compte rendu de la réunion du 19 juillet 2017. Il s'ensuit, que ces attestations permettent d'établir le lien entre la demande de licenciement de Mme B... et son mandat.
6. La ... soutient, en dernier lieu, que les comptes du comité d'entreprise puis de la délégation unique du personnel n'étaient pas présentés par Mme B... dans les délais impartis, et rappelle qu'elle était en droit d'en demander la consultation. Elle précise que, dès le mois de janvier 2015, alors que l'intéressée venait d'être élue en qualité de trésorière, un logiciel plus simple lui a été fourni pour la tenue des comptes et qu'elle avait bénéficié de l'assistance d'une collègue de la direction financière. Il n'est cependant pas contesté que la gestion des comptes du comité d'entreprise et de la délégation unique du personnel de la ... est rendue plus complexe en raison de l'éloignement de ses agences et que le logiciel mis en place, présenté comme simplifié, ne permettait ni de clôturer une année comptable, ni d'établir une présentation du bilan ou du compte de résultat ou de vérifier l'exactitude des comptes, ainsi que l'indique notamment l'attestation de la consultante en comptabilité, indépendante, à laquelle il a été fait appel en 2017. Par ailleurs, si un trésorier adjoint a été élu au cours d'une réunion de la délégation unique du personnel qui s'est tenue le 18 janvier 2017, il n'apparaît pas qu'avant cette date Mme B... aurait refusé la désignation d'un autre membre de la délégation unique du personnel pour l'assister. En revanche, ainsi qu'il a été dit au point 4, les attestations des autres représentants du personnel confirment les accusations de malversations financières portées à l'encontre de Mme B..., dont les compétences pour assurer les fonctions de trésorière étaient régulièrement remises en cause par la direction de la ... en présence de ses collègues. Le compte rendu de la réunion du 15 mars 2017 au cours de laquelle l'intéressée a présenté les comptes de l'année 2016 et une situation des comptes bancaires au 14 mars 2017, mentionne ainsi que certains membres de la direction de la ... " ont détaillé avec un zèle excessif lesdits documents " en ajoutant que " cette attitude n'a pas échappé à l'ensemble des membres présents ". Si, le 17 mai 2017, la consultante en comptabilité a attesté de la bonne tenue des comptes par Mme B... et si la ministre a relevé que, lors de la réunion de la délégation unique du personnel du 19 juillet 2017, les doutes sur la bonne gestion tenue par Mme B... de ces comptes avaient été levés, l'inspecteur du travail a pu prendre en compte ces éléments, en complément de ceux rappelés au point 4, pour estimer que l'inaptitude de la salariée résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, et que la demande de licenciement de cette salariée protégée présentait un lien avec son mandat syndical.
7. Il résulte de tout ce qui précède, que la ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 16 juillet 2019 autorisant le licenciement pour inaptitude de Mme B....
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la ... de la somme qu'elle demande sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, cette société versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ... est rejetée.
Article 2 : La ... versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à Mme A... B....
Délibéré après l'audience du 16 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00389