Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme L... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 15 mai 2020 par lequel le maire de la commune de M... a prononcé à son encontre la sanction de l'exclusion temporaire pour une durée de sept mois, assortie d'un sursis de trois mois.
Par un jugement n°2002905 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de Mme E....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 juillet, 19 novembre et 6 décembre 2023, Mme E..., représentée par Me Troude, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 mai 2023 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 mai 2020 par lequel le maire de la commune de M... a prononcé à son encontre la sanction de l'exclusion temporaire pour une durée de sept mois, assortie d'un sursis de trois mois ;
3°) de mettre à la charge de la commune de M... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la sanction a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que le conseil de discipline n'a pas été de nouveau saisi, alors que ce dernier aurait proposé une sanction différente compte tenu de faits considérés comme non avérés ou minorés par le juge administratif ;
- les faits sont prescrits, l'engagement des poursuites disciplinaires n'a pas été initiée dans un délai raisonnable ;
- les faits reprochés ne sont pas établis, s'agissant des violences commises à l'encontre de plusieurs enfants, du défaut de soin commis à l'égard des enfants, la non-exécution de certaines missions, l'usage du téléphone de l'établissement à des fins personnelles, la présence répétée de son fils dans l'enceinte de l'établissement et le dénigrement du travail des enseignants ;
- la sanction est disproportionnée ;
- elle est entachée d'un détournement de procédure.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 septembre et 28 novembre 2023, la commune de M... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E... la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E... sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Troude représentant Mme E... et Me Leduc représentant la Commune de M....
Considérant ce qui suit :
1. Mme L... E... a été titularisée en qualité d'agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) le 1er juillet 2013. Elle exerçait ses fonctions au sein des services de la commune de M... à l'école maternelle des F.... Par un arrêté du 28 octobre 2017, le maire de M... lui a infligé une sanction disciplinaire relevant du quatrième groupe, à savoir la révocation, avec effet à compter du 9 novembre 2017 ou à l'issue du congé de maladie de l'intéressée, en cas de prolongation de ce dernier. Par un jugement du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté. Par un arrêté du 15 mai 2020, le maire de la commune de M... a prononcé à l'encontre de Mme E... une sanction d'exclusion temporaire d'une durée de sept mois, assortie d'un sursis de trois mois. Par sa présente requête, Mme E... demande à la Cour l'annulation du jugement du 26 mai 2023 du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Rennes a, par un jugement du 21 novembre 2019, annulé l'arrêté du 28 octobre 2017 par lequel le maire de la commune de M... a prononcé à l'encontre de Mme E... la sanction de la révocation au motif que la sanction prononcée était disproportionnée. Dès lors que le tribunal n'a censuré aucune irrégularité dans la procédure préalable à l'intervention de cette sanction et qu'aucun grief nouveau n'a été retenu à la charge de l'intéressée, l'autorité administrative n'était pas tenue de saisir à nouveau le conseil de discipline pour qu'il se prononce sur cette nouvelle sanction à raison des mêmes faits.
3. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " (...) Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. En cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire (...) ".
4. En l'espèce, il n'est pas contesté que le maire de M... a décidé d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme E... par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 juillet 2017, soit moins de trois ans après que l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. Par suite, le moyen tiré de ce que les faits sont prescrits et que l'engagement des poursuites disciplinaires n'a pas été initiée dans un délai raisonnable doit être écarté.
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
En ce qui concerne le manquement à l'honneur et à la probité :
Quant au grief retenu de " violences commises à l'encontre de plusieurs enfants " :
6. A... ressort du témoignage écrit du 29 mai 2017 rédigé par Mme B..., inspectrice de l'éducation nationale, adressé au maire de M..., que, lors d'une inspection en classe de petite section le 16 mars 2017, Mme B... a entendu à l'heure de la récréation une personne hurler longuement dans le couloir. Elle a alors quitté la classe pour voir ce qui se passait. Elle atteste avoir vu Mme E... " prendre très brusquement un enfant par l'épaule et le rapprocher d'elle brusquement ". Interpellée sur son comportement incorrect par l'inspectrice, la requérante aurait répondu : " Oui, je sais ". Selon le témoignage de Mme C..., également ATSEM, du 15 mai 2017 et celui de Mme K..., enseignante, en date du 30 juin 2017, un enfant se serait plaint que Mme E... l'aurait pincé. Si Mme C... ne cite pas le nom de l'enfant concerné dans son témoignage, cette pratique est néanmoins confirmée par Mme K..., qui atteste qu'un des élèves de petite section est venu un matin la voir pour lui dire " L... m'a pincé ". Il est également reproché à Mme E... de tirer régulièrement certains enfants par le bras ou par le col, lors des déplacements, ou pour se ranger, ce qui est confirmé par Mme G..., également enseignante. Contrairement à ce qui est allégué par la requérante, les premiers juges n'ont pas confondu les propos du maire avec ceux de l'inspectrice de l'éducation nationale. Enfin, le témoignage de Mme N..., collègue de l'exposante, attestant du professionnalisme de Mme E..., n'est pas de nature à remettre en cause ces éléments concordants.
7. Il est également reproché à Mme E... de cacher régulièrement la tête des enfants sous un drap lors de la sieste. Il ressort des pièces du dossier que Mme G... a attesté, dans son témoignage du 28 juin 2017, que la requérante : " met le drap sur la tête des enfants afin qu'ils dorment " pendant la sieste. Mme C..., dans son courriel du 1er juin 2017, rapporte également qu'une enfant s'est plaint à sa maîtresse car " L... l'a cachée à la sieste. A plusieurs reprises il lui a été demandé de ne pas mettre les draps sur la tête des enfants, certains ne veulent pas venir à la sieste à cause de ça, mais elle continue car selon ses dires, sinon ils ne dorment pas (...) plusieurs enfants sont cachés tous les jours (...) ". La mère d'une élève confirme d'ailleurs dans une attestation du 6 septembre 2021 que sa fille lui avait signalé cette pratique. Par ailleurs, le procès-verbal du conseil de discipline du 3 novembre 2017 précise, dans le cadre des échanges entre les membres du conseil, que " Mme E... indique le faire car Mme H... le faisait et lui avait dit de faire ainsi comme méthode d'endormissement habituelle ". La circonstance que l'équipe pédagogique n'ait pas réagi face à cette pratique n'implique pas que les faits en question ne soient pas avérés.
8. Enfin, il ressort des pièces du dossier, notamment des témoignages de Mme G... et Mme K... que Mme E... profère des propos inadaptés et des cris à l'encontre des enfants. Si Mme E... conteste cette affirmation et produit de nombreuses attestations émanant d'usagers du service public ou de professionnels de la petite enfance, décrivant favorablement l'exercice de ses fonctions d'ATSEM, il est constant que ces personnes n'étaient pas en contact direct avec Mme E... lors de l'exercice de ses fonctions et ne sauraient, dans ces conditions, remettre en cause les témoignages précités. Il résulte de ce qui précède que les faits de violences commises à l'encontre de plusieurs enfants sont établis.
Quant au grief retenu de " défaut de soins à l'égard des enfants " :
9. A... est également reproché à Mme E... un défaut de soins et de prise en charge correcte des enfants en ce qui concerne leur hygiène, en refusant d'exécuter certaines tâches, plus particulièrement le change et la toilette de ceux qui ne sont pas encore propres, ce comportement caractérisant un manque de soins et d'attention à l'égard des enfants d'école maternelle.
10. Ce point est confirmé par les témoignages de Mmes C... et G..., qui attestent que Mme E... refuse d'exécuter certaines tâches relatives à la propreté et l'hygiène des enfants, certains n'étant pas encore propres ou nécessitant une aide susceptible d'être apportée par une ATSEM. Ainsi, deux incidents se sont déroulés les 12 mai et 20 juin 2017, durant lesquels Mme E... n'a pas changé un enfant qui avait uriné dans ses vêtements et n'a pas aidé un enfant qui souhaitait aller aux toilettes, ce qui a eu pour conséquence de le laisser uriner également dans ses vêtements. Mme G... ajoute à ce sujet que : " certains enfants reviennent avec le bouton ou la braguette ouverte après le passage aux toilettes. Ils ne sont pas aidés pour se rhabiller (tee-shirt dans le pantalon) après le passage aux toilettes ". La circonstance que le nom de l'enfant concerné ne soit pas précisé ou que l'administration ne verse pas d'attestation des parents de l'enfant en cause n'est pas de nature à remettre en question ces témoignages. Si la mère de l'enfant concernée par l'incident atteste par ailleurs, le 2 septembre 2017, que la requérante n'a jamais refusé de changer leur enfant après " l'incident urinaire ", elle ne conteste pas la réalité des faits rapportés. Si la requérante allègue également que Mme C... a un comportement " qui est loin d'être exemplaire avec les enfants ", cette circonstance, au demeurant non avérée, est sans incidence sur la matérialité des faits reprochés à Mme E.... Dans ces conditions, le défaut de soins de Mme E... à l'égard des enfants est suffisamment avéré.
En ce qui concerne le manque de conscience professionnelle de Mme E... :
11. Il est reproché Mme E... une inexécution de certaines missions confiées, notamment les missions suivantes : les 2 et 5 mai 2017, la requérante aurait laissé jouer les enfants dans la cour de15H00 à 16H30 au lieu de les conduire à la bibliothèque, comme cela est pourtant prévu par le planning du temps d'activité périscolaire. Elle n'aurait pas établi la liste des projets qu'elle devait mener avec les enfants alors que cela lui avait été pourtant demandé.
12. Mme E... conteste ce défaut d'exécution de missions. En particulier, elle conteste le fait d'avoir laissé les enfants jouer dans la cour au lieu de se rendre à la bibliothèque au-delà de la période de trente minutes prévues par le planning du temps d'activité périscolaire (TAP). Toutefois, ces manquements sont confirmés par la requérante elle-même, à l'occasion d'un entretien du 5 mai 2017 avec la secrétaire générale de la commune cette dernière déclarant : " Bon, c'est peut-être arrivé une ou deux fois où on est restés tout le temps dans la cour parce qu'ils étaient infects ". En outre, il ressort également de cet entretien que la secrétaire générale de la commune avait demandé à la requérante de réaliser un planning des activités proposées aux enfants, et qu'elle ne l'a jamais obtenu. Ces faits sont donc suffisamment avérés.
En ce qui concerne le manquement à l'obligation de se consacrer pleinement aux tâches confiées :
Quant à l'utilisation à des fins personnelles du matériel de l'école :
13. Il est reproché à la requérante une utilisation à des fins personnelles des moyens du service et une utilisation excessive du téléphone professionnel. Mme E... aurait également permis la présence de tiers au sein de l'école.
14. Il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier du 22 juin 2017 de Mme J..., adjointe au maire responsable des O..., que sur une période de deux mois, du 16 mars au 15 mai 2017, dont le 1er mai, la requérante a passé un grand nombre d'appels téléphoniques pour des motifs d'ordre personnel à partir du poste de l'école, soit plus de trente sur la seule période concernée, et cela pendant les tranches horaires où Mme E... était seule dans la classe ou à la garderie. Si Mme E... fait valoir que ses appels étaient justifiés par son état de santé psychologique, cette circonstance, au demeurant non établie, ne saurait justifier cette utilisation récurrente des moyens du service à des fins personnelles. Ces faits sont donc établis.
Quant à la présence de tiers dans l'école
15. A ce titre, Mme E... produit les emplois du temps de ses fils à l'époque des faits pour établir qu'ils ne pouvaient être présents dans l'école au moment où les membres de l'administration communale affirment les avoir vus et une attestation de Mme D... dans laquelle celle-ci indique que l'enfant devant appartenir à la famille de Mme E... est en réalité de la famille de " la cantinière ". Toutefois, ces éléments de sont pas de nature à remettre en cause les faits invoqués, à savoir que Mme E... a permis la présence de tiers dans l'école. Les faits sont donc établis.
En ce qui concerne le manquement au devoir de réserve :
16. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu d'entretien du 5 mai 2017 avec Mme Lapostolle, secrétaire générale de la commune, et des attestations de Mmes G... et I..., que Mme E... a remis en cause le fonctionnement de l'établissement auprès de parents d'élèves. Mme I... atteste notamment que : " [Mme E...] a également mis en doute auprès de certains parents mon professionnalisme en tant que directrice de l'école en disant à une maman que je ne faisais rien lors de conflits dans la cour de récréation et qu'elle n'avait jamais vu une école aussi mal gérée. Ces paroles m'ont porté préjudice vis à vis des parents et du lien de confiance avec ces derniers que nous essayons de mettre en place au sein de notre école. C'est également une des raisons qui me font quitter la direction de l'école de M... à la rentrée 2017 ". Si Mme E... fait valoir que le témoignage relatant une discussion avec sa supérieure hiérarchique au cours de laquelle elle a pu mettre en cause ses collègues ne constitue pas une mise en cause publique susceptible de caractériser un manquement au devoir de réserve, elle ne contredit pas le témoignage précis de Mme I... et de Mmes Lapostolle et G... sur ce point, attestant de critiques répétées de l'équipe pédagogique auprès des parents d'élèves. Dans ces conditions, les faits de dénigrement du travail des enseignants sont suffisamment avérés. Par suite, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits doit être écarté.
17. Ces faits, pris dans leur ensemble, constituent des manquements de nature à justifier une sanction. Au regard d'une part des manquements allégués et de la vulnérabilité des enfants, en bas âge, confiés à Mme E... et, d'autre part, des avertissements adressés à Mme E... par ses collègues lors de l'exercice de ses fonctions ainsi que dans ses relations avec sa hiérarchie, la sanction d'exclusion temporaire de sept mois, assortie d'un sursis de trois mois n'apparait pas disproportionnée.
18. Enfin, si Mme E... soutient que la décision est entachée d'un détournement de procédure, elle n'apporte aucun élément utile au soutien de cette allégation. Par suite, le moyen sera écarté.
19. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 mai 2023.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de M..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme E... une somme au titre des frais exposés par la commune et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de M... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme L... E... et à la commune de M....
Délibéré après l'audience du 22 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M.Gaspon, président de chambre,
- M.Coiffet, président-assesseur,
-M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.
Le rapporteur
F. PONS
Le président
O. GASPON
La greffière
I. PETTON
La République mande et ordonne à la Ministre de l'Education Nationale et de la Jeunesse. en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02117