Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le préfet de la Manche a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter sans délai le territoire, a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2301959 du 14 août 2023, le président du tribunal administratif de Caen a, après avoir admis Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire (article 1er), annulé l'arrêté du 13 juillet 2023 en tant qu'il lui refuse un délai de départ volontaire et lui interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an (article 2), mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des frais liés au litige (article 3) et rejeté le surplus des conclusions de l'intéressée (article 4).
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 décembre 2023 et le 29 avril 2024, Mme C..., représentée par Me Hourmant, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 août 2023 du président du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation des décisions du 13 juillet 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2023 du préfet de la Manche en tant qu'il lui refuse la délivrance d'un titre de séjour et l'oblige à quitter le territoire français ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", ou une autorisation provisoire de séjour, ou, à défaut de réexaminer sa situation administrative dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une omission de se prononcer sur le moyen tiré du défaut d'examen de sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît les articles
L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'un défaut d'examen de sa demande au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ; elle méconnaît le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle méconnaît le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est fondée sur une décision illégale d'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision lui interdisant le retour sur le territoire français n'est pas justifiée au regard de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
La requête a été communiquée au préfet de la Manche qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Chollet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante géorgienne née le 6 septembre 1986 à Tbilissi, a déclaré être entrée en France le 12 mars 2019. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17 février 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 5 juin 2020. Mme C... n'a pas exécuté un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours du 27 mai 2020. Elle a sollicité, le 23 janvier 2023, l'admission au séjour au titre d'accompagnant d'un enfant malade sur le fondement de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que, par courrier du 21 février 2023, son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du même code. Elle relève appel du jugement du 14 août 2023 en tant que le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 13 juillet 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.
Sur la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Manche n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme C..., en particulier s'agissant de sa demande au titre de l'admission exceptionnelle au séjour.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article L. 425-10 du même code : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, (...), se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. (...). Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9 ".
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII allant dans le sens de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance d'un titre de séjour. Il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Pour refuser le titre de séjour demandé, le préfet de la Manche s'est fondé notamment sur l'avis du collège de médecins de l'OFII du 28 juin 2023 indiquant que l'état de santé de Namazoni Diana, fille mineure de Mme C..., nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers leur pays d'origine.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'une fille de Mme C... est atteinte de surdité profonde depuis l'âge de deux ans et a bénéficié d'un implant cochléaire droit posé au centre hospitalier universitaire de Caen Normandie le 15 janvier 2021. Depuis lors, elle bénéficie d'un suivi auprès d'une orthophoniste et a obtenu quatre rendez-vous pour réglage de son implant cochléaire entre mars et septembre 2023. Mme C... soutient que sa fille ne bénéficiait d'aucune scolarité adaptée à son handicap en Géorgie, ni d'aucun suivi médical et qu'elle perdrait le bénéfice des soins et aides susceptibles de lui permettre de surmonter son handicap, de terminer sa formation et d'accéder à l'emploi. Toutefois, elle ne justifie pas, par ces allégations, les attestations des membres du corps enseignant, celles d'une audioprothésiste du 22 septembre 2022 et 17 mars 2024, celle d'un régleur d'implant cochléaire du 26 janvier 2023, et les certificats médicaux des 15 janvier 2021, 22 février et
22 septembre 2022, 11 janvier 2023 et 30 novembre 2023, tout comme par la production d'un contrat d'assurance des implants cochléaires, que l'absence de prise en charge médicale devrait entraîner pour sa fille des conséquences d'une exceptionnelle gravité. La circonstance que la maison départementale des personnes handicapées a reconnu le handicap de sa fille par décision du 5 juillet 2023 est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
7. En troisième lieu, la requérante fait valoir son intégration en France par la scolarisation de ses trois enfants, par des actions de bénévolat au sein de l'association " Les Restos du Cœur " et une promesse d'embauche auprès de l'association Accueil-emploi. Toutefois, Mme C... ne fait état d'aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue dans son pays d'origine avec ses trois enfants, qui pourront y suivre une scolarité, et son époux, qui y a été éloigné le 26 novembre 2022 en exécution d'une obligation de quitter le territoire français du 21 septembre 2022. Elle ne fait valoir en outre aucune insertion professionnelle ou sociale significative en dépit de quatre ans de présence en France, acquis malgré une mesure d'éloignement du 27 mai 2020, alors au demeurant qu'elle ne comprend ni ne parle le français puisque les auditions réalisées par les services de police ont nécessité l'intervention d'un interprète en russe. Par suite, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle de Mme C....
8. En quatrième lieu, les éléments de la vie personnelle de la requérante, tels que décrits au point 7 du présent arrêt, ainsi que l'état de santé de sa fille mineure, ne caractérisent pas des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, la requérante ne justifie pas non plus de l'existence de motifs exceptionnels lui permettant de prétendre à la délivrance d'un titre de séjour " salarié " sur le fondement des dispositions de cet article. Par suite, le préfet n'a pas manifestement méconnu les dispositions de cet article.
9. En dernier lieu, la requérante se prévaut de la scolarisation en France depuis leur arrivée en 2019 de ses trois enfants. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 8, son époux, également ressortissant géorgien, a été éloigné en Géorgie en novembre 2022 et il n'est pas établi que les enfants du couple ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans le pays d'origine de leurs parents, dont ils ont la nationalité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 9, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas méconnu les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur la décision fixant le pays de destination :
12. En tout état de cause, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, la requérante ne peut utilement demander l'annulation, par voie de conséquence, de la décision fixant le pays de destination.
Sur les autres décisions :
13. La décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire et celle portant interdiction de retour sur le territoire français ont été annulées par le jugement attaqué. Mme C... n'est ainsi pas recevable à invoquer en appel des moyens à l'encontre de ces décisions.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché d'aucune irrégularité, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à Me Hourmant et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Picquet, première conseillère,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2024.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03702