Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 août 2018 par laquelle la ministre du travail, de la santé et des solidarités a annulé la décision du 19 décembre 2017 de l'inspecteur du travail refusant l'autorisation de procéder à son licenciement pour inaptitude et a autorisé la société ... à le licencier.
Par un jugement n° 1809039 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 7 et 11 avril 2023, 30 janvier et 21 février 2024, M. B..., représenté par Me Aubry, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 novembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 2 août 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros HT au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il omet de répondre au moyen tiré de l'irrégularité de la consultation des délégués du personnel et du comité social d'entreprise ;
- la décision contestée est illégale dès lors que son employeur n'a pas respecté son obligation de recherche de reclassement ;
- la société n'a pas donné aux représentants du personnel les informations complètes et exactes sur les postes nouvellement créés ;
- la décision contestée est entachée d'illégalité car il incombait à la ministre du travail d'examiner les possibilités de reclassement à la date de sa décision ;
- il incombait à la société de solliciter l'avis du médecin du travail sur son aptitude à occuper les deux postes nouvellement créer et de consulter les délégués du personnel ainsi que le comité social d'entreprise sur ces postes quand bien même elle estimait qu'ils ne pouvaient lui être proposés ;
- cette décision est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.
Elle s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2024, la SAS Groupe ..., représentée par Me Berthomé, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été embauché à compter du 15 juin 2013 par la société Groupe ..., dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité d'ouvrier monteur téléphonique. Au cours du mois de septembre 2016, il a été victime d'un anévrisme de l'artère palmaire, compliqué par une ischémie des 4ième et 5ième doigts droits. Par un avis du 1er septembre 2017, le médecin du travail a estimé que M. B... était inapte à son poste de travail mais apte à un autre poste, sous réserve de certaines restrictions. Après un entretien préalable, qui s'est tenu le 18 octobre 2017, la société ..., dont les missions sont réparties entre les cinq secteurs d'activité suivants : " génie civil ", " fibre optique ", " boucle locale ", " implantation de poteaux " et " ligne terminale ", a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude professionnelle de ce salarié, délégué du personnel. Par une décision du 19 décembre 2017, l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation sollicitée mais, sur recours hiérarchique, la ministre du travail a fait droit à la demande de la société par une décision du 2 août 2018. M. B..., qui a été licencié le 6 août 2018, relève appel du jugement du 17 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle le médecin du travail a déclaré M. B... inapte : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 2421-3 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel (...) est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) ".
3. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique d'un salarié protégé par son mandat syndical, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, cherché à reclasser cette personne sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Il incombe à l'employeur, en vue de chercher à reclasser le salarié protégé et à éviter autant qu'il est possible son licenciement, de procéder à une recherche sérieuse des postes disponibles appropriés aux capacités de la personne concernée, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir ces postes. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser la personne concernée dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement de cette personne, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur. En cas de doute sérieux sur l'incompatibilité d'un poste devenu disponible avec les préconisations antérieures du médecin du travail, l'employeur doit consulter à nouveau ce médecin afin de prendre en compte son avis.
4. Par ailleurs, en vertu des dispositions rappelées au point 2, afin d'émettre leur avis en toute connaissance de cause et dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé leur consultation, les délégués du personnel, d'une part, et les membres du comité d'entreprise, d'autre part, doivent être informés de l'intégralité des postes de reclassement, existants ou dont la création est prochainement envisagée dans l'entreprise ou le groupe auquel elle appartient et qui sont susceptibles de correspondre aux compétences et capacités du salarié dont le licenciement est envisagé.
5. Il ressort des pièces du dossier que, le 2 octobre 2017, les délégués du personnel ont été consultés sur les possibilités de reclassement de M. B... au sein de la société .... Après avoir rappelé les restrictions médicales formulées à plusieurs reprises par le médecin du travail, le directeur des ressources humaines de l'entreprise a indiqué qu'il avait été considéré que l'intéressé ne disposait ni des compétences, ni de l'aptitude requises pour occuper le poste d'encadrement de référent technique " génie civil " sur lequel il avait postulé au cours du mois de janvier 2017. Il a été souligné, par ailleurs, que M. B..., alors affecté dans le secteur " fibre optique ", était en capacité d'exercer seulement 20 % des tâches assurées par un monteur de cette branche, ce qui a été confirmé au cours d'une visite organisée sur place le 7 avril 2017 en présence du médecin du travail. Il a enfin été rappelé que ce dernier avait écarté la possibilité pour M. B... d'exercer les fonctions de magasinier disponible sur le site de Saint-Georges sur Eure, compte tenu des gestes répétitifs et contre-indiqués par son état de santé qu'il impliquait. Au cours de la réunion plénière du comité d'entreprise qui s'est tenue le 26 octobre 2017, seul ce poste de magasinier vacant à Saint-Georges sur Eure a été évoqué. La société a uniquement ajouté qu'aucun poste n'était disponible dans le secteur " jarretière " et que, si l'intéressé s'estimait en capacité d'effectuer de la soudure dans la branche " fibre ", elle n'envisageait pas de créer de poste spécifique pour assurer cette mission jusqu'alors assurée par les techniciens. Compte tenu de ces éléments, les délégués du personnel ainsi que les membres du comité d'entreprise ont validé le fait qu'il n'existait aucun poste de reclassement disponible correspondant aux restrictions médicales de M. B.... Dans sa décision du 19 décembre 2017, l'inspecteur du travail a toutefois souligné que, le 17 octobre 2017, l'entreprise avait diffusé une note de service informant les salariés de la création de deux postes de chef d'équipe placé sous la responsabilité des référents techniques. Si la société ... indique avoir pourvu ces postes en interne, M. B... soutient sans être contredit qu'ils correspondaient à son niveau de qualification d'ouvrier de niveau 2. Par ailleurs, il n'est pas établi que le médecin du travail aurait été consulté sur la compatibilité de ces postes avec les restrictions médicales de l'intéressé, ni même qu'à l'évidence ses capacités physiques ne lui auraient pas permis, même avec un simple aménagement, de les occuper. Enfin, il n'est pas contesté que les délégués du personnel et les membres du comité d'entreprise, consultés au cours du même mois d'octobre 2017, n'ont pas été informés de ces créations de postes. Ils n'ont donc pu se prononcer en toute connaissance de cause sur les possibilités de reclassement susceptibles d'être proposées à M. B..., dès lors qu'existait un doute sérieux sur l'incompatibilité de ces derniers postes avec les préconisations antérieures du médecin du travail. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que la décision contestée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 1226-10 et L. 2421-3 du code du travail.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens et notamment celui relatif à la régularité du jugement attaqué, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 août 2018.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société ... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Aubry, avocate du requérant, d'une somme de 1 500 euros hors taxes dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1809039 du 17 novembre 2022 du tribunal administratif de Nantes ainsi que la décision du 2 août 2018 de la ministre du travail, de la santé et des solidarités autorisant le licenciement pour inaptitude professionnelle de M. B... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Aubry, conseil de M. B..., la somme de 1 500 euros hors taxes en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Les conclusions de la société ... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à la Sas Groupe ... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01008