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18/06/2024 | FRANCE | N°23NT01269

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 18 juin 2024, 23NT01269


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'abord, d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a autorisé la société Les Editions Nationales du Permis de Conduire (ENPC) à la licencier pour motif économique, ensuite, d'annuler la décision du

10 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours formé contre la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'abord, d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a autorisé la société Les Editions Nationales du Permis de Conduire (ENPC) à la licencier pour motif économique, ensuite, d'annuler la décision du 10 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours formé contre la décision du 12 novembre 2018 précitée, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1907380 du 8 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mai 2023, Mme B... A..., représentée par Me Zanotto, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 mars 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 12 novembre 2018 de l'inspectrice du travail ;

3°) d'annuler la décision du 10 mai 2019 de la ministre du travail ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'autorité administrative n'a pas vérifié si la procédure d'information et de consultation de la délégation unique du personnel avait été régulière et les décisions contestées ne sont absolument pas motivées sur ce point, en méconnaissance de l'article R.2424-5 du code du travail ;

- la procédure de consultation de la délégation unique du personnel n'est pas régulière, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal qui a, de façon erronée, apprécié les faits de la cause ; les propositions de modification de contrat n'ont été présentées à la DUP par l'employeur que le 16 février 2018 ; aucune information sur le motif économique n'a été donnée lors de cette première réunion et pas davantage lors des réunions des 9 mars et 2 juillet 2018 ; (cette délégation n'a été informée et consultée que postérieurement à la décision de réorganisation ayant conduit à son licenciement) ; elle n'a jamais disposé, avant l'engagement de la procédure de licenciement, d'une quelconque information sur le motif économique ; la DUP n'a, par ailleurs, pas disposé du temps nécessaire à l'appréciation du projet de licenciements, 'information ne lui ayant été communiquée que le 29 août 2018 ;

- l'élément matériel du motif économique, c'est-à-dire l'existence d'un refus opposé à la proposition de modification du contrat de travail, n'est pas établi dès lors que les dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail ont été méconnues ; les deux propositions de modification de son contrat de travail qui lui ont été transmises méconnaissent, en effet, ces dispositions ; ensuite, après le refus qu'elle a exprimé le 4 avril 2018, son employeur s'est abstenu d'engager une procédure de licenciement dans les semaines qui ont suivi avant d'y renoncer expressément ; lorsqu'il a été décidé d'engager la procédure de licenciement, la convocation n'a pas été précédée d'une offre de modification du contrat selon la procédure de l'article L.1222-6 ;

- l'élément causal du motif économique, c'est-à-dire la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, n'est pas justifié ;

- il n'est pas démontré que la réorganisation tenant à la nouvelle répartition des secteurs géographiques des VRP était nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

Un mémoire en défense a été enregistré le 20 juillet 2023 pour la société Edition Sécurité Routière (EDISER), venant aux droits de la société Editions nationales du permis de conduite (ENPC), représentée par Me Anne-Laure Mary-Cantin et Me Caroline Guntz, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée le 4 mai 2023 au ministre du travail, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Delange, représentant la société Editions nationales du permis de conduire (ENPC), aux droits de laquelle vient la société Edition Sécurité Routière (EDISER).

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., née le 1er novembre 1961, a été recrutée le 6 septembre 2004 par la société Les Editions Nationales du Permis de Conduire (ENPC). Cette société, située sur le territoire de la commune de Saint-Herblain dans le département de la Loire-Atlantique, conçoit, développe et commercialise, auprès des organismes de formation à la conduite, des supports de formation destinés spécifiquement aux formateurs et des supports pédagogiques acquis par les formateurs mais destinés à être vendus aux candidats à l'obtention du permis de conduire. Mme A... y exerçait alors l'emploi de voyageuse représentante placière (VRP) exclusive, couvrant le territoire de huit départements. Elle a notamment rempli, à compter du 12 mai 2017, le mandat de membre suppléante au sein de la délégation unique du personnel du collège " Agents de Maîtrise et Cadres ", et, à compter du 25 juin 2018, ceux de membre, d'une part, du comité d'entreprise et, d'autre part, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. A la suite d'une réorganisation de la société ENPC, présentée comme étant liée au rachat, par le groupe Fleurus, auquel elle appartient et détenu lui-même par le groupe Média-Participations, d'une société concurrente, la société Editions sécurité routière (EDISER), il a été proposé à Mme A... une modification de son contrat de travail qu'elle a refusée le 4 avril 2018 et qui portait sur la redéfinition de son secteur géographique d'activité. La société ENPC a alors, le 28 septembre 2018, saisi l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) des Pays de la Loire d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique de Mme A.... Par une décision du 12 novembre 2018, l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation de licenciement motivée par " une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ". Le recours hiérarchique formé par Mme A..., reçu le 4 janvier 2019, a été implicitement rejeté le 4 mai 2019. Puis, le 10 mai suivant, la ministre du travail a statué expressément sur ce recours et a confirmé la délivrance de cette autorisation de licenciement.

2. Mme A... a, le 8 juillet 2019, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation des décisions des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019 prises respectivement par l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la DIRRECTE des Pays de la Loire et par la ministre du travail. Elle relève appel du jugement du 9 février 2023 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions contestées :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

4. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant (...) d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) / 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. / Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à : / (...) c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ; / 2° A des mutations technologiques ; / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; / 4° A la cessation d'activité de l'entreprise / La matérialité (...) de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. / (...) la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'appréci[e] au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. / (...) la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. ". ". Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié protégé d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification est justifiée par un motif économique. Pour apprécier la réalité du motif économique allégué par l'employeur pour demander l'autorisation de licencier un salarié protégé au motif que ce dernier a refusé la modification de clauses de son contrat, il appartient à l'administration de vérifier, non que la modification du contrat de travail est strictement nécessaire au motif économique invoqué, mais qu'elle est justifiée par ce motif économique. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

En ce qui concerne les moyens mettant en cause la régularité de la procédure de licenciement pour motif économique :

5. En premier lieu, Mme A... soutient que des décisions des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019 prises respectivement par l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la DIRRECTE des Pays de la Loire et par la ministre du travail, qui ne se sont pas prononcés sur la régularité de la procédure d'information et de consultation de la délégation unique du personnel qu'ils n'auraient pas contrôlée, sont irrégulières et entachées d'un défaut de motivation sur ce point.

6. Lorsqu'une procédure de licenciement pour motif économique a été mise en œuvre en méconnaissance de l'obligation de consultation de la délégation unique du personnel, l'autorité administrative, ultérieurement saisie du cas d'une salariée protégée concernée par cette procédure, est tenue de refuser l'autorisation de licenciement.

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la société ENPC a communiqué, à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement adressée à l'Inspection du travail le 27 septembre 2018, l'ensemble des procès-verbaux des réunions d'information et de consultation de la Délégation Unique du Personnel et que, dans le cadre de l'enquête contradictoire, l'inspectrice du travail a sollicité de la société des pièces complémentaires se rapportant directement aux procédures de consultation légales, pièces qui lui ont été communiquées. La ministre du travail a également été destinataire de l'ensemble des pièces produites par l'entreprise. L'inspectrice du travail s'est expressément prononcée sur la procédure suivie par l'entreprise en indiquant que le comité d'entreprise avait été valablement consulté. Mme A... ne saurait, dans ces conditions, sérieusement alléguer que l'inspectrice du travail puis la ministre du travail, qui n'a pas annulé la décision de l'inspectrice, n'auraient pas examiné et apprécié la régularité de cette procédure.

8. D'autre part, il ne résulte d'aucune disposition, ni d'aucun principe, que lorsque l'autorité administrative estime que la procédure de licenciement économique n'est pas entachée d'une irrégularité, au regard en particulier de l'obligation de consultation de la délégation unique du personnel, elle soit tenue de motiver, dans la décision par laquelle elle autorise ce licenciement, l'appréciation qu'elle a portée sur le respect de cette obligation. Le moyen tiré du défaut de motivation sur ce point des décisions contestées sera écarté.

9. En deuxième lieu, Mme A... soutient que la procédure de consultation de la délégation unique du personnel n'est pas régulière dès lors que cette délégation n'a jamais disposé, avant l'engagement de la procédure de licenciement, d'une quelconque information sur le motif économique.

10. Aux termes, d'une part, de l'article L.2312-8 du code du travail, en vigueur le 1er janvier 2018 : " Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. / Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur : 1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ; 2° La modification de son organisation économique ou juridique ; 3° Les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ; (...) ". Il ressort des pièces du dossier, en particulier des procès-verbaux produits, que, lors de la réunion extraordinaire de la délégation unique du personnel (DUP) qui s'est tenue le 16 février 2018, la direction de la société ENPC a informé et consulté la délégation sur " le projet d'évolution des secteurs commerciaux des VRP et de commercialisation des produits du catalogue EDISER donnant lieu à des propositions individuelles d'avenants aux contrats de travail des VRP ENPC " - démarche qu'elle avait d'ailleurs initiée dès le 21 décembre 2017 - en précisant notamment que " compte tenu de la baisse d'activité ENPC depuis plus d'un an, un refus de modification de secteur pour cause de compétitivité économique pourrait amener à un licenciement économique, élément détaillé dans l'annexe 1 du procès-verbal de la réunion ". Le 9 mars 2018, il a ensuite été présenté à la DUP les " projections de chiffre d'affaires, gains potentiels pour le VRP et le redécoupage des secteurs ". Dans ces conditions, Mme A... ne saurait soutenir que l'employeur n'a pas consulté la délégation unique du personnel préalablement à la décision de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité susceptible de conduire à des licenciements pour motif économique.

11. D'autre part, en vertu de l'article L. 1233-8 du code du travail, l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte la délégation unique du personnel dans les entreprises d'au moins cinquante salariés. Ces principes étaient applicables à la société ENPC qui comptait plus de cinquante salariés, la procédure de licenciement pour motif économique qu'elle envisageait concernant six salariés exerçant des fonctions de VRP, dont Mme A.... Il ressort des pièces du dossier que la délégation unique du personnel a été convoquée le 3 septembre 2018 pour une réunion tenue le 12 septembre 2018 afin d'être informée et consultée à bulletin secret sur le projet de licenciement collectif pour motif économique envisagé de Mme A... et que les membres de cette délégation ont disposé de l'ensemble des données de ce projet qui étaient nécessaires afin qu'ils puissent donner leur avis en toute connaissance de cause. Mme A... n'est, par suite, pas fondée à soutenir que les décisions contestées des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019 seraient entachés d'illégalité aux motifs d'une procédure irrégulière de consultation de la délégation unique du personnel par la société ENPC.

En ce qui concerne les moyens mettant en cause la réalité du motif économique :

12. La société ENPC a sollicité l'autorisation de licencier Mme A... pour un motif économique afin de permettre la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise dans son secteur d'activité, dans les conditions prévues par l'article L.1233-3 du code du travail. Selon la société, la décision de réorganisation de l'entreprise se traduisant par une modification du contrat de travail de l'intéressée est nécessaire à cette sauvegarde de compétitivité. Le refus par Mme A... de la réduction de son secteur d'exclusivité territoriale pour conduire son activité de VRP, laquelle constitue une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, est le motif économique retenu par les décisions contestées des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019.

S'agissant de l'élément matériel du motif économique,

13. En premier lieu, Mme A... soutient que l'élément matériel du motif économique, à savoir l'existence d'un refus par elle opposé à la proposition de modification de son contrat de travail, n'est pas établi dès lors que la société ENPC n'a pas respecté la procédure prévue par l'article L. 1222-6 du Code du travail aux motifs qu'elle lui aurait adressé une première proposition " informelle " et qu'elle aurait attendu " cinq mois " pour engager ensuite la procédure de licenciement pour motif économique alors qu'elle y avait pourtant finalement renoncé.

14. Aux termes de l'article L. 1222-6 du code du travail : " Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail (...), il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. / La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. (...) / A défaut de réponse dans le délai d'un mois (...) le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée. ".

15. Il ressort des pièces du dossier que la société ENPC a proposé à l'intéressée, par un courrier daté du 23 mars 2018 et reçu le 24 mars 2018, un projet d'avenant individuel portant modification d'un élément essentiel du contrat de travail, à savoir la réduction de sa zone d'activité exclusive de VRP. Ce courrier, qui visait l'article L. 1222-6 du code du travail, lui laissait un délai de réflexion de 30 jours et mentionnait expressément les raisons économiques à l'origine du rapprochement entre les deux sociétés ENPC et EDISER et de la réorganisation commerciale se traduisant par la redéfinition du secteur géographique de la salariée. Mme A... a exprimé son refus circonstancié par une lettre du 4 avril 2018 produite au dossier. Le refus, dans ces conditions, par l'intéressée de la modification proposée en application de l'article L.1222-6 du code du travail précité constitue l'élément matériel du motif économique du licenciement. Les échanges informels intervenus préalablement au 24 mars 2018 entre la société et sa salariée et le délai séparant ce refus, sur lequel Mme A... n'est pas revenue, de la mise en œuvre de la procédure de licenciement sont sans incidence sur la réalité de l'élément matériel du motif économique du licenciement. D'autre part, s'il est exact que l'entretien préalable au licenciement de Mme A... n'a eu lieu que le 30 août 2018, pour des raisons matérielles, aucune disposition n'imposait à l'employeur de mettre en œuvre la procédure de licenciement pour motif économique dans un délai précis à compter de la date à laquelle la salariée a refusé la modification qui lui a été proposée. La circonstance, par ailleurs, que Mme A... a été, postérieurement à l'expression de son refus, maintenue dans son emploi demeure à cet égard sans incidence. Enfin, le courrier du 1er juin 2018 par lequel le directeur de la société ENPC a indiqué à Mme A... " qu'il n'envisageait pas de mettre en œuvre une procédure de licenciement pour motif économique collectif dans le contexte des refus qui lui ont été opposés, soucieuse de préserver en premier lieu son activité commerciale " n'a pas privé d'effet le refus de modification de son contrat de travail précédemment opposé par cette salariée dès lors qu'il ne saurait être interprété comme formalisant une décision renonçant de manière définitive à cette procédure. Mme A... ne saurait davantage déduire de ces circonstances l'absence d'un motif économique.

S'agissant de la cause économique du licenciement,

16. En second lieu, Mme A... soutient que l'élément causal du motif économique avancé par la société ENPC, c'est-à-dire une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, n'est pas justifié compte tenu du marché oligopolistique sur lequel elle évolue et des résultats du groupe auquel elle appartient et qu'il n'est pas davantage démontré que la réorganisation tenant à la nouvelle répartition des secteurs géographiques des VRP était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité concerné.

17. L'autorité administrative, qui doit s'assurer de la réalité de la cause économique du licenciement, ne peut légalement autoriser le licenciement d'un salarié protégé sollicité sur le fondement du 3° de l'article L.1233-3 du code du travail, que si elle retient qu'une réorganisation de l'entreprise est nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité menacée. En revanche, s'il appartient à l'administration de vérifier que la modification du contrat de travail est justifiée par le motif économique invoqué, elle n'a pas à exiger qu'elle soit strictement nécessaire à ce motif et n'a pas davantage à contrôler les options de gestion décidées par l'entreprise.

18. Le code du travail retient aux 1°, 2°, 3° et 4° de l'article L. 1233-3, cité au point 4 du présent arrêt, quatre motifs distincts qui peuvent légalement justifier un licenciement économique. Ainsi, le 1° de cet article, qui se réfère à une évolution significative de certains indicateurs économiques et rappelle les éléments permettant de définir le motif tiré de l'existence des difficultés économiques caractérisées que l'employeur peut invoquer, au nombre desquelles figurent notamment la baisse du chiffre d'affaires ou la dégradation de l'excédent brut d'exploitation, se rapporte aux difficultés économiques actuelles rencontrées par l'entreprise, mesurables selon les indicateurs prévus par le texte. Le motif prévu au 3° du même article permet, quant à lui, de procéder à une réorganisation de l'entreprise nécessaire pour sauvegarder sa compétitivité, en raison de la dégradation prévisible de sa position concurrentielle relative sur le marché du secteur d'activité. Cette prévision de dégradation peut elle-même notamment résulter de difficultés économiques n'entrant pas dans les conditions prévues par le 1°. Par suite, la seule existence de difficultés économiques actuelles ou prévisibles ne peut constituer un motif permettant de procéder à une réorganisation de l'entreprise nécessaire pour sauvegarder sa compétitivité, en raison de la dégradation prévisible de sa position concurrentielle relative.

19. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la réalité de la menace pour la compétitivité de l'entreprise justifie le licenciement envisagé. Le juge forme sa conviction au regard des pièces et éléments qui lui sont soumis par les parties.

20. Au cas d'espèce, d'une part, pour autoriser le licenciement de Mme A... pour motif économique, l'administration a, tout d'abord, relevé dans les décisions contestées que la société ENPC appartenait au groupe Fleurus, lui-même membre du groupe Média-participations, et qu'elle se distinguait, comme la société EDISER, au sein de ce groupe, d'abord, par la nature des produits qu'elle commercialisait, c'est-à-dire les supports pédagogiques réglementaires édités, destinés à l'apprentissage de la conduite, ensuite, par sa clientèle spécifique, correspondant aux professionnels des centres de formation de la conduite, enfin, par le réseaux et le mode de distribution mis en place par cette société, tenant notamment à l'absence de vente au grand public et " à la force commerciale internalisée ", de sorte que le secteur d'activité à retenir pour apprécier la réalité du motif économique de l'entreprise correspondait à celui de l'édition pédagogique réglementaire, c'est-à-dire celle de supports pédagogiques destinés à l'apprentissage de la conduite présentant un caractère réglementé au sens où leur contenu est fixé par la délégation à la sécurité routière au sein du ministère de l'intérieur. Les éléments versés au dossier permettent de confirmer la pertinence du secteur d'activité retenu par l'administration, au point 3 de la décision ministérielle contestée, pour apprécier l'existence de la cause économique du licenciement de Mme A....

21. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la ministre du travail, saisie sur le fondement du 3° de l'article L.1233-3 du code du travail, a, au point 4 de sa décision, rappelé tout d'abord que " le marché de l'enseignement de la conduite connaissait depuis l'année 2015 de profondes mutations (...) dont les effets se faisaient sentir sur le marché de l'édition pédagogique, et notamment pour la société ENPC ". Elle a ensuite relevé que la " société avait connu une baisse de son chiffre d'affaires net de 12,84% entre le 30 juin 2017 et le 30 juin 2018 et un résultat d'exploitation en baisse - 315 363 euros contre 487612 euros - sur la période du 1er janvier 2018 au 30 juin 2018 par rapport à l'année précédente ". Ces mutations du secteur et évolutions des indicateurs économiques de la société, précisément identifiées, sont confirmées par les éléments et pièces du dossier. La ministre du travail, après avoir ensuite indiqué, au point 5 de sa décision, que " le rachat de la société EDISER (société concurrente) rendu nécessaire pour la sauvegarde la compétitivité de la société ENPC [avait] conduit à la mise en place d'une réorganisation de l'action commerciale et d'un redécoupage géographique des secteurs commerciaux des équipes", a estimé que " la cause économique alléguée devait être regardée comme établie ". La seule existence de difficultés économiques pour la société ENPC, sans prendre en compte l'état de la concurrence et l'évolution des parts respectives de marché qui en découlerait, alors que le rachat par cette société de l'un de ses deux concurrents présents sur le secteur d'activité pertinent constituait un élément de réorganisation qui ne pouvait être sans effet sur la situation de concurrence et donc de compétitivité, ne peut caractériser la menace pour la sauvegarde de la compétitivité économique de la société ENPC, motif énoncé au 3° de l'article L.1233-3 du code du travail et fondant seul la demande d'autorisation de licenciement présenté par l'employeur de Mme A.... Il ne ressort par ailleurs d'aucune autre pièce ou élément du dossier qu'à la date de la décision autorisant le licenciement, il existait une menace pour la sauvegarde de la compétitivité économique de la société ENPC en raison de la dégradation prévisible de sa position concurrentielle relative. Mme A... est, par suite, fondée, sur la base des principes énoncés au point 19 du présent arrêt, à soutenir que l'administration a entaché les décisions contestées des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019 d'une erreur d'appréciation en estimant qu'il existait une menace pour la compétitivité de l'entreprise.

22. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre les décisions des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019 prises respectivement par l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la DIRRECTE des Pays de la Loire et par la ministre du travail autorisant son licenciement pour motif économique et qu'elles doivent, en conséquence, être annulées.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société EDISER la somme qu'elle demande au titre de ces dispositions. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 1500 euros sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1907380 du 8 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes et les décisions des 12 novembre 2018 et 10 mai 2019 de l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Loire-Atlantique au sein de la DIRRECTE des Pays de la Loire et de la ministre du travail autorisant le licenciement pour motif économique de Mme A... sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société EDISER sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus de la requête sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la société EDISER et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie à la DIRRECTE des Pays de la Loire.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

C. VILLEROT

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT01269 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01269
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : CABINET RACINE (NANTES)

Origine de la décision
Date de l'import : 25/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;23nt01269 ?
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