Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 20 novembre 2021 par laquelle la préfète de l'Orne a refusé de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à l'enfant Grâce-Ange C....
Par un jugement n° 2200003 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 février 2023, Mme A... D..., représentée par Me Blache, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler la décision de la préfète de l'Orne du 20 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de délivrer à l'enfant Grâce-Ange C... une carte nationale d'identité et un passeport, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Blache, son avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;
- elle a été prise en violation de l'article 18 du code civil, de l'article 2 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité et de l'article 4 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que l'administration n'apporte pas la preuve de la fraude dont l'administration se prévaut pour refuser la délivrance à l'enfant d'une carte nationale d'identité et d'un passeport ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'est fondé.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mars 2023 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 2200003 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de Mme A... D... tendant à l'annulation de la décision du 20 novembre 2021 par laquelle la préfète de l'Orne a refusé de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à l'enfant Grâce-Ange C....
2. En premier lieu, la décision du 20 novembre 2021 relève le caractère frauduleux de l'acte de reconnaissance de paternité à l'égard de l'enfant Grâce-Ange. Cette référence à la fraude constitue, en l'espèce, la considération de droit sur le fondement de laquelle la préfète de l'Orne s'est opposée à la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport demandés. En outre, la décision contestée précise qu'il n'existe pas de communauté de vie entre la mère de l'enfant et M. C..., ni une ancienneté et une régularité de l'investissement du père déclaré, tant sur le plan financier, éducatif ou affectif. Dans ces conditions, la décision contestée comporte également l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". Aux termes de l'article 30 du même code : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants. ". Aux termes de l'article 31-2 du même code : " Le certificat de nationalité indique en se référant aux chapitres II, III, IV et VII du présent titre, la disposition légale en vertu de laquelle l'intéressé a la qualité de français, ainsi que les documents qui ont permis de l'établir. Il fait foi jusqu'à preuve du contraire (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 visé ci-dessus : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge par les préfets et sous-préfets à tout Français qui en fait la demande dans l'arrondissement dans lequel il est domicilié ou a sa résidence (...). ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 4 du même décret : " (...) Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ". Aux termes de l'article 4-4 du même décret : " (...) La demande de carte nationale d'identité faite au nom d'un mineur est présentée par une personne exerçant l'autorité parentale. (...) ".
4. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives, qui ne sont pas en état de compétence liée, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé. Dans ce cadre, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre, qu'une reconnaissance de paternité a été souscrite frauduleusement, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre sollicité.
5. Il ressort des pièces du dossier et de ses écritures que Mme D..., ressortissante camerounaise née le 21 juillet 1990, est entrée en France en janvier 2020 sous couvert d'un visa " salarié ", alors qu'elle était tout juste enceinte et qu'elle s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français. Selon ses propres déclarations, l'intéressée a rencontré en mars 2020 M. B... C..., ressortissant français, lequel a reconnu l'enfant à naître en mairie de Caen par un acte du 29 mai 2020. De plus, un certificat de nationalité française a été délivré pour l'enfant par le tribunal judiciaire de Caen le 3 février 2021. Pour autant, il n'est pas contesté que M. C... n'est pas le père de l'enfant Grâce-Ange et que l'acte de reconnaissance de l'enfant a été établi à la demande de M. C..., alors même que celui-ci savait qu'il n'était pas le père de l'enfant. Ce faisant et alors même que M. C... aurait un rôle effectif dans l'éducation et l'entretien de l'enfant et que le juge aux affaires familiales a organisé l'exercice conjoint de l'autorité parentale sur l'enfant par un jugement du 8 novembre 2022, la reconnaissance de paternité a été souscrite de manière frauduleuse. Par suite, la préfète de l'Orne pouvait légalement refuser pour ce motif de délivrer à l'enfant Grâce-Ange la carte nationale d'identité et le passeport demandés.
6. En troisième lieu, eu égard au motif qui la fonde, la décision contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante et de l'enfant au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Il suit de là que ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00319