La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/09/2024 | FRANCE | N°24NT01666

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 13 septembre 2024, 24NT01666


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... C... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises.



Par un jugement n° 2406120 du 6 mai 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 29 mars 2024 du préfet de Maine-et-Loire (article 1er) et a enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la situation

de M. C... F... (article 2).



Procédures devant la cour :



I. Par une requête n° 24NT...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises.

Par un jugement n° 2406120 du 6 mai 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 29 mars 2024 du préfet de Maine-et-Loire (article 1er) et a enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la situation de M. C... F... (article 2).

Procédures devant la cour :

I. Par une requête n° 24NT01666, enregistrée le 5 juin 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 6 mai 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... F... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- le résumé de l'entretien individuel de M. C... F... comporte le tampon " Préfecture de la Loire-Atlantique l'agent habilité ", avec les initiales de l'agent ayant mené l'entretien ;

- le fait que l'identité et la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien ne figurent pas dans le résumé de l'entretien individuel, alors qu'aucune disposition du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni aucune disposition nationale ne l'impose, n'a pas privé M. C... F... de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien ;

- les entretiens sont saisis dans une application dont l'accès est réservé, par mot de passe personnel, à des agents qualifiés en vertu du droit national ;

- il ressort de l'arrêté portant délégation de signature du 13 septembre 2023, à la directrice des migrations et de l'intégration, que le résumé d'entretien de M. C... F... a été signé par un agent du bureau de l'asile et de l'intégration qualifié en vertu du droit national ;

- il s'en rapporte à ses écritures de première instance pour justifier du rejet de la demande de M. C... F....

Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu à M. C... F... par une décision du 9 septembre 2024.

II. Par une requête n° 24NT01667, enregistrée le 5 juin 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 6 mai 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le résumé de l'entretien individuel de M. C... F... comporte le tampon " Préfecture de la Loire-Atlantique l'agent habilité ", avec les initiales de l'agent ayant mené l'entretien ;

- le fait que l'identité et la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien ne figurent pas dans le résumé de l'entretien individuel, alors qu'aucune disposition du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni aucune disposition nationale ne l'impose, n'a pas privé M. C... F... de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien ;

- les entretiens sont saisis dans une application dont l'accès est réservé, par mot de passe personnel, à des agents qualifiés en vertu du droit national ;

- il ressort de l'arrêté portant délégation de signature du 13 septembre 2023, à la directrice des migrations et de l'intégration, que le résumé d'entretien de M. C... F... a été signé par un agent du bureau de l'asile et de l'intégration, qualifié en vertu du droit national.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2024, M. C... F..., représenté par Me Chamkhi conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à défaut, de lui verser directement cette somme en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de Maine-et-Loire ne sont pas fondés.

Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu à M. C... F... par une décision du 9 septembre 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- et les observations de M. C... F..., indiquant qu'il n'a rien à ajouter.

Un mémoire, présenté pour M. C... F..., a été enregistré le 28 août 2024 dans le dossier n° 24NT01666 et non communiqué en raison de la clôture de l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... F..., ressortissant angolais, né le 28 août 1981, a sollicité l'asile le 22 janvier 2024. Par un arrêté du 29 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités portugaises. Le préfet relève appel du jugement du 6 mai 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes, sur demande de M. C... F..., a annulé cet arrêté, au motif qu'il avait méconnu l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et lui a enjoint de réexaminer la situation administrative de l'intéressé. Par une requête distincte, il demande à la cour de surseoir à l'exécution du même jugement.

2. Les requêtes enregistrées sous les numéros 24NT01666 et 24NT01667, présentées par le préfet de Maine-et-Loire, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour se prononcer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". S'il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application desdites dispositions été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".

4. Il ressort du résumé de l'entretien individuel mené avec M. C... F... le 22 janvier 2024 que cet entretien a été conduit par un agent de la préfecture de la Loire-Atlantique qui y a apposé ses initiales, avec la mention " L'agent habilité ". Le préfet de Maine-et-Loire justifie du fait que ces initiales correspondent à celles d'une secrétaire administrative qui disposait d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté du 13 septembre 2023 au sein du bureau de l'asile et de l'intégration de la préfecture de la Loire-Atlantique. Dans ces conditions, faute de contestation plus précise de M. C... F..., cet agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national au sens de l'article 5 du règlement mentionné ci-dessus. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien du 22 janvier 2024, tenu avec l'aide d'un interprète en langue portugaise, n'aurait pas été conduit dans une langue comprise par l'intéressé, ni que cet entretien n'aurait pas eu lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il s'ensuit que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 29 mars 2024 en retenant le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens développés en première instance par M. C... F... à l'encontre de cet arrêté.

6. En premier lieu, par un arrêté du 28 février 2024 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à M. Nicolas Brochard, secrétaire administratif de classe exceptionnelle, adjoint à la cheffe du pôle régional Dublin de la préfecture de Maine-et-Loire, signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer les décisions d'application du règlement " Dublin III " prises à l'égard des ressortissants étrangers, notamment les décisions de transfert, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... D..., directeur de l'immigration et des relations avec les usagers, et de Mme B... G..., cheffe du pôle. Il n'est ni établi ni même allégué que M. D... et Mme G... n'auraient pas été absents ou empêchés. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. En deuxième lieu, M. C... F... ne peut utilement se prévaloir des conditions de la notification de l'arrêté contesté, qui sont sans influence sur sa légalité.

8. En troisième lieu, l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert au Portugal de M. C... F... comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent. Il ne ressort pas de la motivation de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier, que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et du défaut d'examen de la situation de M. C... F... doivent être écartés.

9. En quatrième lieu, les dispositions des articles L. 142-2, R. 142-1 et R. 142-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au traitement automatisé des données personnelles, invoquées par M. C... F... en tant qu'elles supposent une habilitation des agents amenés à consulter les fichiers Eurodac et Visabio, sont sans influence sur la légalité de l'arrêté contesté par lequel le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande, dès lors que l'objet et l'effet de ces dispositions est de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun, notamment par la remise de brochures d'information lors de l'entretien individuel. Au demeurant, M. C... F... n'apporte aucun élément précis et sérieux de nature à remettre en cause l'habilitation de l'agent de préfecture en cause.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

11. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. C... F... s'est vu remettre, le 22 janvier 2024, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, en langue portugaise, qu'il a déclaré comprendre, dont il a signé les pages de garde et qui contiennent les informations prescrites par les dispositions précitées. Il ressort en outre du compte-rendu de son entretien du même jour, conduit avec l'aide d'un interprète en langue portugaise, qu'il a déclaré " le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires m'ont été remis dans une langue que je déclare comprendre. ", " je reconnais que les informations contenues dans le guide du demandeur d'asile, ainsi que dans les brochures A et B m'ont été communiquées oralement et je reconnais les avoir comprises " et que " l'information sur les règlements communautaires m'a été remise ". Il ressort du compte-rendu de l'entretien du 22 janvier 2024 que M. C... F... a eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Enfin, dès lors que l'information prescrite à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 a été remise à M. C... F... lors de l'introduction de sa demande d'asile et au plus tard lors de l'entretien qui a été conduit à cette occasion, il n'est pas fondé à soutenir que cette information ne lui aurait pas été donnée en temps utile. Dans ces conditions, son droit à l'information résultant de l'article 4 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'a pas été méconnu.

13. Par ailleurs, les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ont pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun, notamment par la remise de brochures d'information lors de l'entretien individuel. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par le demandeur d'asile ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles la France transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Il en va de même de la méconnaissance de l'obligation d'information résultant des dispositions des articles 12, 13 et 14 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement général sur la protection des données doit être écarté.

14. En sixième et dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

15. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

16. M. C... F... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile faisant l'objet de mesures de transfert auprès des autorités portugaises, mais les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre situation serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par ces autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que le Portugal est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les autres éléments présentés et ses allégations sur le fait qu'il pourrait être victime d'actes racistes au Portugal ne permettent pas d'établir qu'il y serait exposé à des traitements inhumains ou dégradants, ni qu'il se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Enfin, alors que la décision de transfert litigieuse n'emporte pas éloignement vers l'Angola, M. C... F... ne peut utilement soutenir que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes aurait dû prendre en compte les risques auxquels il serait exposé dans ce pays. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse méconnaîtrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 de ce règlement, doivent être écartés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté contesté. Dès lors, ce jugement doit être annulé et la demande présentée par M. C... F... devant le tribunal administratif doit être rejetée.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

18. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel du préfet de Maine-et-Loire contre le jugement du 6 mai 2024. Par suite, les conclusions de la requête n° 24NT01667 aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. C... F... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NT01667 à fin de sursis à exécution du jugement du 6 mai 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes.

Article 2 : Le jugement du 6 mai 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. C... F... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 27 août 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 24NT01666,24NT01667


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01666
Date de la décision : 13/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CHAMKHI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-13;24nt01666 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award