Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 janvier, 1er juin, 19 octobre 2023 et
16 janvier 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Pascalyne, représentée par Me Guillini, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le maire de Saint-Sulpice-sur-Risle a délivré un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société L'Aigle Distribution en vue de la démolition de trois bâtiments et l'extension d'un magasin à l'enseigne " Jardi Brico E. Leclerc ", créant une surface de plancher de 6 120 m², sur un terrain situé au sein de la zone commerciale des Anglures ;
2°) de mettre à la charge solidairement de la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle et la société L'Aigle Distribution la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas établi que le signataire de l'arrêté attaqué était compétent ;
- le projet aura un impact négatif sur l'animation de la vie urbaine et porte atteinte aux objectifs de l'opération de revitalisation du territoire de la ville de l'Aigle ;
- le dossier de demande d'autorisation ne comporte aucune étude de trafic et le projet aura des incidences négatives sur les flux de circulation et ne sera pas desservi par les transports en commun ;
- l'extension en cause engendrera une artificialisation des sols, ce qui n'est pas autorisé par le V de l'article L. 752-6 du code de commerce issu de la loi " Climat " en vigueur depuis le 25 août 2021, ce texte ne nécessitant pas de décret d'application pour être opposable en l'espèce et la compensation n'étant pas possible au vu du projet ;
- les articles 1er et 9 du décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 en tant qu'ils concernent l'autorisation d'exploitation commerciale qui ne peut être délivrée pour un projet commercial dont la réalisation engendre une artificialisation des sols sont illégaux et doivent être écartés ;
- la qualité environnementale du projet n'est pas suffisante ;
- l'insertion paysagère et architecturale du projet n'est pas suffisante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2023, la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle, représentée par Me Courrech, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Pascalyne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la SAS Pascalyne ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 février, 25 août, 6 novembre 2023 et
9 février 2024, la SAS L'Aigle Distribution, représentée par Me Courrech, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Pascalyne la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance du V de l'article L. 752-6 du code de commerce est inopérant, ces dispositions n'étant pas applicables et en tout état de cause, le projet n'a pas pour effet d'imperméabiliser des surfaces significatives ;
- les autres moyens de la SAS Pascalyne ne sont pas fondés.
Des pièces, produites par la Commission nationale d'aménagement commercial, ont été enregistrées le 19 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Fresneau substituant Mes Castera et Guillini, représentant la société Pascalyne, et de Me Morisseau substituant Me Courrech représentant la société l'Aigle Distribution et la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle.
Une note en délibéré, présentée pour la société Pascalyne, a été enregistrée le
11 septembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 juillet 2021, la société L'Aigle Distribution a déposé, auprès de la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle, une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale portant sur la démolition de trois bâtiments et l'extension d'un magasin à l'enseigne " Jardi Brico E. Leclerc " situé au sein de la zone commerciale dite des " Anglures " sur le territoire de la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle. Le 14 septembre 2021, la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) de l'Orne a émis un avis favorable sur le projet. Sur recours de la société Pascalyne, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a émis, le 22 janvier 2022, un avis défavorable au projet. La société L'Aigle Distribution a déposé une nouvelle demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale le
16 juin 2022. La CNAC a émis un avis favorable au projet le 13 octobre 2022. La société Pascalyne demande à la cour de prononcer l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le maire de Saint-Sulpice-sur-Risle a délivré le permis de construire sollicité par la société L'Aigle Distribution, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.
Sur la légalité de l'arrêté du maire de Saint-Sulpice-sur-Risle du 10 novembre 2022 :
En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est seul chargé de l'administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints (...) ". Aux termes de l'article L. 2131-1 du même code : " I.-Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'ils ont été portés à la connaissance des intéressés dans les conditions prévues au présent article et, pour les actes mentionnés à l'article L. 2131-2, qu'il a été procédé à la transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement prévue par cet article. / Le maire peut, sous sa responsabilité, certifier le caractère exécutoire d'un acte. (...) IV.- Par dérogation aux dispositions du III, dans les communes de moins de 3 500 habitants, les actes réglementaires et les décisions ni réglementaires, ni individuelles sont rendus publics : 1° Soit par affichage ; (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué du 10 novembre 2022 a été signé, " pour le maire, l'adjoint délégué ", par M. B... A.... Ce dernier, premier adjoint au maire délégué à l'urbanisme a, sur le fondement des dispositions citées au point 2 de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, reçu délégation, le 20 juillet 2021, à l'effet de signer notamment les permis de construire. Cette délégation a été régulièrement affichée à compter du 21 juillet 2021, la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle ayant moins de
3 500 habitants, et transmise en préfecture le 3 août 2021. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce :
S'agissant de l'impact du projet sur l'animation urbaine et commerciale :
4. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi ". Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; /f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; /c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs (...) ".
5. Il résulte des dispositions combinées citées au point précédent que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.
6. Il ressort des pièces du dossier que le projet, qui porte sur l'extension de 6 090 m2 de la surface de vente d'un magasin à l'enseigne " Jardi Brico E. Leclerc ", passant de 730 à
6 820 m2, comprenant la régularisation d'une surface de 999 m2 déjà exploitée depuis 2008, est situé dans l'ensemble commercial " Les Portes de L'Aigle ", à quatre kilomètres du centre-ville de la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle et à deux kilomètres du centre-ville de la commune de L'Aigle. La vacance commerciale est de 16,67% à Chandai (un local vacant sur six) et de
11,56% au centre-ville de L'Aigle (dix-sept locaux vacants sur cent-quarante-sept), la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle ne comportant, quant à elle, pas de locaux commerciaux dans son centre-ville. L'analyse d'impact précise que " les cellules actuellement vacantes et en location ou vente ne disposent pas de caractéristiques en termes de surfaces qui permettraient la réalisation du projet. ". Si quatre fleuristes sont présents dans le centre-ville de L'Aigle, le pétitionnaire a indiqué devant la CNAC que " l'enseigne Brico E. Leclerc ne commercialise aucune fleur coupée au sein de ses surfaces de vente et le pétitionnaire s'engage à ne pas en commercialiser au sein de son projet " et l'analyse d'impact du projet a précisé que l'impact économique oscille entre -1,48% et -1,86% pris sur le chiffre d'affaires de ces commerces. Quant à l'extension des gammes du magasin en bricolage et en animalerie, elle n'est pas de nature à impacter un commerce de centre-ville, compte tenu de l'absence de commerce dans ces secteurs d'activité. La communauté de communes du Pays de L'Aigle est couverte par une " opération de revitalisation du territoire " (ORT), dont l'un des objectifs est de rééquilibrer le commerce de centre-ville par rapport au développement des enseignes de la grande distribution qui se créent en entrée de ville et il est constant que le terrain d'assiette du projet est en dehors du secteur d'intervention de l'ORT. Toutefois, le projet permettra de revitaliser une friche commerciale en entrée de ville, ce qui accroit l'attractivité du territoire. Si un précédent projet avait fait l'objet d'une suspension préfectorale le 31 décembre 2020, portant sur l'extension de la jardinerie Leclerc et la création de quatre cellules commerciales pour une surface totale de 2 379 m², au motif qu'il était de nature à compromettre l'atteinte des objectifs de la convention ORT mise en place sur la commune de L'Aigle du fait d'une concurrence importante et directe avec le centre-ville, le projet en cause n'est pas identique, dès lors notamment qu'il ne comporte plus la création de quatre cellules commerciales. Dans son avis favorable, le ministre chargé du commerce a indiqué que le projet n'est " pas de nature à affecter directement les commerces des centralités environnantes ", même s'" il a cependant pour effet de renforcer l'attractivité d'un pôle périphérique au détriment desdites centralités. " Les enseignes citées par la société Pascalyne dans la zone de chalandise, telles Centrakor ou Gamm Vert, ne viennent pas directement concurrencer le projet, en raison des produits vendus ou de leur localisation. Enfin, contrairement à ce que soutient la société requérante, les pôles commerciaux ne se développent pas uniquement à l'Est de la commune de L'Aigle. Ainsi, alors même que la commune de L'Aigle a été intégrée au programme " Petites Villes de Demain ", le moyen tiré de ce que l'autorisation accordée serait de nature à compromettre la réalisation du critère énoncé par la loi en matière d'impact sur l'animation urbaine et commerciale doit être écarté.
S'agissant des flux de transports et de l'accessibilité par les transports collectifs :
7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce : " I. La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments mentionnés ci-après ainsi que, en annexe, l'analyse d'impact définie au III de l'article L. 752-6 (...) / 3° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : / a) Prise en compte de l'objectif de compacité des bâtiments et aires de stationnement ; / b) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site, ainsi que des capacités résiduelles d'accueil des infrastructures de transport existantes ; / c) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules de livraison générés par le projet et description des accès au projet pour ces véhicules ; d) Indication de la distance du projet par rapport aux arrêts des moyens de transports collectifs, de la fréquence et de l'amplitude horaire de la desserte de ces arrêts ; / e) Analyse prévisionnelle des flux de déplacement dans la zone de chalandise, tous modes de transport confondus, selon les catégories de clients ; / (...) ". La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de commerce, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
8. Il est constant qu'aucune étude de trafic n'a été réalisée dans le dossier de demande d'autorisation du projet litigieux. Toutefois, le pétitionnaire a fourni une analyse prévisionnelle des flux de déplacements indiquant que 95% de la clientèle se rendra sur site en voiture, 5% à vélo et à pied et 0% en transports en commun. Le pétitionnaire s'est fondé sur des comptages routiers effectués par le conseil départemental de l'Orne en 2019, d'où il ressort que le flux de voitures sur la route départementale n° 918 est estimé à 4 976 véhicules en moyenne journalière. La société L'Aigle Distribution indique que le projet accueillera en moyenne 701 véhicules/jour, soit
70 véhicules supplémentaires/jour. Ce flux n'impactera que très légèrement le trafic sur la RD 918 puisque 90% des futurs clients de l'ensemble commercial empruntent déjà la route départementale. L'augmentation des flux de circulation sera de 1,4% sur la RD 918, soit 5 046 véhicules par jour sur cet axe. Le dossier du pétitionnaire conclut à l'absence d'impact sur la circulation car " les infrastructures routières existantes sont en capacité d'absorber cette augmentation de véhicules, tout en conservant une fluidité et une sécurisation de la circulation ". De même, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a relevé une bonne desserte routière du projet. Le maire de Saint-Sulpice-sur-Risle a attesté, le 28 décembre 2021, que " l'exploitation du centre commercial Leclerc ne crée aucune gêne particulière à la circulation sur la voie communale 226 ". Un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 22 décembre 2021, soit juste avant les fêtes de fin d'année, période traditionnellement de forte affluence, indique que la circulation autour de l'ensemble commercial dans lequel est situé le projet en litige est fluide et que de nombreuses places de stationnement restent vacantes. La société Pascalyne n'apporte aucun élément de nature à établir, au vu des données non utilement contredites mentionnées ci-dessus, que les insuffisances entachant le dossier auraient été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. Il ressort en particulier des pièces du dossier que les infrastructures routières existantes sont en capacité d'absorber l'augmentation de véhicules générée par le projet.
9. En second lieu, une navette urbaine, ayant une fréquence de deux passages hebdomadaires, les mardis et vendredis matins, comporte un arrêt à 300 mètres du projet en cause. Un arrêt de bus, de la ligne 62 du réseau " NOMAD ", se trouve à 400 mètres du projet et est desservi une matinée par semaine. Si ces modes de transport ne sont pas efficients pour les clients du projet, en raison de la très faible fréquence de passage, les activités de bricolage et de jardinerie se prêtent peu à des déplacements en transports en commun ou à vélo. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux serait de nature à compromettre la réalisation des objectifs énoncés par la loi en matière d'accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone.
S'agissant de la consommation économe de l'espace et de l'artificialisation des sols :
10. En premier lieu, aux termes du V de l'article L. 752-6 du code de commerce issu de l'article 215 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : " L'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols, au sens du neuvième alinéa de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme. / Toutefois, une autorisation d'exploitation commerciale peut être délivrée si le pétitionnaire démontre, à l'appui de l'analyse d'impact mentionnée au III du présent article, que son projet s'insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d'urbanisation adéquat, qu'il répond aux besoins du territoire et qu'il obéit à l'un des critères suivants : / 1° L'insertion de ce projet, tel que défini à l'article L. 752-1, dans le secteur d'intervention d'une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ; / 2° L'insertion du projet dans une opération d'aménagement au sein d'un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ; / 3° La compensation par la transformation d'un sol artificialisé en sol non artificialisé, au sens de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme ; 4° L'insertion au sein d'un secteur d'implantation périphérique ou d'une centralité urbaine identifiés dans le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale entré en vigueur avant la publication de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ou au sein d'une zone d'activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d'urbanisme intercommunal entré en vigueur avant la publication de la même loi. Les deuxième à sixième alinéas du présent V sont applicables uniquement aux projets ayant pour objet (...) c) L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 10 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet, dans la limite d'une seule extension par magasin ou ensemble commercial et sous réserve que l'extension de la surface de vente soit inférieure à 1 000 mètres carrés. / Pour tout projet d'une surface de vente supérieure à 3 000 mètres carrés et inférieure à 10 000 mètres carrés, la dérogation n'est accordée qu'après avis conforme du représentant de l'Etat. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent V ainsi que les projets considérés comme engendrant une artificialisation des sols au sens du premier alinéa du présent V. ".
11. Une loi nouvelle entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, dans les conditions fixées à l'article 1er du code civil, sauf si elle en dispose autrement ou si son application est manifestement impossible en l'absence de dispositions réglementaires en précisant les modalités. L'article 205 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du V cité au point 10. La société Pascalyne reconnaît que l'octroi d'une dérogation au principe d'interdiction de délivrance d'une autorisation d'exploitation commerciale ayant une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols nécessitait des mesures réglementaires pour son application, intervenues avec le décret du 13 octobre 2022 relatif aux modalités d'octroi de l'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols, qui dispose, à son article 9, que " les dispositions du présent décret s'appliquent pour les demandes déposées à compter du 15 octobre 2022. ". Si ce décret se borne à préciser la notion d'artificialisation des sols, déjà définie à l'article
L. 101-2-1 du code de l'urbanisme auquel renvoie le V de l'article L. 752-6 du code de commerce, en introduisant un article R. 752 au code de commerce et en précisant la procédure à suivre lorsqu'un projet engendre une artificialisation des sols, l'application dans le temps du principe d'interdiction et de la possibilité de dérogations à ce principe, liés et contenus au sein du même V de l'article L. 752-6 du code de commerce ne peut être que concomitante. Ainsi, alors même que le projet litigieux, qui porte sur un projet d'extension de 6 090 m² d'un ensemble commercial portant la surface de vente totale de ce dernier de 14 584,55 m² à 20 674,55 m² et entraîne une artificialisation des sols, ne pouvait pas faire l'objet d'une dérogation, la SAS Pascalyne ne peut utilement se prévaloir, s'agissant d'un permis de construire délivré au vu d'un dossier de demande déposé complet le 16 juin 2022, des dispositions du V de l'article L. 752-6 du code de commerce issues de la loi du 22 août 2021, dès lors qu'en vertu de l'article 9 du décret du 13 octobre 2022 ces dispositions ne sont susceptibles d'être entrées en vigueur que dans le cadre de dossiers de demandes déposés à compter du 15 octobre 2022. La circonstance que le décret, dans son article 1er, paraphrase la loi s'agissant de la notion d'artificialisation et viendrait ajouter à la loi, en mentionnant la date à laquelle l'artificialisation doit être constatée, fixée au 23 août 2021, est sans influence eu égard aux motifs retenus. Enfin, l'article 9 du décret, qui précise sa date d'application, n'est pas contraire à la loi, le législateur ayant explicitement renvoyé à un décret les modalités d'application de l'ensemble du V de l'article L. 752-6 du code de commerce. Par conséquent, le moyen, soulevé par la voie de l'exception, tiré de l'illégalité des articles 1er et 9 du décret du
13 octobre 2022 doit également être écarté.
12. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet contesté consiste en la démolition du magasin Lidl existant et en la reprise de deux bâtiments qui ne sont plus exploités, avec un taux d'artificialisation du terrain d'assiette n'augmentant que de 2,83 % par rapport à la situation actuelle, en se situant à 47,06%. En outre, si le projet litigieux s'implante sur un terrain de 15 331 m² pour une surface de vente de 1 418 m², il entraine une réduction de 12 % du nombre de places de stationnement. Une surface dédiée aux espaces verts de 7 838 m², soit 51,1 % du terrain initial, est également prévue. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le projet litigieux serait de nature à compromettre la réalisation des objectifs énoncés par la loi en matière de consommation économe de l'espace doit être écarté.
S'agissant de l'insertion paysagère et architecturale du projet :
13. Il ressort des pièces du dossier que si un précédent projet porté par le même pétitionnaire sur le même terrain d'assiette avait fait l'objet d'un avis défavorable de la CNAC, le projet modifié en cause a amélioré l'insertion paysagère, dès lors que l'extension vient en continuité du jardin existant, que la partie Nord de l'extension sera traitée par une grande serre à onze pentes, le reste du bâtiment ayant ses toitures cachées par les acrotères du bâtiment. En outre, la panne sablière de la serre a été baissée d'un mètre le long du boulevard du maréchal Leclerc pour limiter l'impact de la hauteur. La typologie de volumes " en pignon " a été augmentée pour réduire la massivité du volume de connexion avec le magasin actuel et en diminuer l'impact visuel. La ligne de crête grise périphérique a été affinée en réduisant sa hauteur. La proportion de vitrage vertical sur le côté a été augmentée et les toitures de l'extension ont été éclaircies. La limite de propriété Ouest sera plantée et la proportion de vitrage vertical sera augmentée sur le côté. Le parking a été réduit à 698 places au lieu de 737 et le parking existant devant le magasin recevra de nouvelles zones de plantation situées au bout des rangées de places et entre les stationnements. Des arbres seront aussi plantés afin de réduire la présence des voitures visibles depuis l'espace public. La création de deux murs végétaux sur la façade Est du magasin Jardi Brico et sur la façade Nord du magasin principal est prévue pour créer une rupture visuelle de la longueur des façades. Le projet comporte cent-quatre-vingt-neuf arbres, soit cent-soixante-six arbres de plus que dans le projet qui avait fait l'objet d'un avis défavorable de la CNAC. Le pétitionnaire divisera le talus afin de proposer trois zones paysagères qui " correspondront aux besoins visuels de chaque zone " : une première zone plantée afin de masquer le parc de stationnement, une deuxième devant l'extension " afin d'adoucir le visuel du bâtiment ", une dernière afin de masquer la cour extérieure de l'extension à l'aide d'arbres. Les espaces verts projetés concerneront 9 577 m², soit 13,1% de la parcelle. Si dix arbres seront abattus pour la réalisation du projet, soixante-huit seront plantés. Enfin, le projet permet de démolir trois bâtiments délabrés, visibles depuis la rue. Par conséquent, au vu de l'ensemble des améliorations prévues par le pétitionnaire et alors même que le ministre chargé de l'urbanisme a indiqué, dans son avis défavorable, que le projet " ne présente pas une insertion paysagère et architecturale de qualité, car le bâtiment volumineux, accentue la disproportion déjà réelle du site par rapport au paysage environnant ", il ne ressort pas des pièces du dossier que la CNAC aurait entaché son avis du 13 octobre 2022 d'une erreur d'appréciation au regard du critère énoncé par la loi en matière d'insertion paysagère et architecturale.
S'agissant de la consommation énergétique du projet :
14. La société Pascalyne reconnaît que la règlementation environnementale (RE) 2020 n'était pas applicable au projet et contrairement à ce qu'elle soutient, le pétitionnaire n'avait pas à anticiper l'application de cette réglementation. Le pétitionnaire a précisé devant la CNAC que l'isolation thermique sera augmentée par rapport aux minimas réglementaires de la règlementation thermique (RT) 2012 et que le projet présente des surperformances de 22,79% par rapport au besoin bioclimatique (Bbio) maximum et de 42,31 % pour le coefficient d'énergie primaire (CEP). Le projet prévoit 2 053 m2 de panneaux photovoltaïques en toiture, soit au-delà de la surface minimum requise. Ainsi, alors même que le pourcentage d'autosuffisance que représentera la production d'électricité produite par ces panneaux n'a pas été indiqué et que ces mesures ne portent que sur l'extension projetée, il ne ressort pas des pièces du dossier que la CNAC aurait entaché son avis d'erreur d'appréciation au regard du critère énoncé par la loi en termes d'impact sur la consommation énergétique du projet.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pascalyne n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le maire de Saint-Sulpice-sur-Risle a délivré un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société L'Aigle Distribution.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle et de la société L'Aigle Distribution, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme que la SAS Pascalyne demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SAS Pascalyne la somme de 1 500 euros à verser, d'une part à la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle et, d'autre part, à la société L'Aigle Distribution.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Pascalyne est rejetée.
Article 2 : La SAS Pascalyne versera respectivement à la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle et à la société L'Aigle Distribution une somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Pascalyne, à la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle, à la société par actions simplifiée L'Aigle Distribution et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée, pour information à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2024.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00076