Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les décisions du 20 décembre 2019 et du 13 février 2020 par lesquelles le maire de la commune de Colomby-Anguerny a refusé de faire droit à leur demande tendant à l'abrogation d'arrêtés de péril imminent des 1er et 12 juillet 2019, de condamner la commune à leur verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la démolition partielle d'un bâtiment et de les décharger du paiement de la somme de 13 500 euros au titre des frais de démolition.
Par un jugement n° 2000443 du 3 février 2023, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune de Colomby-Anguerny à verser la somme de 3 000 euros à Mmes A... en réparation de leurs préjudices et a rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 mars et 10 novembre 2023, Mmes A..., représentées par Me Cassaz, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 février 2023 en tant qu'il a limité la condamnation de la commune de Colomby-Anguerny à la somme de 3 000 euros et a rejeté leurs demandes à fins de décharge de la somme de 13 500 euros et de reconstruction du mur à l'identique ;
2°) de les décharger de la somme de 13 500 euros au titre des travaux de démolition ;
3°) de condamner la commune de Colomby-Anguerny à leur verser la somme de 133 872 euros si mieux n'aime de lui enjoindre de procéder à la reconstruction à l'identique du bâtiment partiellement démoli dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner la commune de Colomby-Anguerny à leur verser les sommes de 15 000 euros au titre de leur préjudice moral et d'agrément et matériel et de 93 710,40 euros au titre du coût de reconstruction du mur jusqu'au pignon ;
5°) à titre subsidiaire, de désigner un expert aux fins d'évaluation du coût de reconstruction du bâtiment illégalement démoli et de déterminer les mesures réparatoires qui s'imposent et les préjudices qu'elles ont subis ;
6°) de mettre à la charge de la commune de Colomby-Anguerny la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences du fait qu'ils ont estimé que les murs situés en deçà de la toiture n'auraient jamais dû être démolis puisqu'ils ne présentaient pas un état de péril ;
- le coût de reconstruction du mur jusqu'au pignon a été évalué par expert à la somme de 78 092 euros HT (TVA 20%) ;
- leur préjudice moral et d'agrément s'élève à 15 000 euros alors que leur propriété a subi une baisse de valeur vénale de 38 700 euros et que la commune a fait pression pour détruire le bâtiment en ne cachant pas que cela faciliterait la prise de possession de leur terrain dans le cadre d'un plan d'alignement ;
- la démolition étant illégale et portant atteinte à leur droit de propriété, elles doivent être déchargés de la somme de 13 500 euros mise à leur charge et la commune doit prendre en charge la reconstruction complète du bâtiment détruit ou si mieux n'aime les indemniser du coût de cette reconstruction à hauteur de 133 872 euros ;
- le maire de Colomby-Anguerny n'a pas envisagé la moindre démolition pour le mur situé dans la contiguïté de leur propriété.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 mai et 22 novembre 2023, la commune de Colomby-Anguerny, représentée par Me Cavelier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérantes la somme de 3 000 euros au titre des frais d'instance.
Elle soutient que :
- les conclusions à fin de réparation du préjudice moral sont irrecevables car insuffisamment motivées ;
- les conclusions à fin de prise en charge du coût de reconstruction à hauteur de 78 092 euros sont irrecevables comme nouvelles en appel et tardives ;
- les conclusions à fin de décharge de la somme de 13 500 euros sont irrecevables faute de contestation de l'état exécutoire litigieux ;
- les conclusions à fin d'injonction sont infondées en l'absence de comportement fautif persistant de l'administration ;
- les conclusions à fin de condamnation alternative au paiement d'une somme de 133 872 euros sont irrecevables comme nouvelles en appel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- et les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... et Mme C... A... sont propriétaires d'un ensemble immobilier situé sur le territoire de la commune de Colomby-Anguerny (Calvados). A la suite de chutes de pierres du toit d'un bâtiment annexe de leur propriété sur la voie publique, par un arrêté du 1er juillet 2019 le maire de cette commune les a mises en demeure de détruire quatre murs d'un bâtiment de cet ensemble immobilier, dans un délai de deux jours. Par un second arrêté, du 12 juillet 2019, devant être regardé comme se substituant au précédent, il les a mises en demeure de démolir partiellement les murs du même bâtiment, dans un délai de deux jours. La commune a fait effectuer d'office les travaux de démolition par la société Leclerc démolition, qui a émis le 17 juillet 2019 au nom de Mmes A... une facture d'un montant de 13 500 euros. Par un courrier du 16 décembre 2019, Mmes A... ont demandé au maire de Colomby-Anguerny d'abroger les arrêtés de péril des 1er et 12 juillet 2019, de reconstruire le bâtiment détruit, de les décharger de la somme de 13 500 euros et de leur verser la somme de 15 000 euros en réparation de leurs préjudices. Le maire de la commune a rejeté leurs demandes par un courrier du 13 janvier 2020. Mmes A... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler cette décision et de faire droit à leurs demandes. Par un jugement du 3 février 2023, le tribunal a condamné la commune à verser la somme de 3 000 euros à Mmes A... en réparation de leur préjudice moral, a mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance et a rejeté le surplus de leurs conclusions. Elles relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de leur demande.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, dans sa
version applicable au litige : " En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d'un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l'état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate. / Si le rapport de l'expert conclut à l'existence d'un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l'évacuation de l'immeuble. / Dans le cas où ces mesures n'auraient pas été exécutées dans le délai imparti, le maire les fait exécuter d'office. En ce cas, le maire agit en lieu et place des propriétaires, pour leur compte et à leurs frais. / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine (...) ". Aux termes de l'articles L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites ". En présence d'une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d'une mesure de démolition, le maire ne peut l'ordonner que sur le fondement des pouvoirs de police générale qu'il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales citées ci-dessus, en faisant réaliser ces travaux aux frais de la commune. Lorsque la personne publique entend toutefois obtenir le remboursement auprès d'un propriétaire privé des frais qu'elle a exposés à l'occasion de travaux de démolition engagés sur ce fondement en invoquant la responsabilité civile de ce propriétaire, au titre soit d'une faute soit de son enrichissement sans cause, la contestation de la créance invoquée par la personne publique constitue, quel que soit son mode de recouvrement, un litige relevant de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire, en l'absence d'une disposition législative spéciale régissant une telle action civile.
3. Il résulte de l'instruction que les dispositions de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, qui ont servi de base légale aux arrêtés de péril litigieux, n'autorisaient pas le maire de la commune de Colomby-Anguerny à faire procéder aux travaux en cause, assimilables compte tenu de leur ampleur à la démolition de l'immeuble dans son ensemble, alors au surplus qu'il s'était abstenu de saisir le juge administratif à fin de nomination d'un expert, en méconnaissance de ces dispositions, mais qu'il lui appartenait en vertu de ses pouvoirs de police générale, eu égard à une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent tenant aux risques de chutes de matériaux sur le trottoir et la chaussée de la voie publique, d'ordonner les travaux de démolition permettant de mettre fin à cette situation.
4. Toutefois, il résulte également de l'instruction, en particulier du rapport du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Calvados du 25 juin 2020, que compte tenu du risque d'effondrement du bâtiment résultant de la fragilisation de sa structure externe et de la présence d'un étaiement de fortune pour soutenir la charpente, la démolition de la totalité de l'immeuble à l'exception des parties saines de ses murs porteurs se justifiait pour des motifs de sécurité publique. Dans ces conditions, les requérantes ne sont en tout état de cause pas fondées à demander l'indemnisation des préjudices résultant directement du mauvais état de leur bien. Sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise pour évaluer leurs préjudices, ni de se prononcer sur la recevabilité de leur demande indemnitaire, leurs conclusions tendant à réformer le jugement attaqué en tant qu'il ne leur accordé qu'une somme de 3 000 euros en réparation de leurs préjudices doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin de décharge de la somme de 13 500 euros :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
6. Mmes A... soutiennent que les premiers juges auraient dû prononcer, sur le fondement de ces dispositions du code de justice administrative, la décharge de l'obligation de payer la facture émise à leur nom par l'entreprise qui a procédé à la démolition des murs de leur propriété. Toutefois, le jugement attaqué, qui en particulier ne prononce l'annulation d'aucune décision administrative mettant cette somme à leur charge, n'impliquait pas de prescrire une telle mesure. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune de Colomby-Anguerny, Mmes A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté leur demande de décharge de la somme de 13 500 euros.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. D'une part, le jugement attaqué qui ne prononce l'annulation d'aucune décision administrative n'impliquait pas d'ordonner la reconstruction à l'identique du bâtiment partiellement démoli.
8. D'autre part, la personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets.
9. En se bornant à faire valoir que les arrêtés de périls pris par la commune étaient illégaux, que celle-ci n'a rien entrepris pour reconstruire l'immeuble en cause ou éviter sa dégradation et a au contraire entrepris de recouvrer la somme de 13 500 euros correspondant au coût de la démolition, Mmes A... n'établissent pas la persistance d'un comportement fautif de la commune de Colomby-Anguerny, dès lors qu'il n'est pas allégué que celle-ci ferait obstacle à l'exécution du jugement attaqué, confirmé par le présent arrêt, en ce qu'il implique que les fautes commises par le maire du fait des illégalités entachant l'arrêté de péril imminent du 12 juillet 2019 doivent uniquement donner lieu à une réparation pécuniaire. Par suite, Mmes A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté leur demande de reconstruction à l'identique du bâtiment partiellement démoli.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Colomby-Anguerny, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mmes A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Colomby-Anguerny au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mmes A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Colomby-Anguerny au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., Mme C... A... et à la commune de Colomby-Anguerny.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2024.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00905