Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du préfet de la Mayenne du 8 novembre 2019 portant mise en demeure de régulariser la situation administrative de son établissement d'élevage de loups hybrides.
Par un jugement n° 2000309 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de Mme C....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2023, Mme C..., représentée par Me Jerusalemy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2019 du préfet de la Mayenne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas été mise en demeure de formuler des observations sur la substitution de motifs effectuée par le tribunal ;
- elle n'a pas disposé du temps nécessaire pour se défendre dans le cadre de cette substitution de motifs alors que le temps nécessaire pour se procurer des certificats de domesticité est très long ;
- la substitution de motifs n'est pas motivée ;
- les tests génétiques démontrent que la fratrie acquise en 2018 provient du croisement d'un chien loup de Saarlos et d'un husky ;
- le préfet de la Mayenne n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations selon lesquelles le ministère de l'agriculture reconnaissait par arrêté le caractère domestique de ses chiens et qu'elle produisait des éléments permettant d'établir que l'éleveur américain chez qui elle avait acquis ses chiens fournissait des chiens domestiques ;
- le chien loup américain survivant est né de parents enregistrés comme étant traçables pendant cinq générations.
Par un mémoire, enregistré le 9 septembre 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête de Mme C....
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d'animaux domestiques ;
- l'arrêté du 1er août 2012 relatif à l'identification des carnivores domestiques et fixant les modalités de mise en œuvre du fichier national d'identification des carnivores domestiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- et les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... est propriétaire de sept canidés, qu'elle dit être des " chiens loups américains " ou hybrides de loups et de chiens. Elle est présidente de l'association Waneloup qui présente ces animaux dans des manifestations ouvertes au public relatives aux amérindiens et à leurs traditions. A la suite d'un contrôle, le 22 octobre 2018, par un agent de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), le préfet de la Mayenne, estimant que ces canidés ne relèvent pas de la catégorie des animaux domestiques au regard de la réglementation applicable en France, par un arrêté du 8 novembre 2019, a mis en demeure Mme C... de prendre un certain nombre de mesures pour se conformer à la réglementation des établissements entretenant des animaux non domestiques. Mme C... fait appel du jugement du 16 février 2023 du tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. Il ressort des pièces du dossier que les premiers juges ont procédé à une substitution de motif fondée sur les écritures du préfet de la Mayenne, qui ne l'avait pas, même implicitement, demandé, sans avoir mis à même Mme C... de présenter ses observations sur la substitution. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé. Il y a lieu pour la cour de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par Mme C....
Sur la légalité de l'arrêté du 8 novembre 2019 du préfet de la Mayenne :
4. En premier lieu, par un arrêté du 9 janvier 2019, régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture de la Mayenne, le préfet de la Mayenne a donné délégation à M. B... A..., directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Mayenne, à l'effet de signer, dans le cadre de ses attributions et compétences, les arrêtés, décisions, avis et correspondances relatifs notamment à la protection de la faune sauvage captive, en particulier les autorisations d'ouverture d'établissements d'élevage d'animaux non domestiques ainsi que les certificats de capacité pour leur détention. L'article 3 du même arrêté a autorisé la subdélégation de cette signature aux agents placés sous l'autorité de M. A.... Ce dernier a ensuite délégué, par un arrêté du 9 septembre 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, sa signature à Mme F... D..., chef de service santé et protection animale, inspectrice de santé publique vétérinaire et signataire de l'arrêté attaqué, à l'effet de signer les actes administratifs relatifs à la protection de la faune sauvage tels que mentionnés dans l'article 1er de l'arrêté du 9 janvier 2019. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de Mme D..., signataire de l'arrêté contesté, doit être écarté.
5. En deuxième lieu, si Mme C... fait grief au préfet de la Mayenne de s'être fondé sur un compte-rendu de contrôle établi par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) sans même voir ses chiens, elle ne précise pas en vertu de quelles dispositions législatives ou réglementaires ou en vertu de quel principe l'administration ne pouvait pas traiter le dossier sur pièces. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la procédure suivie par le préfet de la Mayenne serait irrégulière pour ce motif.
6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 411-5 du code de l'environnement : " Sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n'ont pas subi de modification par sélection de la part de l'homme. (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d'animaux domestiques : " Pour l'application des articles R. 411-5 et R. 413-8 susvisés du code de l'environnement, sont considérés comme des animaux domestiques les animaux appartenant à des populations animales sélectionnées ou dont les deux parents appartiennent à des populations animales sélectionnées. / On appelle population animale sélectionnée une population d'animaux qui se différencie des populations génétiquement les plus proches par un ensemble de caractéristiques identifiables et héréditaires qui sont la conséquence d'une politique de gestion spécifique et raisonnée des accouplements. / Une espèce domestique est une espèce dont tous les représentants appartiennent à des populations animales sélectionnées ou sont issus de parents appartenant à des populations animales sélectionnées. / Une race domestique est une population animale sélectionnée constituée d'un ensemble d'animaux d'une même espèce présentant entre eux suffisamment de caractères héréditaires communs dont l'énumération et l'indication de leur intensité moyenne d'expression dans l'ensemble considéré définit le modèle. / Une variété domestique est une population animale sélectionnée constituée d'une fraction des animaux d'une espèce ou d'une race que des traitements particuliers de sélection ont eu pour effet de distinguer des autres animaux de l'espèce ou de la race par un petit nombre de caractères dont l'énumération définit le modèle. ". La liste limitative annexée à cet arrêté mentionne parmi les espèces, races et variétés d'animaux domestiques, dans la catégorie des canidés, le chien (canis familiaris). Par ailleurs, pour les carnivores domestiques, l'article L. 212-10 du code rural et de la pêche maritime prévoit que : " Les chiens, les chats et les furets, préalablement à leur cession, à titre gratuit ou onéreux, sont identifiés par un procédé agréé par le ministre chargé de l'agriculture mis en œuvre par les personnes qu'il habilite à cet effet. Il en est de même, en dehors de toute cession, pour les chiens âgés de plus de quatre mois, pour les furets âgés de plus de sept mois nés après le 1er novembre 2021 et pour les chats de plus de sept mois. L'identification est à la charge du cédant. (...) " . Ces dispositions sont notamment complétées par l'arrêté du 1er août 2012 relatif à l'identification des carnivores domestiques et fixant les modalités de mise en œuvre du fichier national d'identification des carnivores domestiques, qui définit les carnivores domestiques comme " les carnivores détenus ou destinés à être détenus par l'homme qui ont fait l'objet d'une pression de sélection continue et constante à l'origine de la formation d'un groupe d'animaux indépendamment de leur enregistrement à un livre généalogique et qui ont acquis des caractères stables, génétiquement héritables. Les carnivores domestiques comprennent notamment les espèces suivantes : chien, chat, furet ; ". La pré-identification de l'animal ayant été effectuée par une personne habilitée, l'article 10 de cet arrêté précise que : " Après réception du volet du document de préidentification qui lui est destiné et après avoir effectué le contrôle des informations inscrites sur ce document conformément aux prescriptions du présent arrêté, le gestionnaire du fichier national d'identification des carnivores domestiques édite la carte d'identification définie à l'article 12. / Le gestionnaire du fichier national d'identification des carnivores domestiques adresse cette carte d'identification au propriétaire mentionné sur le volet du document de préidentification qui lui a été envoyé dans un délai de huit jours après avoir renseigné dans le fichier les informations prévues à l'annexe II. ".
7. En fondant sa décision sur le fait que les animaux de Mme C... ne pouvaient être considérés comme des chiens au seul motif que ce sont des hybrides de loup et de chien car les autorités ministérielles françaises compétentes considèrent que de tels hybrides sont des carnivores non domestiques, seuls le chien loup de Saarloos et le chien loup tchécoslovaque étant reconnus comme domestiques, le préfet de la Mayenne a commis une erreur de droit dès lors qu'il lui appartenait en fait, en application de l'article R. 411-5 du code de l'environnement et de l'article 1er de l'arrêté du 11 août 2006, de vérifier que les animaux de la requérante appartenaient à des populations animales sélectionnées ou dont les deux parents appartiennent à des populations animales sélectionnées, c'est-à-dire des populations d'animaux qui se différencient des populations génétiquement les plus proches par un ensemble de caractéristiques identifiables et héréditaires qui sont la conséquence d'une politique de gestion spécifique et raisonnée des accouplements.
8. Néanmoins, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Pour établir que la décision contestée était légale, le préfet de la Mayenne fait désormais valoir dans ses écritures que pour qu'un animal soit considéré comme appartenant à une espèce domestique, son propriétaire doit posséder son pedigree qui atteste de sa généalogie, seule à même d'établir que l'animal appartient à une population animale sélectionnée ou que ses deux parents appartiennent à une population animale sélectionnée. Or, Mme C... ne dispose pas d'un tel document.
10. Toutefois, Mme C... peut justifier par tout moyen de ce que ses " chiens loups " appartiennent à des populations animales sélectionnées ou dont les deux parents appartiennent à des populations animales sélectionnées.
11. En produisant, pour deux de ses animaux, acquis en 2013, des cartes d'identification par lesquelles le ministre de l'agriculture de l'agroalimentaire et de la forêt a, par l'intermédiaire de la société d'identification des carnivores domestiques (I-CAD) reconnu le caractère de carnivore domestique desdits animaux, de la race North American Indian Dog (Northaid), dont il ressort d'ailleurs des pièces du dossier que bien que non reconnue par les fédérations cynologiques française et internationale elle l'est aux Etats-Unis, Mme C... justifie qu'ils appartiennent à une espèce domestique. Par suite, le préfet de la Mayenne n'est pas fondé à soutenir que sa décision serait fondée, en ce qui concerne ces deux chiens, par cet autre motif.
12. En revanche, Mme C... ne produit aucun document permettant d'établir l'origine de ses cinq autres animaux. En se bornant à soutenir qu'ils proviennent du croisement d'un chien loup de Saarlos et d'un husky et à produire des relevés de tests génétiques non probants, elle n'établit pas que ces animaux appartiennent à des populations animales sélectionnées ou dont les deux parents appartiennent à des populations animales sélectionnées. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Contrairement à ce que soutient Mme C..., qui a disposé de suffisamment de temps pour se défendre, la substitution demandée ne l'a pas privée d'une garantie procédurale liée au motif substitué. Le préfet de la Mayenne est donc fondé à soutenir que ce motif est de nature à fonder légalement sa décision pour ces autres animaux.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est fondée à demander, outre l'annulation du jugement attaqué, celle de la décision contestée qu'en ce qui concerne ses deux chiens de race Northaid nés en 2013.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 16 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 8 novembre 2019 du préfet de la Mayenne est annulé en tant qu'il concerne les chiens de race North American Indian Dog (Northaid) Iwanii, né le 27 février 2013 et Iyuma, né le 18 février 2013.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Une copie du présent arrêt sera adressée, pour information, au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2024.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et au ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01113