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14/01/2025 | FRANCE | N°24NT00341

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 14 janvier 2025, 24NT00341


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A..., M. B... C... A... et Mme E... C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 4 décembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les deux décisions du 8 août 2022 de l'autorité consulaire française en Éthiopie refusant de délivrer à M. B... C... A... et Mme E... C... A... les visas de long séjour sollicités au titre

de la réunification familiale.



Par un jugement n° 2301594 du 11 décembre 2023, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A..., M. B... C... A... et Mme E... C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 4 décembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les deux décisions du 8 août 2022 de l'autorité consulaire française en Éthiopie refusant de délivrer à M. B... C... A... et Mme E... C... A... les visas de long séjour sollicités au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2301594 du 11 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2024, MM. C... A..., M. B... C... A... et Mme E... C... A..., représentés par Me Le Floch, demandent à la cour :

1°) d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise génétique ;

2°) d'annuler ce jugement du 11 décembre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

3°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de

100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, subsidiairement, de condamner l'Etat à leur verser la même somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- une expertise pourra être décidée sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de justice administrative ; les éléments produits établissent les liens de filiation ;

- les décisions méconnaissent les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. C... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant érythréen, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du 15 janvier 2020 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). M. B... C... A... et Mme E... C... A..., se présentant comme ses enfants, ont demandé la délivrance de visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'ambassade de France à Addis-Abeba (Éthiopie), qui a rejeté leurs demandes. Saisie d'un recours administratif préalable obligatoire formé contre ces refus consulaires, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, à son tour, implicitement refusé de délivrer les visas sollicités, par une décision née le 4 décembre 2022. Par un jugement du 6 septembre 2023 dont les consorts C... A... relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue. ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;/ 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; /3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; /4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;/ 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ".

3. Par ailleurs, la circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

4. Pour rejeter les recours formés devant elle pour M. B... C... A... et Mme E... C... A... la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs opposés par l'autorité consulaire française en Éthiopie à ces demandeurs de visa. Il a ainsi été opposé à M. B... C... A... le fait que la preuve que M. C... A... l'aurait déclaré comme membre de sa famille n'était pas apportée par un certificat de l'OFPRA et pour Mme E... C... A..., le fait que le lien familial l'unissant à M. C... A... n'était pas établi. Pour établir que la décision était légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a également fait valoir en première instance, puis en appel, s'agissant de M. B... C... A..., que son lien de filiation avec le réunifiant n'était pas établi par les pièces produites.

5. En premier lieu, l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire présenté à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique : " En l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours mentionnée ci-dessus, le recours est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée (CAA de Nantes, 17 novembre 2020, n°20NT00588). ". La décision consulaire relative à M. C... A... comporte une case cochée avec la mention : " Le dossier que vous avez déposé ne contient pas la preuve que vous avez été déclaré comme membre de famille de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire lors de la déclaration par l'intéressé de sa situation familiale en application de l'article R. 722-4 du CESEDA ".

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du formulaire complété le 13 décembre 2018 par M. C... A... lors de sa demande d'asile et de la fiche familiale de référence établie le 19 février 2020, qu'il a déclaré M. B... C... A... comme étant son fils. Dans ces conditions, en retenant que le dossier de M. C... A... ne contenait pas la preuve qu'il a été déclaré comme membre de famille de réfugié lors de la déclaration par l'intéressé de sa situation familiale, intervenue en application de l'article R. 722-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, la commission de recours s'est fondée sur des faits matériellement inexacts.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... A... a déclaré à l'appui de sa demande d'asile écrite être le père de deux enfants nés d'une union libre avec une ressortissante érythréenne désormais établie en Israël nés, s'agissant de B..., le 11 décembre 2002 et E..., le 23 mars 2005. Il est demeuré constant et circonstancié sur cette situation familiale lors de son entretien à l'OFPRA le 5 février 2019 où il a précisé que ses enfants vivaient désormais en Éthiopie aux cotés de membres de sa famille. A cet égard il a communiqué un document du 8 mars 2019 comportant les photographies de B... et E..., émanant du Haut-Commissariat pour les Réfugiés en Éthiopie, les enregistrant sous les identités précédemment indiquées et mentionnant leurs dates de naissance, avec une erreur d'un an pour B.... Ces photographies sont par ailleurs cohérentes avec celles également produites par M. C... A... alors que B... et E... étaient enfants et, plus tard, lorsqu'il les a retrouvés à l'occasion de son voyage en Éthiopie en octobre 2021. Les intéressés ont également produit des certificats de baptême de l'Église orthodoxe copte érythréenne qui, s'ils ne constituent pas des actes d'état-civil, reprennent néanmoins les mêmes éléments de filiation et d'identité pour les deux enfants alors même qu'ils ne sont pas datés. Il ressort également des pièces du dossier que des transferts d'argent ont été effectués à compter de décembre 2020, soit peu après que M. C... A... s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié et la possibilité de travailler en France, à destination de M. D... A..., que le réunifiant a toujours présenté comme son frère ainé établi hors d'Érythrée, et qui vit désormais en Éthiopie avec ses enfants. L'ensemble de ces éléments permet d'établir l'identité et la filiation des deux demandeurs de visa à l'égard de M. C... A... par possession d'état. Par suite, en rejetant les demandes de visa au motif que l'identité et le lien de filiation des jeunes B... et E... C... A... avec M. C... A... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a procédé à une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête et la demande d'expertise avant-dire droit présentée, que les consorts C... A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Il y a lieu en conséquence d'annuler la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré respectivement à M. B... C... A... et à Mme E... C... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer de tels visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

10. M. C... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Le Floch dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2301594 du 11 décembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. B... C... A... et Mme E... C... A... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... C... A... et à Mme E... C... A... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Le Floch une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à M. B... C... A..., à Mme E... C... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00341


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00341
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;24nt00341 ?
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