Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 août 2023 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a ajourné de deux ans sa demande de naturalisation ainsi que la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer rejetant son recours hiérarchique.
Par une ordonnance n°2318569 du 13 février 2024, le président de la 6èmechambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mars 2024 et un mémoire non communiqué enregistré le 7 janvier 2025, Mme E..., représentée par Me Bedouret, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) l'annulation de l'ordonnance du 13 février 2024 du président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes ;
2°) l'annulation de la décision du 21 août 2023 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a ajourné de deux ans sa demande de naturalisation ainsi que la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer rejetant son recours hiérarchique ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui octroyer la naturalisation sollicitée ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la plateforme dématérialisée sur laquelle il lui a été demandé de déposer son recours hiérarchique n'était plus accessible 2 mois après la date à laquelle la décision a été rendue, soit le 21 octobre 2023 ;
- aucun texte n'impose une telle procédure dématérialisée et le courrier du 6 novembre 2023 ne mentionne pas de fondement textuel à cette exigence ;
- le courrier du 6 novembre 2023n'est nullement créateur de droit et ne lui fait pas grief ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation relative à la connaissance insuffisante des éléments fondamentaux de l'histoire et de la culture française ;
- son handicap rend impossible l'évaluation linguistique du français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2024, le ministre de l'intérieur conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête.
Il soutient que le recours administratif de Mme E... est en cours d'instruction et qu'une suite favorable à la demande de naturalisation de l'intéressée est envisagée sous réserve de tout élément porté à sa connaissance et susceptible de remettre en cause sa décision.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante arménienne, a sollicité la nationalité française auprès du préfet des Hautes-Pyrénées, qui a, par une décision du 21 août 2023 ajourné de deux ans sa demande en se fondant, à l'issue d'un entretien conduit le 28 décembre 2022, sur une connaissance insuffisante des éléments fondamentaux relatifs à l'histoire et à la culture française et sur un environnement familial ne permettant pas d'attester de son assimilation à la société française et de son adhésion aux valeurs de la République. L'intéressée a exercé un recours hiérarchique contre cette décision auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer le 12 octobre 2023. Par une décision du 6 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a demandé de déposer son recours hiérarchique par voie dématérialisée. Mme E... a ensuite contesté devant le tribunal administratif de Nantes la décision du 21 août 2023, ainsi que la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer. Par une ordonnance du 13 février 2024, le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Mme E... relève appel de cette ordonnance.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Pour rejeter la requête de Mme E... comme entachée d'irrecevabilités manifestes, le président de la 6èmechambre du tribunal administratif de Nantes a relevé que la requête déposée par Mme E... n'était pas accompagnée de la copie de la décision du ministre de l'intérieur et des outre-mer statuant sur son recours administratif préalable, ni de la pièce justifiant du dépôt d'un tel recours. Il a également relevé que si le courrier du 6 novembre 2023, par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a informé la requérante qu'elle devait effectuer son recours hiérarchique selon la procédure dématérialisée, devait être regardé comme une décision, Mme E... n'en contestait pas utilement les motifs.
3. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, informant la requérante qu'elle devait effectuer son recours hiérarchique selon la procédure dématérialisée, mentionne expressément que Mme E... a transmis à la sous-direction de l'accès à la nationalité française un recours hiérarchique contre la décision prise le 21 août 2023 par le préfet des Hautes-Pyrénées. Le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes ne pouvait, dans ces conditions, se fonder sur l'absence de pièce justifiant du dépôt du recours hiérarchique de la requérante pour rejeter sa requête, sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. En outre, Mme E... soutient sans être contredite que la plateforme dématérialisée sur laquelle il lui a été demandé de déposer son recours hiérarchique n'était plus accessible 2 mois après la date à laquelle la décision a été rendue, soit le 21 octobre 2023. Par suite, la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer devait être regardée comme une décision rejetant le recours hiérarchique de l'intéressée et Mme E..., contrairement à ce qu'a estimé le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes, en contestait utilement les motifs. La requérante est donc fondée à soutenir que l'ordonnance du 13 février 2024 du président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes est entachée d'irrégularités.
4. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande de Mme E....
Sur les conclusions à fin de non-lieu à statuer du ministre de l'intérieur :
5. Si le ministre de l'intérieur fait valoir que le recours administratif de Mme E... est en cours d'instruction et qu'une suite favorable à sa demande de naturalisation est envisagée, sous réserve de tout élément porté à sa connaissance et susceptible de remettre en cause sa décision, il ne produit aucune décision portant annulation de la décision du 21 août 2023 du préfet des Hautes-Pyrénées et de sa décision du 6 novembre 2023. Par suite, les conclusions à fin de non-lieu à statuer du ministre de l'intérieur ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
6. Aux termes de l'article 37-1 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " Le demandeur fournit, selon les mêmes conditions de recevabilité que celles prévues par l'article 9 : (...) 9° Un diplôme ou une attestation, délivrée depuis moins de deux ans, justifiant d'un niveau de langue égal ou supérieur à celui exigé en application de l'article 37 et délivré dans les conditions définies par cet article. Sont toutefois dispensées de la production de ce diplôme ou de cette attestation : (...) b) Les personnes dont le handicap ou l'état de santé déficient chronique rend impossible leur évaluation linguistique. La nécessité de bénéficier d'aménagements d'épreuves ou, à défaut l'impossibilité de se soumettre à une évaluation linguistique est justifiée par la production d'un certificat médical dont le modèle est fixé par arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères, du ministre chargé des naturalisations et du ministre de la santé ".
L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France. Pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap.
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment du certificat médical dressé par le Dr A... du 15 février 2022, ainsi que du certificat médical du Dr D... du 18 septembre 2023, que le handicap de Mme E... rend impossible son évaluation linguistique de la langue française, qu'elle présente un autisme avec déficience intellectuelle sévère et n'a jamais acquis de langage, que ce soit dans sa langue maternelle ou en français, du fait de son handicap. Le Dr C... atteste également le 13 septembre 2023 que l'état de santé de Mme E... est responsable chez elle d'une incapacité à communiquer verbalement. Dans ces conditions, le préfet des Hautes-Pyrénées ne pouvait légalement opposer à la requérante, par sa décision du 21 août 2023, sa connaissance insuffisante des éléments fondamentaux relatifs à l'histoire et à la culture française à l'issue d'un entretien oral, cette insuffisance résultant en réalité directement du handicap de l'intéressée. En outre, le ministre de l'intérieur ne produit aucun élément susceptible d'établir que l'environnement familial de Mme E... ne permettrait pas d'attester de son assimilation à la société française et de son adhésion aux valeurs de la République. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme E... est fondée à demander l'annulation de la décision du 21 août 2023 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation ainsi que de la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer rejetant son recours hiérarchique.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt, qui annule la décision du 21 août 2023 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de Mme E... ainsi que la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer rejetant son recours hiérarchique, implique seulement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de l'intéressée, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du 13 février 2024 du président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : La décision du 21 août 2023 par laquelle le préfet des Hautes-Pyrénées a ajourné de deux ans la demande de naturalisation de Mme E..., ainsi que de la décision du 6 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer rejetant le recours hiérarchique de Mme E..., sont annulées.
Article 3 : l'Etat versera à Mme E... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
C.VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24NT00727