Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Intérim Aire E.T.T SLU a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a prononcé à son encontre une amende d'un montant total de 41 000 euros ou, à titre subsidiaire, de réformer le montant de l'amende pour le fixer à une plus juste proportion et, d'autre part, d'annuler le titre de perception émis le 13 mars 2020 par le directeur régional des finances publiques des Pays de la Loire rendu exécutoire par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé contre cet acte.
Par un jugement n°2002747 et 2100177 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2023, la société Intérim Aire E.T.T SLU, représentée par Me Henry, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a prononcé à son encontre une amende d'un montant total de 41 000 euros ou, à titre subsidiaire, de réformer le montant de l'amende pour le fixer à une plus juste proportion et, d'autre part, d'annuler le titre de perception émis le 13 mars 2020 par le directeur régional des finances publique des Pays de la Loire rendu exécutoire par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé contre cet acte ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros, par application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la légalité de la décision du 30 décembre 2019 :
- elle n'a pas été signée par une autorité habilitée à cette fin ;
- elle est entachée d'un défaut de base légale, en ce qu'elle ne prend pas en compte les spécificités des règles applicables pour les sociétés de travail temporaire exerçant dans le domaine agricole et que les salariés concernés par le contrôle travaillent suivant un horaire collectif ;
- l'administration fait une mauvaise application des textes puisque le décompte du temps de travail incombe à l'entreprise utilisatrice ;
- elle comporte des visas erronés ;
- le montant de l'amende est disproportionné.
Sur la légalité du titre de perception :
- il ne comporte pas les bases de la liquidation de la créance ;
- il est fondé sur une créance illégale.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 avril 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Intérim Aire E.T.T SLU ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,
- et les observations de Mme A... pour la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Considérant ce qui suit :
1. La société Interim Aire E.T.T SLU, entreprise de travail temporaire de droit espagnol, a conclu avec la société de Fesles, société par actions simplifiée exerçant sur le territoire du département de Maine-et-Loire une activité de culture de la vigne, un contrat de mise à disposition, par la voie du détachement, de salariés intérimaires du 12 au 18 septembre 2018 pour exécuter des travaux de vendange. Le 25 septembre 2018, un contrôle des conditions d'intervention de ces salariés détachés a été diligenté par les services de l'inspection du travail en Maine-et-Loire. Par une décision du 30 décembre 2019, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Pays de la Loire a prononcé à l'encontre de la société Intérim Aire E.T.T SLU, sur le fondement des articles L. 1264-1 et L. 1264-3 du code du travail, une amende d'un montant total de 41 000 euros. Pour le recouvrement de cette somme, un titre de perception a été émis le 13 mars 2020 par le directeur régional des finances publiques des Pays de la Loire. Il a été rendu exécutoire par le DIRECCTE des Pays de la Loire. Contestant ce titre de perception, la société Intérim Aire E.T.T SLU a saisi le directeur régional des finances publiques des Pays de la Loire d'une réclamation, implicitement rejetée par cette autorité le 11 décembre 2020. La société Intérim Aire E.T.T SLU a alors demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation ou, à défaut, la réformation de la décision du 30 décembre 2019 ainsi que celle du titre de perception émis le 13 mars 2020 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé à l'encontre de cet acte. Par un jugement du 13 juillet 2023, le tribunal a rejeté ses demandes. Par sa requête, la société Intérim Aire E.T.T SLU demande à la cour l'annulation de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur la légalité de la décision du 30 décembre 2019 :
2. Il y a lieu d'écarter le moyen selon lequel la décision du 30 décembre 2019 n'aurait pas été signée par une autorité habilitée à cette fin, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal dans les paragraphes 5 à 7 du jugement attaqué.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1263-7 du code du travail : " L'employeur détachant temporairement des salariés sur le territoire national, ou son représentant mentionné au II de l'article L. 1262-2-1, présente sur le lieu de réalisation de la prestation à l'inspection du travail des documents traduits en langue française permettant de vérifier le respect des dispositions du présent titre. ". Au nombre de ces dispositions figurent, selon l'article L. 1262-4 du code du travail, celles relatives à la durée du travail et à la rémunération incluant les majorations pour les heures supplémentaires. Selon l'article R. 1263-1 du même code, dans sa rédaction applicable : " I. - L'employeur établi hors de France conserve sur le lieu de travail du salarié détaché sur le territoire national ou, en cas d'impossibilité matérielle, dans tout autre lieu accessible à son représentant désigné en application de l'article L. 1262-2-1 et présente sans délai, à la demande de l'inspection du travail du lieu où est accomplie la prestation, les documents mentionnés au présent article. / II. - Les documents requis aux fins de vérifier les informations relatives aux salariés détachés sont les suivants : (...) 6° Un relevé d'heures indiquant le début, la fin et la durée du temps de travail journalier de chaque salarié ; (...) ".
4. L'amende en litige a été infligée au motif que la société requérante avait méconnu les dispositions de l'article L. 1263-7 du code du travail précitées, imposant à un employeur, détachant temporairement des salariés sur le territoire national, de présenter, sur le lieu de réalisation de la prestation, à l'inspection du travail, des documents, traduits en langue française, permettant de vérifier le respect des dispositions relatives à la durée de travail. Le DIRECCTE des Pays de la Loire a relevé que la société requérante avait produit, concernant les 41 salariés détachés auprès de la société de Fesles pour les besoins de l'exécution des travaux de vendanges réalisés du 12 au 18 septembre 2018, des relevés d'heures qui n'étaient pas conformes, dès lors qu'ils ne mentionnaient pas l'heure de début et l'heure de fin de chaque journée de travail, ainsi que la durée du temps journalier de travail, faisant ainsi obstacle au contrôle du respect notamment du temps de repos quotidien. Le montant de l'amende en litige a été fixé à 1 000 euros pour chaque salarié concerné par la méconnaissance de cette obligation, soit un montant global de 41 000 euros.
5. Il résulte de l'instruction, d'une part, que, dans le cadre du contrôle diligenté le 25 septembre 2018, les relevés d'heures indiquant le début et la fin du temps de travail journalier pour chacun des salariés n'ont pas été produits par la société requérante, ce qui a empêché l'inspection du travail de vérifier le respect, pour ces salariés, des règles qui doivent leur être appliquées concernant en particulier le repos journalier et hebdomadaire et les heures supplémentaires. Si la société requérante fait valoir qu'elle a transmis aux services de l'inspection du travail des documents traduits en langue française, ceux-ci ne répondent pas aux obligations découlant du 6° du II de l'article R. 1263-1 du code du travail précité, en ce qu'ils ne déterminent pas la réalité de la durée du temps de travail journalier de chacun des travailleurs détachés par elle, mais uniquement une durée forfaitaire de travail quotidienne. En application de l'article L. 1262-2 du code du travail, lorsqu'une entreprise de travail temporaire établie à l'étranger détache des salariés intérimaires auxquels elle est liée par un contrat de travail auprès d'une entreprise utilisatrice établie en France, elle demeure l'employeur de ces salariés pendant la durée du détachement. La circonstance que l'entreprise utilisatrice soit responsable, pour les matières listées à l'article L 1251-21 du code du travail, des conditions d'exécution du travail accompli par les salariés pendant leur période de détachement, n'a pas pour effet de soustraire l'entreprise de travail temporaire, qui est l'employeur des salariés détachés, à son obligation de présenter à l'inspection du travail des documents conformes à législation applicable aux travailleurs détachés. Par ailleurs, l'article L.1262-2-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, ne comporte aucune disposition exonérant l'entreprise de travail temporaire établie à l'étranger qui détache des salariés intérimaires de l'obligation énoncée au 6° du II de l'article R. 1263-1 du code du travail précité.
6. D'autre part, la société Interim Aire E.T.T SLU fait également valoir que les 41 salariés détachés contrôlés, occupés aux vendanges, travaillent suivant un horaire collectif et que le décompte individuel du temps de travail, en application de l'article D. 3171-1 du code du travail, n'est pas obligatoire lorsque les salariés travaillent suivant un horaire collectif. Toutefois, eu égard à la nature particulière des travaux de vendange et de l'organisation de la récolte, la durée individuelle de travail de chaque salarié peut fluctuer chaque jour, suivant l'affectation de chaque salarié à une équipe et à une parcelle de vigne donnée. Indépendamment de la nature du produit et de l'organisation du travail, la société requérante aurait dû justifier, en application des dispositions de l'article L. 713-22 du code rural et de la pêche maritime, de l'affichage, sur le lieu de travail, de l'horaire collectif pratiqué, ce qu'elle n'a jamais justifié pendant toute la durée de l'opération de contrôle et jusque devant le juge. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que les salariés concernés par le contrôle travaillaient suivant un horaire collectif et que les dispositions du 6° du II de l'article R. 1263-1 du code du travail ne lui étaient pas applicables.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 1264-1 du code du travail dans sa rédaction applicable en l'espèce : " La méconnaissance par l'employeur qui détache un ou plusieurs salariés d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-2-1, à l'article L. 1262-4-4 ou à l'article L. 1263-7 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3. ". Selon les deux premiers alinéas de cet article, dans sa rédaction applicable en l'espèce, issue de l'article 95 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 entré en vigueur le 7 septembre 2018 : " L'amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l'autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5 / Le montant de l'amende est d'au plus 4 000 € par salarié détaché et d'au plus 8 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. ". Selon le dernier alinéa de ce même article, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. / (...) ".
8. L'article L. 1264-3 du code du travail prévoit que, pour fixer le montant de l'amende par salarié détaché pour lequel le manquement relevé a été constaté, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges et que ce montant ne peut être supérieur à 4 000 euros.
9. Pour établir le caractère disproportionné du montant de l'amende fixée, la société soutient qu'elle a fourni un relevé du temps de travail conforme aux dispositions du code rural et de la pêche maritime et que toute restriction fondée sur la nationalité ou des conditions de résidence est interdite par le traité sur l'Union européenne. Elle ajoute que la prestation qu'elle a exécutée s'inscrit " dans une concurrence loyale et dans le respect du droit des travailleurs " et qu'il lui est reproché, non pas de ne pas avoir présenté des documents de décompte du temps de travail, mais d'avoir produit des relevés non conformes alors que ces documents ont été établis, conformément au droit français, par la société de Fesles.
10. Eu égard aux circonstances et à la gravité du manquement, la société Intérim Aire E.T.T SLU détachant en France depuis plusieurs années de très nombreux salariés, au fait que 41 salariés sont concernés par ledit manquement, au comportement de l'auteur qui reconnait que les horaires de début et de fin n'apparaissent pas dans les relevés d'heures, mais qui estime que le décompte du temps de travail incombe à l'entreprise utilisatrice, et au fait également que la société requérante n'a pas transmis aux services de l'inspection du travail les informations relatives à ses ressources et charges, il ne résulte pas de l'instruction que l'amende, liquidée au tarif de 1 000 euros par salarié, soit le quart du montant maximal autorisé, serait disproportionnée.
Sur la légalité du titre de perception :
11. Aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 susvisé : " Toute créance liquidée faisant l'objet (...) d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation ". Il résulte de ces dispositions que l'Etat ne peut pas mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans l'ordre de recouvrer lui-même, soit par référence précise à un document joint à celui-ci ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour mettre la somme en cause à la charge du redevable.
12. Le titre exécutoire en litige précise la somme à payer et indique que ce montant correspond à une amende d'un montant de 1 000 euros, prononcée au motif d'une absence de présentation des relevés d'heures conformes, multiplié par le nombre de salariés concernés infligée par une décision du DIRECCTE des Pays de la Loire du 30 décembre 2019. Par suite, le titre en litige indique les bases de la liquidation, au sens des dispositions précitées.
13. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité du titre exécutoire ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Interim Aire E.T.T SLU n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Intérim Aire E.T.T SLU est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Intérim Aire E.T.T SLU et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.
Le rapporteur,
F. PONS
Le président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03612