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11/02/2025 | FRANCE | N°24NT00557

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 11 février 2025, 24NT00557


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 mai 2020 par laquelle le préfet de la C... a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation, ainsi que la décision explicite du 29 janvier 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours contre cette décision.



Par un jugement n° 2101751, 2103490 du 27 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 29 janvier 2021 et a e

njoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de Mme A... dans un délai d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 mai 2020 par laquelle le préfet de la C... a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation, ainsi que la décision explicite du 29 janvier 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours contre cette décision.

Par un jugement n° 2101751, 2103490 du 27 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 29 janvier 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de Mme A... dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 décembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par Mme A....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation :

* à la date de la décision contestée, l'intéressée avait conclu deux contrats de travail à temps partiel pour une durée indéterminée depuis une période très récente ;

* cette circonstance est trop récente pour constituer un indice d'insertion professionnelle durable ;

* Mme A... ne justifiait pas de revenus stables et suffisants pour subvenir à ses besoins, dès lors qu'elle avait perçu, à titre de salaires, les sommes de 282 euros en 2016, 5 298 euros en 2017, 335 euros en 2018 et 4 000 euros en 2019 ;

* il y aura lieu d'opérer une substitution de motif, en regardant l'acte dont s'agit comme étant fondé sur la circonstance que l'examen du parcours professionnel de la postulante, apprécié dans sa globalité, ne permet pas de considérer qu'elle a réalisé pleinement son insertion professionnelle puisqu'elle ne dispose de ressources suffisantes et stables que depuis un temps récent.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2024, Mme A... conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit à sa demande d'acquisition de la nationalité française et de condamner l'État à lui verser une somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante turque, a déposé une demande de naturalisation auprès du préfet de la C..., qui l'a ajournée à deux ans par une décision du 5 mai 2020. Elle a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision, ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours préalable obligatoire et la décision du 29 janvier 2021 par laquelle le ministre a expressément maintenu l'ajournement à deux ans de sa demande d'acquisition de la nationalité française. Par un jugement du 27 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 29 janvier 2021 et a enjoint au ministre de procéder au réexamen de la demande de Mme A... dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 précité : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité française au ressortissant étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge, le défaut d'insertion professionnelle durable ainsi que le caractère suffisant et durable des ressources propres permettant à un postulant de subvenir à ses besoins en France de façon pérenne

3. Il ressort des pièces du dossier que pour rejeter la demande de naturalisation présentée par Mme A..., le ministre s'est fondé sur le motif tiré de ce que le parcours professionnel de l'intéressée, apprécié dans sa globalité depuis son entrée en France, ne permettait pas de considérer qu'elle avait réalisé pleinement son insertion professionnelle puisqu'elle ne dispose pas de ressources suffisantes et stables.

4. En premier lieu, si, dans son mémoire en défense, le ministre fait valoir que l'insertion professionnelle de l'intéressée était très récente à la date de la décision attaquée, ce nouvel élément constitue un argument supplémentaire au soutien du motif de la décision contestée et non un motif distinct susceptible de lui être substitué. Par suite, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre doit être rejetée.

5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est employée comme vendeuse à temps partiel, d'une part, par la société Telvanju depuis le 20 août 2020 et, d'autre part, par la société Alpesitcom depuis le 26 août 2020. Si ces contrats pérennes étaient récents à la date de la décision contestée, Mme A... exerçait, depuis 2010, une activité professionnelle, notamment en intérim, de sorte que lesdits contrats ne sont que le prolongement d'une insertion professionnelle déjà établie, témoignant d'une activité professionnelle dont ils indiquent la stabilité. Il ressort par ailleurs des avis d'imposition produits par Mme A... au titre des années 2010 à 2019 que l'intéressée a perçu, en moyenne sur ces années, un revenu mensuel net d'environ 1 100 euros par mois et qu'elle est célibataire et sans personne à charge. Dans ces conditions, en dépit du caractère récent des contrats pérennes conclus par l'intéressée à la date de la décision contestée et alors même qu'il dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour apprécier l'opportunité d'accorder la nationalité française, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en retenant que le parcours professionnel de l'intéressée, apprécié dans sa globalité depuis son entrée en France, ne permettait pas de regarder son insertion professionnelle comme achevée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 29 janvier 2021.

7. Par ailleurs il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de modifier l'injonction déjà prononcée par le tribunal administratif.

Sur les frais liés au litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24NT00557


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00557
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : AKDAG

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;24nt00557 ?
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