Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, d'abord, d'annuler la décision implicite née le 1er septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Bangui (Centrafrique) du 23 mai 2022 refusant à M. A... la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à titre principal, de délivrer le visa demandé dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2216572 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2024, M. A... et Mme B..., représentés par Me Régent, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite née le 1er septembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 2 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée est entachée d'une inexacte application des dispositions de l'article L.561-2 du code de justice administrative ; prenant acte du grief persistant du doublon d'acte de naissance le concernant, retenu, M. A... a mis en œuvre de nouvelles démarches judiciaires en République Centrafricaine afin de faire disparaitre la coexistence d'acte ; il a sollicité que son état civil puisse être reconstitué, de même que l'annulation de l'ensemble des actes et préexistants ; le tribunal de Grande Instance de Batanfago a rendu le jugement n°3622 du 16 novembre 2023 ; il appert à sa lecture que seule la demande de reconstitution a été accueillie ; il précise que le juge saisi a catégoriquement refusé de procéder à l'annulation des documents préexistants, et n'a au surplus pas fait mention de sa requête en ce sens dans sa décision de justice ; il transmet par ailleurs le nouvel acte reconstitué en transcription du jugement n°3622 du 16/11/2023 ;
- les requérants sont parvenus à retrouver le jugement supplétif et l'ont versé à la présente procédure ; dans ces circonstances particulières, et au regard du refus catégorique des juridictions centrafricaines à prononcer l'annulation des actes préexistants, les appelants ne peuvent que se prévaloir de la jurisprudence dégagée par votre juridiction considérant la pluralité de jugement supplétif d'acte de naissance comme n'étant pas de nature à établir une fraude ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante centrafricaine, s'est vu reconnaître le statut de réfugiée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 17 juillet 2014. M. A..., qu'elle présente comme son conjoint et père de sa fille, a déposé une demande de visa de long séjour auprès de l'autorité consulaire française à Bangui (Centrafrique), en qualité de membre de famille d'un réfugié. Par une décision du 23 mai 2022, cette autorité a refusé de délivrer le visa demandé. Par une décision implicite née le 1er septembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.
2. M. A... et Mme B... ont, le 15 décembre 2022, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Ils relèvent appel du jugement du 31 octobre 2023 par lequel cette juridiction a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Il ressort des pièces versées au dossier que pour refuser le visa demandé, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui, rejetant implicitement le recours dont elle était saisi, doit être regardée, ainsi qu'indiqué dans l'accusé de réception produit au dossier, comme s'étant appropriée les motifs retenus par la décision consulaire, s'est fondée sur l'absence d'établissement de la preuve du lien familial de M. A... Mme B..., placée sous la protection de l'office français de protection des réfugiés et apatrides.
4. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes des dispositions de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ". ".
5. Aux termes de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". L'article L. 811-2 du même code dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
7. D'une part, M. A... et Mme B... ont produit en première instance deux actes de naissance établis au sein de la même commune et transcrits à trois ans d'intervalle sur la base de deux jugements supplétifs dont l'un d'entre eux seulement était versé aux débats. La coexistence de ces actes, qui n'était certes pas justifiée, n'est pas une circonstance suffisante pour les regarder comme dépourvus de force probante. D'autre part, les requérants ont désormais produit en appel le jugement supplétif évoqué en première instance. Enfin à la suite des démarches judiciaires engagées par M. A... en République Centrafricaine visant à faire disparaitre la coexistence d'actes et sollicitant la reconstitution de son état civil ainsi que l'annulation de l'ensemble des actes préexistants, les appelants versent aux débats devant la cour le jugement n°3622 du 16 novembre 2023 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Batanfago ainsi que le nouvel acte de naissance reconstitué en transcription de ce jugement permettant, alors qu'il n'est ni soutenu ni établi que ce jugement revêtirait un caractère frauduleux, d'établir le lien familial de M. A... avec Mme B..., placée sous la protection de l'office français de protection des réfugiés et apatrides. Il s'ensuit c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que ce lien familial n'était pas établi entre M. A... et Mme B....
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... et Mme B... sont fondés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Eu égard au motif d'annulation sur lequel il est fondé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. A... d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2216572 du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite née le 1er septembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A... un visa de long séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... et Mme B... globalement la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et Mme C... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Coiffet, président-assesseur,
M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2025.
Le rapporteur,
O. COIFFET
Le président,
O. GASPON La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01280