Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal du jeune A... C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision implicite née le 1er septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 11 mai 2022 de l'autorité consulaire française au Soudan refusant de délivrer au jeune A... C... D... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros, à verser à leur conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Par un jugement n° 2305977 du 18 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision née 1er septembre 2022 de la commission de recours contre la décision de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à A... C... D... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 mars 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal annulé la décision née 1er septembre 2022 de la commission de recours contre la décision de refus de visa d'entrée en France ; la " lettre de consentement " de la mère de l'enfant ne peut revêtir l'autorité d'un jugement de délégation d'autorité parentale à cette dernière ; puisque les parents de l'enfant sont divorcés, un jugement relatif à l'autorité parentale à l'issue du divorce aurait dû être produit ; le père de l'enfant était informé de la nécessité de cette production et il ne saurait soutenir que la mère du demandeur de visa ne pouvait entrer en contact avec les autorités érythréennes dès lors qu'elle a pu obtenir de ces autorités, postérieurement à son arrivée au Soudan, un acte de naissance ;
- il a pu être constaté dans d'autres contentieux que le réfugié, érythréen, pouvait saisir de la France, par écrit, le juge érythréen afin d'obtenir un jugement de délégation d'autorité parentale ; il n'est, par ailleurs, pas possible d'établir que la " lettre de consentement " a bien été faite par la mère du demandeur de visa ; cette lettre omet également de traduire la mention permettant d'établir que le père de l'enfant est, contrairement à ce qu'il avance, bien divorcé de la mère du demandeur de visa.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2024, M. D..., représenté par Me Leudet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'un défaut de motivation, et, d'autre part, d'une erreur d'appréciation car elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.
M. D... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,
- et les observations de Me Leudet, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant érythréen, né le 22 octobre 1982, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du 30 novembre 2016 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Un visa de long séjour en qualité de membre de famille d'un réfugié a été sollicité pour A... C... D..., né le 8 janvier 2010, auprès de l'autorité consulaire au Soudan, laquelle, par une décision du 11 mai 2022, a refusé de faire droit à sa demande. Par une décision née le 1er septembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.
2. M. D... a, le 10 mars 2023, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision implicite du 1er septembre 2022. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 18 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission et a enjoint à cette autorité de délivrer le visa sollicité.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite / (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles (...) L. 434-3 à L. 434-5 (..) sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ". Aux termes des dispositions de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
5. Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ". Il résulte de la combinaison des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles de l'article L. 434-3 du même code, auxquelles l'article L. 561-4 renvoie, que le ressortissant étranger qui a obtenu le bénéfice du statut de réfugié peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée et que leurs demandes satisfont aux autres conditions prévues par l'article L. 434-3.
6. Il ressort des écritures du ministre de l'intérieur dans son mémoire en défense de première instance, d'une part, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les déclarations de M. D..., demandeur de visa, relevaient d'une tentative frauduleuse pour obtenir un visa pour réunification familiale, circonstance entachant ainsi d'une erreur d'appréciation la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, et d'autre part, que cette autorité a alors demandé aux premiers juges une substitution de motif permettant de fonder légalement la décision contestée, et tirée de ce que M. D... ne justifiait pas à son profit d'un jugement de délégation de l'autorité parentale sur M. A... C... D....
7. Il est constant que le jeune A... C... D..., fils de M. C... D..., réfugié en France, et de Mme E... B... A..., réside au Soudan avec cette dernière et il n'est pas contesté qu'aucun jugement de délégation parentale n'a été produit à l'appui de la demande de visa. Le ministre de l'intérieur soutient qu'en l'absence d'un tel document que la mère de l'enfant avait pourtant, selon lui, la faculté d'obtenir et alors qu'elle a produit aux débats une " lettre de consentement " qui ne saurait en tenir lieu, le refus opposé au demandeur de visa ne serait entaché d'aucune illégalité. Toutefois, d'une part, M. D... n'est pas en mesure de solliciter un jugement de délégation d'autorité parentale dès lors qu'eu égard à sa qualité de réfugié politique, il ne peut prendre l'attache des autorités judiciaires de son pays ni s'y rendre et qu'il fait valoir, ce que l'administration ne conteste pas, que selon les autorités de ce pays, sa présence serait pourtant nécessaire, devant la juridiction chargée d'établir ce document. D'autre part, la mère de l'enfant, qui se trouve en situation irrégulière au Soudan où elle réside, ne peut non plus se rapprocher des autorités érythréennes pour en obtenir un jugement de délégation de l'autorité parentale. Si cette dernière a pu effectivement, comme le souligne l'appelant, obtenir, après son arrivée au Soudan, copie d'un acte de naissance en Erythrée pour son fils, cette démarche auprès d'un officier d'état civil qu'elle a initiée en donnant procuration à un tiers, membre de sa famille vivant en Erythrée, ce que l'article 123 du code civil érythréen permet, est d'une autre nature que celle visant à la saisine d'un tribunal, laquelle ne peut être faite que par le père ou la mère de l'enfant. Enfin, il est versé au dossier une " lettre de consentement " que la mère du jeune A... a rédigé, certifiée par un avocat, dans laquelle elle indique " donner son accord pour que son fils rejoigne son père en France ", et sur laquelle figurent son nom, sa signature, ses empreintes et le numéro de sa carte d'identité. Contrairement à ce qu'avance l'appelant, a été versée au dossier en cours d'instance devant le tribunal la carte d'identité de Mme B... A... sur laquelle figure un numéro d'identité identique à celui figurant sur la " lettre de consentement ". Dans ces conditions, eu égard à la situation politique prévalant en Erythrée, c'est par une juste appréciation des éléments du dossier que les premiers juges ont estimé que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le consentement de Mme E... B... A... au départ de son fils, le jeune A... C... D..., devait être regardé comme établi par les documents produits, que la substitution de motif ne pouvait, en conséquence, être accueillie et que M. D... était fondé à soutenir que la décision contestée de la commission de recours contre les refus de visas était entachée d'une erreur d'appréciation et devait être annulée.
Sur les frais liés au litige :
8. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Leudet de la somme de 1 200 euros, hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Leudet la somme de 1 200 euros, hors taxe, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. C... D....
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Coiffet, président-assesseur,
M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2025.
Le rapporteur,
O. COIFFET
Le président,
O. GASPONLa greffière,
I.PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24NT01367 2