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16/05/2025 | FRANCE | N°24NT03132

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 16 mai 2025, 24NT03132


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de cinq ans.



Par un jugement n° 2402067 du 22 octobre 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2024, M. A....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de cinq ans.

Par un jugement n° 2402067 du 22 octobre 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Hagege, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 22 octobre 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 du préfet du Calvados ;

3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié ", voire " vie privée et familiale " ou de réexaminer sa situation administrative, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de lui enjoindre de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

s'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle méconnait les dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire " Valls " dès lors qu'il est en mesure de justifier de cinq ans de présence sur le territoire, d'une ancienneté de travail de huit mois sur les deux dernières années ou de trente mois sur les cinq dernières années et disposer d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail d'une durée supérieure ou égale à six mois ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il ne menace pas l'ordre public ;

s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

s'agissant de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de cinq ans :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour et de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2024, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens du requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- et les observations de Me Rouxel, substituant Me Hagege, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien, né le 20 septembre 1994, est entré irrégulièrement en France en 2017, selon ses déclarations. Par un arrêté du 15 juin 2023, le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un jugement du 1er août 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet compétent de réexaminer la situation administrative de M. A.... Ce dernier a sollicité, le 15 novembre 2023, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour motifs professionnels. Par un arrêté du 29 mai 2024, le préfet du Calvados a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de cinq ans. Par un jugement du 22 octobre 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté le recours de M. A... à l'encontre de cet arrêté. M. A... relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, l'arrêté du 29 mai 2024 du préfet du Calvados comporte l'énoncé des éléments de droit et de fait qui le fondent. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.

3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, que le préfet du Calvados n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressé, en particulier de sa situation professionnelle. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation de M. A... doit être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... est célibataire, sans charge de famille en France et qu'il a vécu en Tunisie au moins jusqu'à l'âge de vingt-deux ans. S'il soutient qu'il a quatre frères résidant en France, il ne l'établit que s'agissant de deux personnes et il a déclaré que sa mère, deux frères et le reste de sa famille vivent en Tunisie. Il ressort des pièces du dossier qu'il est défavorablement connu des services de police pour avoir été interpellé le 1er et le 14 juin 2023 pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis, passibles d'un an d'emprisonnement, et qu'il a fait l'objet d'une condamnation pour ces faits à une amende délictuelle de 500 euros, par une ordonnance pénale du 27 novembre 2023. S'il n'est pas contesté qu'il réside de manière régulière en France depuis le mois de mars 2018, il ressort des pièces du dossier qu'il a dû recourir à un interprète lors de son interrogatoire par les services de la gendarmerie nationale, le 14 juin 2023, au cours duquel il a reconnu comprendre un peu le français mais ne pas le lire ni l'écrire. Dans ces conditions, il ne justifie pas de considérations humanitaires ni de motifs exceptionnels susceptibles de justifier son admission exceptionnelle au séjour au titre de la " vie privée et familiale ". D'autre part, la circonstance que M. A... travaille en tant qu'employé polyvalent dans le secteur de la restauration depuis le mois de mars 2018 n'est pas un motif exceptionnel qui imposait que le préfet du Calvados délivre une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " au titre de l'admission exceptionnelle au séjour. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Calvados aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la situation personnelle de M. A....

6. En quatrième lieu, dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de ces dispositions, des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

8. Eu égard à ce qui a été dit au point 5 sur sa situation personnelle et ses conditions de séjour, le préfet du Calvados n'a pas porté d'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A.... Par suite, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En sixième lieu, la décision de refus de titre de séjour contestée n'étant pas annulée, le moyen tiré de ce que la décision d'obligation de quitter le territoire français litigieuse devrait être annulée par voie de conséquence doit être écarté.

10. En septième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. /Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

11. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que le préfet du Calvados a justifié sa décision d'interdire le retour en France de M. A... pendant une durée de cinq ans au motif qu'il présentait une menace grave pour l'ordre public en raison du fait qu'il avait été interpellé le 1er et le 14 juin 2023 pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis, passibles d'un an d'emprisonnement, et qu'il a fait l'objet d'une condamnation pour ces faits par une ordonnance pénale du 27 novembre 2023. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, bien que commis en état de récidive, les faits en cause n'ont donné lieu qu'à une condamnation à une amende délictuelle de 500 euros et que M. A... était titulaire d'un permis de conduire tunisien en cours de validité jusqu'au mois de décembre 2023. Ces seuls faits, bien que condamnables, ne présentent pas un caractère de gravité tel qu'ils permettent de considérer que M. A... présente une menace grave pour l'ordre public. Par suite, c'est à tort que le préfet du Calvados a interdit à M. A... de retourner sur le territoire français pendant une durée de cinq ans au motif qu'il présentait une menace grave pour l'ordre public. Cette décision doit en conséquence être annulée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande en tant qu'elle est dirigée contre la décision portant interdiction de retour en France pendant cinq ans.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 22 octobre 2024 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision du 29 mai 2024 du préfet du Calvados portant interdiction de retour en France de M. A... pendant une durée de cinq ans.

Article 2 : La décision du 29 mai 2024 du préfet du Calvados portant interdiction de retour en France de M. A... pendant une durée de cinq ans est annulée.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 800 euros à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT03132


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT03132
Date de la décision : 16/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : HAGEGE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-16;24nt03132 ?
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