Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mai 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Brazzaville (République du Congo) opposant un refus à la demande de visa présentée au titre de la réunification familiale pour le jeune F... B....
Par un jugement n° 2211069 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2024, Mme E..., représentée par Me Pollono, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'administration, à titre principal, de délivrer le visa sollicité, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer la demande, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros hors taxe sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce qu'en s'abstenant d'examiner l'identité et la situation familiale de son fils au regard des éléments de possession d'état, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur de droit ;
- en se bornant à relever l'irrégularité du document d'état civil sans faire état de la moindre considération quant à l'établissement du lien de filiation par possession d'état, la commission n'a ni procédé à un examen sérieux de la demande ni suffisamment motivé sa décision ;
- la commission n'a pas examiné la demande au regard des éléments de possession d'état ;
- l'identité du demandeur et son lien de filiation sont établis tant par les documents d'état civil que par les éléments de possession d'état :
- le refus de visa méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en rapporter à ses écritures de première instance.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 29 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono et représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante congolaise née le 2 octobre 1985, s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 août 2017. Une demande de visa de long séjour a été présentée au titre de la réunification familiale pour le jeune F... B..., ressortissant de la République du Congo né le 2 avril 2012 que Mme E... présente comme son fils. Elle relève appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 mai 2022 confirmant le refus opposé à cette demande de visa.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". L'article L. 811-2 du même code dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Pour confirmer le refus opposé à la demande de visa de long séjour présentée pour le jeune F... B... au titre de la réunification familiale, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a relevé que l'acte de naissance n° 1330/2012 inscrit sur le registre R27 de l'année 2012 produit au soutien de la demande de visa portait un numéro correspondant à l'acte de naissance d'une autre personne. Elle s'est ainsi fondée sur le défaut d'établissement de l'identité du demandeur de visa et de son lien de filiation avec la réunifiante.
6. Par un jugement du 7 novembre 2023, le tribunal d'instance de Makélékélé et de Bacongo, saisi d'une requête aux fins de déclaration tardive de naissance a, après avoir notamment estimé que l'acte de naissance portant le n°1330/2012 registre R27 du 23 avril 2012, signé le 15 décembre 2012, est " censé n'avoir jamais existé devant les archives de la commune de Makélékélé au nom " du jeune F... B..., autorisé l'officier d'état civil de la mairie de l'arrondissement 1 Makélékélé Brazzavile à inscrire dans les registres des actes de naissance, la naissance de l'enfant F... B..., né le 2 avril 2012 à Brazzaville de M. A... G... B... H..., né le 4 avril 1990 à Madingou et de Mme D... C... E..., née le 2 octobre 1985 à Nkayi. Ce jugement, produit en appel et dont le ministre ne soutient pas qu'il est frauduleux, établit tant l'identité du demandeur de visa que son lien de filiation à l'égard de Mme E.... Il s'ensuit que c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé au jeune F... B....
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. Eu égard, d'une part, au motif d'annulation sur lequel est fondé le présent arrêt et, d'autre part, au jugement du 9 juillet 2021 par lequel le tribunal pour enfants près le tribunal de grande instance de Brazzaville a, sur demande de M. A... G... B... H..., confié la garde de l'enfant à Mme E... et a transféré à cette dernière l'ensemble des attributs de l'autorité parentale, l'exécution de la présente décision implique nécessairement la délivrance au jeune F... B... d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 %. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par ailleurs, la requérante ne présente pas de conclusions tendant à ce que soit mise à la charge de l'Etat la part des frais exposés devant la cour non compris dans les dépens et laissés à sa charge par le bureau d'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2023 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 mai 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune F... B... un visa de long séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Coiffet, président-assesseur,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2025.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
O. GASPONLe greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00230