Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B..., Mme C... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de délivrer à Mmes A... et C... B... des visas de long séjour en France en qualité de membres de la famille d'un réfugié.
Par un jugement n° 2313610 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 mai 2024 et 6 mars 2025,
Mmes A... et C... Mlikzada et M. D... B..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 avril 2024 ;
2°) d'annuler la décision du 24 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Téhéran refusant de délivrer à Mmes A... et C... B... des visas de long séjour en France en qualité de membres de la famille d'un
réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a omis de répondre à son moyen selon lequel l'administration se devait d'examiner leur demande à l'aune des dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- la décision du 24 mai 2023 de la commission de recours est insuffisamment
motivée ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'ils ne pouvaient invoquer un autre motif que celui de la réunification familiale dès lors qu'ils ont clairement indiqué demander un visa au titre de l'asile et l'administration n'a pas examiné cette demande ;
- l'administration s'est estimée liée par les dispositions légales relatives à la réunification familiale, alors qu'elle doit nécessairement examiner si sa décision porte une atteinte à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision du 24 mai 2023 est entachée d'une erreur d'appréciation et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
* l'âge des requérantes n'enlève en rien leur situation de dépendance, de particulière vulnérabilité et d'isolement ;
* le lien entre les requérantes et M. B..., réfugié en France, n'est pas contesté et elles ont toujours fait partie intégrante de la cellule familiale ;
* elles sont les filles d'un ancien auxiliaire d'une armée occidentale et elles ont des craintes au regard de leur statut de femmes ;
* la mère des requérants, dans le contexte de l'éloignement et de l'isolement de ses filles en Iran, est suivie médicalement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- et les observations de Me Pavy pour les consorts B....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant afghan, a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du 20 avril 2021 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Des demandes de visas de long séjour ont été présentées au titre de la réunification familiale en faveur de ses parents et de ses sept frères et sœurs auprès de l'autorité consulaire française à Téhéran, laquelle a rejeté les demandes de Mmes A... et C... B..., ses sœurs nées respectivement le 24 juillet 1998 et le 26 mai 1999, par deux décisions du 10 novembre 2022. Mmes A... et C... B... et M. B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions consulaires. Par un jugement du 5 avril 2024, le tribunal a rejeté leur demande. Les intéressés relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En l'espèce, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de délivrance de visas de long séjour au motif que les demandeurs de visas n'entraient pas dans le cadre du droit à réunification familiale prévu par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que, dans ces conditions, ces stipulations ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, n'avaient pas été méconnues.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) /3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la demande de réunification familiale, soit le 14 mars 2023, les requérantes avaient respectivement 24 ans et 23 ans. Elles ne pouvaient, dans ces conditions, se prévaloir de la procédure de réunification familiale. Toutefois, il n'est pas contesté que les autorisations de séjour en Iran de Mmes A... et C... B... ont expiré les 26 décembre 2022 et 7 avril 2023 et qu'elles sont dorénavant en situation irrégulière dans ce pays. Elles sont donc susceptibles d'être reconduites en Afghanistan et exposées à des risques réels et sérieux de traitements inhumains et dégradants de la part des autorités talibanes, eu égard à la qualité de coordinateur logistique pour les armées espagnoles et américaines entre 2005 et 2016 du père des intéressés et à leur statut particulier de femmes isolées, les exposant à des menaces personnelles fondées sur leur genre, alors même que les expulsions de ressortissants afghans exilés en Iran dépourvus d'autorisation de séjour se sont intensifiées depuis le retour au pouvoir des talibans au mois d'août 2021. En outre, les requérants font valoir également que Mmes A... et C... B... ne sont pas mariées, qu'elles ont toujours vécu avec leurs parents et leur fratrie, en Afghanistan comme en Iran, comme en atteste le père des intéressées. Il n'est également pas contesté que l'intégralité de la famille nucléaire des requérantes a rejoint la France, laissant ces dernières seules et isolées en Iran. Le contrat de location produit établit qu'elles sont les deux seules personnes à résider dans leur logement et le loyer de cet appartement est réglé par le frère des intéressées, qui pourvoit également à leurs besoins. Par suite, eu égard aux liens familiaux des intéressés avec un réfugié statutaire en France, au risque réel qu'elles soient éloignées vers l'Afghanistan et aux menaces pour leur intégrité physique auxquelles elles seraient confrontées en cas de retour en Afghanistan, les décisions contestées sont, dans les circonstances particulières de l'espèce, entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressées.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme A... B..., Mme C... B... et M. D... B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 24 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Téhéran refusant de délivrer à Mmes A... et C... B... des visas de long séjour en France en qualité de membres de la famille d'un réfugié.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... B..., Mme C... B... et M. D... B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2313610 du 5 avril 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 24 mai 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours de Mme A... B..., Mme C... B... et M. D... B... formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Téhéran refusant de délivrer à Mmes A... et C... B... des visas de long séjour en France en qualité de membres de la famille d'un réfugié, est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... B..., Mme C... B... et M. D... B... la somme globale une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme A... B..., Mme C... B... et
M. D... B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B..., Mme C... B... et M. D... B....
Délibéré après l'audience du 16 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24NT01403