Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme I... C... E..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale des enfants mineurs, B... C... H... et M... C... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, dans le dernier état de ses écritures, tout d'abord, d'annuler la décision du 14 juin 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions du
30 novembre 2022 de l'autorité consulaire française à J... (République démocratique du Congo) refusant aux jeunes B... C... H... et M... C... A... la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France en qualité d'enfants étrangers d'un ressortissant français, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer les demandes de visas dans le même délai et sous la même astreinte, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2306595 du 19 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 17 mai, 12 août et
7 octobre 2024, Mme C... E..., représenté par Me Saligari, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 mars 2024 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 14 juin 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à défaut d'enjoindre au réexamen des demandes selon les mêmes modalités ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée en fait ;
- elle procède d'un défaut d'examen de la situation personnelle des demandeurs de visas ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que le lien de filiation est établi avec les demandeurs de visas et qu'ils disposent du droit, en l'absence de motif d'ordre public, d'obtenir les visas sollicités et qu'elle assure leur prise en charge matérielle et financière ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête et s'en remet notamment au mémoire présenté le 9 février 2024 devant le tribunal.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par Mme C... E... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les observations de Me Obriot, substituant Me Saligari, représentant Mme C... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. I... C... E..., naturalisée française par décret du 6 mai 2021, a sollicité pour les jeunes B... C... H... et M... C... A..., ressortissants congolais (République démocratique du Congo), nés le 8 mai 2010, qu'elle présente comme ses enfants, la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France en qualité d'enfants étrangers d'une ressortissante française auprès de l'autorité consulaire française à J... (République démocratique du Congo). Par des décisions du 30 novembre 2022, cette autorité a refusé de délivrer les visas demandés au motif que " les informations communiquées pour justifier les conditions de séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ". Par une décision implicite puis par une décision expresse du 14 juin 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions consulaires.
2. Mme C... E... a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande regardée comme tendant à l'annulation de la décision du 14 juin 2023 et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours. Par un jugement du 19 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes rejeté sa demande. Mme C... E... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il ressort des pièces versées au dossier que pour rejeter le recours dont elle était saisie, par la décision contestée du 14 juin 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de la circonstance que les enfants de Mme C... E... ne peuvent utilement solliciter des visas en qualité d'enfants d'une ressortissante française dès lors que " les actes de naissance produits ont été établis postérieurement à l'obtention de la nationalité française par la mère alléguée et qu'ils n'ont pas été déclarés par Mme C... E... au moment des démarches de naturalisation ".
4. En premier lieu, s'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer aux enfants mineurs de ressortissants français les visas qu'ils sollicitent afin de mener une vie familiale normale, elles peuvent toutefois opposer un refus à une telle demande pour des motifs d'ordre public, au titre desquels figurent le défaut de valeur probante des documents destinés à établir le lien de filiation allégué.
5. Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. Il est constant, tout d'abord, que lorsque Mme C... E... a complété le formulaire d'acquisition de la nationalité française, elle a indiqué avoir pour conjoint M. N... L... O..., sans mentionner à aucun moment M. F... K... en sa qualité de père de ses deux enfants allégués, B... C... H... et M... C... A.... Dans la partie de ce formulaire réservée aux enfants vivants, elle n'a pas davantage évoqué ces enfants alors qu'elle a fait état de la jeune D... L... C..., née au Congo en 2007, qui réside avec elle en France, et qui porte le même patronyme que le conjoint qu'elle mentionnait. En outre, il n'est pas contesté que Mme C... E... n'a jamais signalé à la sous-direction de l'accès à la nationalité française l'existence de ces deux enfants allégués. Ensuite, pour établir le lien de filiation entre la requérante et les jeunes B... C... H... et M... C... A..., ont été versées aux débats de première instance des copies intégrales d'acte de naissance des jeunes demandeurs de visas qui comportent toutefois de nombreuses anomalies rédactionnelles et formelles (nom de l'officier d'état civil, police de caractère, alignement et espace entre les mots, QR code non intégral). Devant la cour, Mme C... E... présente de nouveau des copies intégrales, établies le 15 août 2024 pour chacun des enfants allégués, de ces mêmes actes de naissance, copies qui ne présentent plus les erreurs matérielles qui avaient été relevées. Toutefois, aucune explication n'est apportée permettant de comprendre les circonstances dans lesquelles les actes en question ont pu être rectifiés alors que la seule démarche initiée par le conseil de la requérante, qui exerce à J... et n'a pas saisi de juridiction pour obtenir les modifications en cause, a porté sur une demande de rectification d'erreur matérielle s'agissant de la référence d'un jugement supplétif. En effet, les actes d'état civil indiquent qu'ils ont été établis sur présentation d'une copie du " jugement supplétif d'acte de naissance sous RC 6575 du 5 novembre 2021 rendu par le tribunal pour enfants de J.../G... et un certificat de Non Appel n° 659/2021 du 10 décembre 2021. Si la requérante a produit devant la cour une ordonnance de rectification d'erreur matérielle établie le 26 juillet 2024 qui précise " qu'il faut retenir - dans le jugement supplétif en cause - le RC 6579 et non le RC 6575 ", ce document doit cependant être rapproché de deux autres documents, versés en appel et intitulés respectivement " ordonnance de rectification d'erreurs matérielles " et ordonnance " portant rectification d'erreur matérielle ", qui reprennent le dispositif de l'ordonnance précitée et comportent des anomalies d'alignements, voire de surimpression. Dans ces conditions, compte tenu du caractère peu probant de ces éléments, le lien de filiation unissant les demandeurs de visas et la requérante ne peut être tenu pour établi.
7. En deuxième lieu, par ailleurs, aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. "
8. Les autres pièces du dossier, en particulier les transferts d'argent effectués au profit de tiers non identifiables, les documents scolaires produits et quelques photos, sont insuffisants pour permettre d'établir l'existence du lien de filiation allégué par la possession d'état.
9. Dans ces conditions, la commission n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation en refusant de délivrer le visa sollicité au motif que les enfants ne pouvaient se prévaloir de la qualité d'enfants d'une ressortissante française. Il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif, qui suffisait à lui seul à justifier la décision contestée.
10. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, faute d'établissement de l'identité des demandeurs de visas et de leur lien de filiation avec
Mme C... E..., les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
11. En quatrième et dernier lieu, Mme C... E... se borne à reprendre en appel les mêmes moyens que ceux présentés en première instance sans les assortir de précisions ou d'éléments complémentaires. Il y a lieu, par suite, de les écarter en se fondant sur les mêmes motifs tirés, d'une part, de ce que la décision de la CRRV, qui comporte, avec suffisamment de précision, l'énoncé des considérations de fait et des motifs de droit qui en constituent le fondement, satisfait aux exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, et est en conséquence suffisamment motivée, et d'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation des demandeurs de visas n'aurait pas fait l'objet d'un examen particulier.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme C... E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 14 juin 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse la somme que Mme C... E... demande au titre de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... C... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24NT01462002