Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision n° R/18-0161du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a infligé une amende de 20 000 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 1921271 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Par une décision n° 459228 du 19 octobre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 20PA02647 du 8 octobre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête formée par la société Air France à l'encontre de la décision n° R/18-0161 du 2 août 2019 du ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 10 septembre 2020, 17 mai 2021 et 24 mai 2023, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision n° R/18-0161 du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a infligé une amende de 20 000 euros ou de la décharger du paiement de cette amende ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner au ministre de l'intérieur et des outre-mer la communication de tout procès-verbal qui se réfère au vol AF 1354 du 23 janvier 2018 et/ou à M. M et, dans l'attente, de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut se voir opposer un défaut de réacheminement dès lors que le commandant de bord a pris une décision de refus de transport du passager non admissible afin d'assurer la sécurité du vol et de ses occupants, en application de l'article L. 6522-3 du code des transports et de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- il ne saurait peser sur la compagnie une obligation de résultat au regard de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors notamment que les dispositions de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 priment sur celles de l'OPS 1.265 de la même annexe qui imposent au transporteur d'établir des procédures pour le transport des passagers non admissibles ;
- ni elle ni son commandant de bord n'ont à démontrer l'existence d'un événement ayant un caractère de force majeure pour s'exonérer d'une quelconque responsabilité ;
- le ministre de l'intérieur ne saurait lui opposer l'absence d'une escorte privée dès lors que cette dernière ne dispose pas des pouvoirs de police nécessaires permettant, seuls, d'obliger un passager refoulé ou non admis à monter à bord d'un avion et de respecter la sécurité à bord ;
- l'absence de caractère dissuasif, pour le passager en cause, de la sanction pénale de trois ans d'emprisonnement prévue à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour l'infraction de refus de quitter le territoire français, démontre l'inutilité d'une escorte privée ;
- la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France n'a conféré ni aux compagnies aériennes ni aux commandants de bord des pouvoirs de police leur permettant d'obliger des passagers refoulés ou non admis à monter à bord d'un avion et à respecter la sécurité à bord.
Par deux mémoires enregistrés les 21 avril 2021 et 24 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour de rejeter la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 ;
- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- la décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu, rapporteure,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rémy, représentant la société Air France.
Une note en délibéré, présentée pour la société Air France, a été enregistrée le 14 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision n° R/18-0161 du 2 août 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France une amende de 20 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer un passager, alors que ce dernier avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. La compagnie aérienne relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les obligations des entreprises de transport aérien :
2. D'une part, en application de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l'obligation pour les entreprises de transport de " reprendre en charge sans délai " les personnes étrangères dont l'entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Selon l'article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. L'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, pris pour la transposition de cette directive, devenu l'article L. 333-3, dispose : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". Le 1 de l'article L. 625-7 du même code, dans la rédaction alors applicable, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 et devenu l'article L. 821-10, prévoit qu'est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros " L'entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion, alors en vigueur : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants. (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".
4. Il résulte de ces dispositions et, s'agissant de celles de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Ces dispositions n'ont toutefois ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.
5. Pour déterminer s'il y a lieu de sanctionner l'entreprise de transport et fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 devenu L.821-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. Mais l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte, constitue une circonstance exonératoire.
Sur le bien-fondé de l'amende :
6. Les services de la police aux frontières de l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ont, le 22 janvier 2018, requis la société Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 23 janvier 2018 à 20h50 ou par tout autre moyen, le réacheminement vers Alger de M. M, celui-ci ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français, le 15 janvier 2018. Par un procès-verbal du 23 janvier 2018, ces services ont constaté le défaut de réacheminement de l'intéressé du fait du refus du commandant de bord de le prendre en charge.
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal constatant le défaut de réacheminement, que les services de la police aux frontières se sont présentés à l'embarquement avec M. M et ont attendu qu'un escabeau soit mis en place à l'arrière de l'appareil pour y pénétrer. L'intéressé a été installé dans l'avion au siège n° 24. Toutefois, quelques minutes plus tard le commandant de bord a refusé de le prendre en charge du fait de " possibles " troubles, motivant expressément sa décision par un " refus d'embarquer de la part de l'INAD ". Cependant, quand bien même il s'agirait de la quatrième tentative de retour, le fait que M. M se soit installé dans l'avion, sans qu'il soit fait état d'une quelconque résistance de sa part, vient contredire la motivation retenue par le commandant de bord dans sa décision. Dans ces conditions, la société Air France n'établit pas dûment une impossibilité de réacheminer l'intéressé du fait de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, seule circonstance exonératoire. Par suite, c'est à bon droit, dans les circonstances de l'espèce, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer a infligé à la société Air France une amende, dont il ne résulte pas de l'instruction que le montant de 20 000 euros serait disproportionné.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder à la mesure d'instruction sollicitée, que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision n° R/18-0161 du 2 août 2019 du ministre de l'intérieur et des outre-mer lui infligeant une amende. Par suite, sa requête ne peut qu'être rejetée, en ce compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.
La rapporteure,
L. d'ARGENLIEU
La présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04628