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09/07/2024 | FRANCE | N°23PA03535

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 09 juillet 2024, 23PA03535


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. L... H... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 mai 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.



Par un jugement n° 2312119/8 du 12 juillet 2023, le président du tribunal ad

ministratif de Paris a annulé cet arrêté.



Procédure devant la Cour :



Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. L... H... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 mai 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 2312119/8 du 12 juillet 2023, le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. H... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- le jugement contesté est insuffisamment motivé dans la mesure où il ne fait pas état des motifs pour lesquels le premier juge a estimé que le préfet de police avait entaché son arrêté d'une erreur de fait ;

- c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté du 23 mai 2023, dans la mesure où cet arrêté n'est pas erroné en fait, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni n'est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de l'intéressé ;

- les autres moyens soulevés par M. H... devant le premier juge ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. H..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme d'Argenlieu a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. H..., ressortissant ukrainien, né le 15 juin 1971 et entré en France le 18 mai 2005 selon ses déclarations, a été interpelé le 22 mai 2023, lors d'un contrôle sur la voie publique, pour faux et usage de faux documents administratifs et conduite sans permis. N'étant pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, le préfet de police, par un arrêté du 23 mai 2023, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et l'a interdit de retour pendant une durée de vingt-quatre mois. Par un jugement du 12 juillet 2023, dont le préfet de police relève appel, le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 23 mai 2023.

Sur la requête du préfet de police :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Le préfet de police, pour obliger M. H... à quitter le territoire sans délai, fixer le pays à destination duquel il pourrait être reconduit et lui interdire de retourner en France pendant une durée de vingt-quatre mois, s'est fondé sur le fait que la demande d'asile de l'intéressé avait été rejetée à deux reprises, le 27 novembre 2008 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), et le 31 janvier 2023 dans le cadre d'une demande de réexamen par l'office français de protection des réfugiés et apatride (OFPRA), que son comportement avait été signalé par les forces de police le 22 mai 2023 pour faux et usage de faux documents administratifs et conduite sans permis, que ces faits constituaient une menace pour l'ordre public, qu'il existait un risque qu'il se soustraie à cette obligation de quitter le territoire et que, s'il se déclarait divorcé avec un enfant non à charge, il n'en apportait pas la preuve.

4. Pour annuler l'arrêté en litige, le président du tribunal a estimé qu'eu égard à l'ancienneté de la présence en France de M. H... et à l'intensité de ses liens familiaux sur le territoire national, le préfet de police avait commis une erreur de fait, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, pour les mêmes motifs, apprécié de manière erronée les conséquences de sa décision sur la situation de l'intéressé.

5. Cependant, si M. H... soutient qu'il réside habituellement en France depuis l'année 2005, il ne l'établit pas. S'il justifie être père d'une enfant née en 2011 en France, il ne produit aucune pièce de nature à démontrer l'intensité des liens qui le lient à sa fille, pas plus qu'il ne fournit d'élément tant sur le lieu de sa résidence, que sur la situation de la mère de l'enfant dont il est dit être divorcé. Par ailleurs, s'il soutient avoir effectué des stages au sein de la légion étrangère en 2005, 2006 et 2007, travailler désormais de façon déclarée en qualité de chauffeur-livreur et bénéficier de la sécurité sociale, il ne l'établit pas davantage. Enfin, M. H..., dont le préfet de police soutient sans être contredit qu'il a été défavorablement connu des services de police en 2008, 2009 et 2011, a admis avoir utilisé plusieurs alias et des documents d'identité falsifiés. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait erroné en fait, méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, pour les mêmes motifs, serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté.

6. Il y a lieu, pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. H... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, par un arrêté du 23 janvier 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de police, le préfet de police a donné délégation à Mme K... A..., attachée d'administration de l'Etat, à l'effet de signer notamment, en cas d'absence ou d'empêchement simultanés de Mme C... D..., cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, de Mme B... G..., cheffe du département zonal de l'asile et de l'éloignement, de M. J... I..., chef du service de l'administration des étrangers et de M. E... F..., préfet délégué à l'immigration, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et celles pouvant assortir de telles décisions. Il n'est pas établi, ni même allégué, que Mmes D... et G... et MM. I... et F... n'étaient pas simultanément absents ou empêchés lors de l'intervention de l'arrêté attaqué. Le moyen tiré de l'incompétence de Mme A... pour signer la décision attaquée manque, par suite, en fait.

8. En deuxième lieu, il ne ressort ni de la motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ni des autres pièces du dossier que le préfet ne se serait pas livré à un examen particulier de la situation de l'intéressé.

9. En dernier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne fixe aucun pays de destination. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle serait illégale, dès lors qu'elle ferait encourir des risques personnels pour M. H... en cas de retour en Ukraine, est inopérant. Il doit par suite être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

10. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. La décision contestée indique que M. H... sera reconduit " à destination du pays qui lui a délivré un titre de voyage en cours de validité, ou encore tout autre pays dans lequel il établit être légalement admissible, à l'exception du pays dont il a la nationalité " à savoir l'Ukraine. Par suite, le moyen tiré de ce que l'intéressé serait exposé à un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine est inopérant. Il ne pourra, pour ce motif, qu'être écarté.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

12. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".

13. Il ressort des termes mêmes des dispositions citées au point précédent que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

14. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.

15. En premier lieu, la décision fixant une interdiction de retour mentionne les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait état de la durée de présence en France de M. H..., de la nature et de l'ancienneté des liens qu'il a pu y créer et de ce que son comportement constituerait une menace pour l'ordre public. Ainsi, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.

16. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5 et alors qu'il n'est pas contesté que M. H... représente une menace pour l'ordre public, le préfet de police ne peut être regardé comme s'étant livré à une appréciation erronée de la situation de l'intéressé en lui faisant interdiction de retourner en France et en fixant à vingt-quatre mois la durée de cette interdiction. Les moyens tirés de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doivent par suite être écartés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 23 mai 2023 obligeant M. H... à quitter le territoire sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2312119/8 du 12 juillet 2023 du président du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. H... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. L... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.

La rapporteure,

L. d'ARGENLIEULa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23PA03535


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03535
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;23pa03535 ?
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