Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 21 mars 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités néerlandaises.
Par un jugement n° 2404093 du 23 mai 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout autre préfet territorialement compétent de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 100 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 21 juin 2024 sous le n° 24PA02665, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que la première juge a fait droit au moyen tiré de ce que l'entretien avec Mme D... n'a pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 pour annuler l'arrêté contesté ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 septembre 2024, Mme D..., représentée par Me Arrom, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à Me Arrom de la somme de 1 500 euros H.T au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- il a été pris en méconnaissance de son droit à l'information garanti par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que les deux brochures ne lui ont pas été remises en temps utile ;
- il méconnaît les stipulations des articles 21 et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 en ce que le préfet n'établit pas que les autorités néerlandaises auraient été régulièrement saisies ;
- il méconnaît les articles 12-4 et 19 du même règlement ;
- il méconnaît l'article 17-1 du règlement.
II. Par une requête enregistrée le 21 juin 2024 sous le n° 24PA02666, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2404093 du 23 mai 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, sur le fondement de l'article R. 811-15 ou de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, la suspension du jugement attaqué.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 septembre 2024, Mme D..., représentée par Me Arrom, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas sérieux ou de nature à conduire à l'annulation ou à la réformation du jugement litigieux.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 août 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Une note en délibéré, présentée par Mme D..., a été enregistrée le 10 septembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 21 mars 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé du transfert de Mme D..., ressortissante turque née le 9 septembre 2002, aux autorités néerlandaises, aux fins d'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 23 mai 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a, en son article 1er, admis Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en son article 2, annulé l'arrêté du 21 mars 2024, en son article 3, enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout autre préfet territorialement compétent de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, en son article 4 a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 100 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, en son article 5, rejeté le surplus de la demande de Mme D.... Le préfet la Seine-Saint-Denis doit être regardé comme demandant l'annulation des articles 2 à 4 de ce jugement dont il relève régulièrement appel et qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes visées ci-dessus n° 24PA02665 et 24PA02666, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis, tendent, respectivement, à l'annulation et au sursis à exécution du jugement n° 2404093 du 23 mai 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 24PA02665 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4.
/ 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel.
/ 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
4. Sauf élément particulier en sens contraire, un agent du bureau chargé de la demande d'asile doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du résumé de l'entretien établi le jour même et sur lequel est apposé un cachet portant les mentions " A la préfecture de : Préfecture de Seine-Saint-Denis " que Mme D... a bénéficié d'un entretien individuel mené, le 11 décembre 2023, dans les locaux de la préfecture de Seine-Saint-Denis par un agent de la préfecture. Il ressort des pièces produites pour la première fois en appel par le préfet de la Seine-Saint-Denis que cet entretien a été conduit par Mme G... B..., adjoint administratif principal de première classe et agent en charge du traitement des demandes d'asile, habilitée pour ce faire par l'arrêté n° 2024-0996 du 3 avril 2024 portant nomination des agents préfectoraux chargés de conduire les entretiens individuels prévus à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Alors que Mme D... n'a apporté aucun élément au soutien de l'allégation selon laquelle l'entretien n'aurait pas été conduit par une personne qualifiée en vertu du droit national, ces éléments sont suffisants pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national et dans les locaux de la préfecture. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien, la durée de celui-ci, la possibilité de procéder à une relecture dudit résumé ou la possibilité pour le conseil de l'intéressé d'en solliciter la communication. Il ressort également du résumé que Mme D... a bénéficié lors de son entretien individuel des services d'un interprète en langue turque, qu'elle a déclaré comprendre, provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles l'entretien s'est déroulé auraient privé Mme D... de la possibilité de faire valoir toute observation utile ou n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité. Par suite, préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil s'est fondée sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 pour annuler l'arrêté contesté devant elle.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... en première instance.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal :
6. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. E... F..., attaché d'administration de l'Etat, adjoint à la cheffe de bureau de l'éloignement, qui, en vertu d'un arrêté n° 2023-0538 du 10 mars 2023, publié le jour même au bulletin d'informations administratives, disposait d'une délégation de signature afin de signer les décisions de transfert vers l'Etat membre responsable d'une demande de protection internationale introduite par un ressortissant d'un pays tiers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. L'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de Mme D..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'elle est entrée en France en étant titulaire d'un visa périmé délivré par les autorités turques représentant les autorités néerlandaise et que ces dernières, qui devaient être regardées comme étant responsables de sa demande d'asile sur le fondement de l'article 12 paragraphe 4 du règlement n° 604/2013, ont en conséquence été saisies d'une demande de prise en charge le 2 novembre 2023 en application des articles 21 et 22 du règlement n° 604/2013 et ont fait connaître leur accord explicite le 5 février 2024. Il précise en outre que sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France, ni n'établit être dans l'impossibilité de retourner aux Pays-Bas, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et, enfin, qu'elle n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités néerlandaises. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation résultant des dispositions citées ci-dessus. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Mme D..., il ne ressort pas des termes de l'arrêté, ni des pièces du dossier, que le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'était pas tenu de reprendre dans celui-ci l'ensemble des éléments relatifs à la situation de l'intéressée, n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation avant d'édicter la décision contestée. Si Mme D... soutient que l'arrêté ne mentionne pas le fait qu'elle vit en concubinage avec un compatriote qui est en situation régulière en France, que sa sœur s'est vue octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire et qu'après être entrée une première fois en France le 23 mai 2023 sous couvert du visa délivré par les autorités néerlandaises, elle a été ramenée de force en Turquie par sa famille et n'est revenue en France que le 29 novembre 2023, il ressort du compte-rendu de l'entretien individuel du 11 décembre 2023 qu'elle a déclaré être célibataire, n'a mentionné que sa sœur et la " demande d'asile " faite par celle-ci, et a indiqué être entrée directement en France et n'avoir rejoint ni les Pays-Bas ni son pays d'origine.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... s'est vu remettre, le 11 décembre 2023, lors de son entretien individuel, la brochure " A ", intitulée " J'ai demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne ", et la brochure " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement, ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue anglaise qu'elle a déclaré comprendre. Si l'intéressée soutient que le préfet de police n'apporte pas la preuve que ces documents étaient complets, elle n'apporte aucun élément permettant de douter de leur complétude alors qu'elle a reconnu à l'issue de l'entretien que les informations sur les règlements communautaires lui ont été remises. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement (...) ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. / (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Par ailleurs, il résulte des dispositions des articles 15, 18 et 19 du règlement (CE) de la Commission du 2 septembre 2003 susvisé que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.
12. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande de prise ou de reprise en charge présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai d'un ou de deux mois au terme duquel, respectivement, la demande de reprise en charge ou de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la prise ou à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de prise ou de reprise en charge.
13. En l'espèce, le préfet de la Seine-Saint-Denis a produit au dossier de l'instance la lettre datée du 5 février 2024 par laquelle les autorités néerlandaises ont donné leur accord à la prise en charge de Mme D... sur le fondement de l'article 12 paragraphe 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ce seul document permet d'établir que les autorités néerlandaises ont bien été saisies de la demande aux fins de reprise en charge, le 13 décembre 2023, soit dans le délai maximum de trois mois à compter de la date de la demande, le 27 octobre 2023, et qu'elles ont-elles-mêmes répondu dans le délai de deux mois maximum qui leur était imparti. Par ailleurs, si Mme D... soutient que le préfet n'a pas, dans le formulaire de demande envoyé aux autorités néerlandaises, indiqué qu'après être entrée une première fois en France le 23 mai 2023 sous couvert du visa délivré par ces autorités, elle est retournée en Turquie avant d'entrer de nouveau en France le 29 novembre 2023, après l'expiration du visa, et qu'une telle mention était susceptible d'avoir une incidence sur la reconnaissance par les autorités néerlandaises de leur responsabilité, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait fait part de ces éléments au cours de l'entretien individuel du 11 décembre 2023, au cours duquel elle a déclaré, ainsi que cela ressort du compte-rendu d'entretien, être entrée en camion en France avec le visa délivré par les autorités néerlandaises, ne s'être jamais rendue aux Pays-Bas et n'être pas repartie en Turquie, ou à un autre moment. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 21 et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Si le demandeur est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) / 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres. /Lorsque le demandeur est titulaire d'un ou plusieurs titres de séjour périmés depuis plus de deux ans ou d'un ou plusieurs visas périmés depuis plus de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre et s'il n'a pas quitté le territoire des États membres, l'État membre dans lequel la demande de protection internationale est introduite est responsable. ".
15. Il est constant qu'à la date de sa demande, le 11 décembre 2023, Mme D... était titulaire d'un visa délivré par les autorités néerlandaises valable du 21 mai au 20 juin 2023, et qui était donc périmé depuis moins de six mois. Si Mme D... soutient qu'après être entrée une première fois en France le 23 mai 2023 sous couvert de ce visa, elle a été ramenée de force en Turquie par sa famille et n'est revenue en France que le 29 novembre 2023, ainsi qu'elle l'a déclaré lors de l'entretien individuel, et qu'elle n'entre pas, de ce fait, dans le champ des dispositions citées au point 14, elle n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses allégations, alors qu'ainsi qu'il a déjà été dit au point 13, il ressort du compte-rendu d'entretien du 11 décembre 2023 qu'elle a alors déclaré être entrée en camion en France avec le visa délivré par les autorités néerlandaises, ne s'être jamais rendue aux Pays-Bas et n'être pas repartie en Turquie.
16. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
17. Mme D... soutient qu'elle réside en France avec un compatriote titulaire d'une carte de séjour temporaire valable du 18 mars 2024 au 17 mars 2025 et qu'ils ont le projet de se marier. Toutefois, la production d'un " dossier de projet de mariage civil " et d'un certificat de capacité matrimoniale ne suffit pas pour établir la réalité du concubinage allégué. Mme D... n'établit pas davantage que Mme C... A..., à qui la Cour nationale du droit d'asile a accordé l'asile par une décision du 23 février 2024, serait sa sœur. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Seine-Saint-Denis a fait une inexacte application des articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 21 mars 2024 décidant la remise de Mme D... aux autorités néerlandaises, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 100 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n° 24PA02666 :
19. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 24PA02665 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement n° 2404093 du 23 mai 2024, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24PA02666 par laquelle le préfet demande à la cour le sursis à exécution de ce jugement.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24PA02666 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2404903 du 23 mai 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Montreuil, auxquelles cette juridiction a fait droit par les articles 2, 3 et 4 de son jugement, sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme A... D... et à Me Arrom.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2024.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24PA02665, 24PA02666