Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D..., la société civile d'exploitation agricole Manuarii et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, d'une part, d'annuler l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n° 2023/1537/GNC du 28 juin 2023 statuant sur le réexamen de la reconnaissance de la commune de Bourail pour le cyclone tropical Dovi du 7 au 11 février 2022, d'autre part, d'enjoindre à la caisse d'assurances mutuelles agricoles contre les calamités naturelles d'origine climatique et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de classer la commune de Bourail dans les zones sinistrées à la suite du passage du cyclone tropical Dovi, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement et sous une astreinte de 10 000 francs CFP par jour de retard et, enfin, d'enjoindre à la caisse d'assurances mutuelles agricoles contre les calamités naturelles d'origine climatique de faire droit à sa demande d'indemnisation.
Par un jugement nos 2300441, 2300442, 2300443, 2300444 du 14 décembre 2023, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé l'arrêté contesté et a enjoint à la Nouvelle-Calédonie de se prononcer à nouveau sur le classement de la commune de Bourail dans les zones sinistrées à la suite du passage de la dépression tropicale forte Dovi, après avoir apprécié l'existence et l'ampleur des dégâts aux cultures et exploitations causés par cette dépression tropicale forte sur le territoire de cette commune, et de prendre une nouvelle décision sur les demandes d'indemnisation qui avaient été présentées par la SCEA Manuarii, par Mme F... D..., ainsi que par MM. A... et E... D..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 14 mars 2024 sous le n° 24PA01244 et un mémoire ampliatif enregistré le 16 avril 2024, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représenté par la société civile professionnelle d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 2300441, 2300442, 2300443, 2300444 du 14 décembre 2023 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie par M. E... D..., la société civile d'exploitation agricole Manuarii et M. A... D... ;
3°) de mettre à la charge M. E... D..., la société civile d'exploitation agricole Manuarii et M. A... D... le versement, chacun, d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en regardant une dépression tropicale forte comme présentant par nature le caractère d'accident climatique exceptionnel, alors que la délibération du 10 octobre 1990 a entendu réserver une marge d'appréciation aux autorités compétentes.
Par ordonnance du 13 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 juillet 2024 à 12 heures.
Un mémoire en défense a été produit le 6 septembre 2024, soit postérieurement à la date de clôture de l'instruction, par Me Pieux, pour M. E... D..., la société civile d'exploitation agricole Manuarii, M. A... D... et Mme F... D..., représentée par ses héritiers Mme C... D... et M. E... D... ; il n'a pas été analysé ni communiqué.
II. Par une requête enregistrée le 16 avril 2024 sous le n° 24PA01761, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représenté par la société civile professionnelle d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, demande à la Cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement nos 2300441, 2300442, 2300443, 2300444 du 14 décembre 2023 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie.
Il soutient que le moyen retenu par le tribunal n'est pas fondé, que les autres moyens articulés devant les premiers juges ne sont pas fondés et que l'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement réparables.
La requête a été communiquée à M. E... D..., à la société civile d'exploitation agricole Manuarii, à M. A... D... et à Mme F... D..., représentée par ses héritiers Mme C... D... et M. E... D... qui n'ont pas présenté d'observations en défense.
Par ordonnance du 13 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 juillet 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- la délibération n° 71/CP du 10 octobre 1990 relative aux conditions d'intervention de la Nouvelle-Calédonie en vue de l'indemnisation des exploitants agricoles victimes de calamités agricoles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie relève appel du jugement du 14 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, saisi à cette fin par M. E... D..., la société civile d'exploitation agricole Manuarii, M. A... D... et Mme F... D..., a annulé son arrêté n° 2023/1537/GNC du 28 juin 2023 statuant sur le réexamen de la reconnaissance de la commune de Bourail pour le cyclone tropical Dovi du 7 au 11 février 2022 et lui a enjoint de se prononcer à nouveau sur le classement de la commune de Bourail dans les zones sinistrées à la suite du passage de la dépression tropicale forte Dovi, après avoir apprécié l'existence et l'ampleur des dégâts aux cultures et exploitations causés par cette dépression tropicale forte sur le territoire de cette commune, et de prendre une nouvelle décision sur les demandes d'indemnisation qui avaient été présentées par la SCEA Manuarii, par Mme F... D..., ainsi que par MM. A... et E... D..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
2. Les requêtes n° 24PA01244 et n° 24PA01761 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
3. Dès lors qu'il est statué au fond sur les conclusions de la requête n° 24PA01244, il n'y a plus lieu de statuer sur celles, à fins de sursis à exécution du jugement attaqué, de la requête n° 24PA01761.
4. Par des jugements nos 2200259, 2200260, 2200261, et 2200262 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, à la demande de la SCEA Manuarii, de Mme F... D..., ainsi que de MM. A... et E... D... a, d'une part annulé l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du 16 mars 2022 statuant sur le caractère de calamité agricole de la dépression tropicale forte Dovi qui est passée sur le territoire calédonien entre le 7 et le 11 février 2022, en tant qu'il n'inclut pas la commune de Bourail dans la liste des zones sinistrées, ainsi que les décisions de refus d'indemnisation opposées aux intéressés par la Nouvelle-Calédonie et, d'autre part enjoint à la Nouvelle-Calédonie de se prononcer à nouveau sur le classement de la commune de Bourail dans les zones sinistrées à la suite du passage de la dépression tropicale forte Dovi, et de prendre une nouvelle décision sur les demandes d'indemnisation présentées par les intéressés. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a alors pris l'arrêté n° 2023/1537/GNC du 28 juin 2023, en litige, statuant sur le réexamen de la reconnaissance de la commune de Bourail, dont l'article 1er dispose que : " Après réexamen par la commission des calamités agricoles du 16 mars 2023, la commune de Bourail n'est pas reconnue sinistrée pour le cyclone tropical Dovi du 7 au 11 février 2022. ".
5. L'article 1er de la délibération n° 71/CP du 10 octobre 1990 relative aux conditions d'intervention de la Nouvelle-Calédonie en vue de l'indemnisation des exploitants agricoles victimes de calamités agricoles dispose que : " La Nouvelle-Calédonie pourra contribuer à l'indemnisation des dommages causés aux exploitants ou exploitations agricoles par les accidents climatiques exceptionnels. Ces interventions seront mises en oeuvre dans les conditions suivantes : ". Aux termes de l'article 5 de la même délibération : "Peuvent être reconnus comme calamités agricoles, sur une zone déterminée, les accidents climatiques suivants, au regard des dégâts qu'ils ont provoqués sur l'activité agricole de cette zone : / 1) les cyclones et les dépressions tropicales fortes ; / 2) les épisodes pluvieux d'intensité exceptionnelle ; le caractère exceptionnel des précipitations est apprécié sur une période d'au plus trois jours consécutifs ; la reconnaissance du caractère exceptionnel des précipitations est proposée par la commission des calamités agricoles au vu du rapport du service de la météorologie et sur la base des critères de récurrence arrêtés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; / 3) les dégâts provoqués par des débordements de cours d'eau survenus entre avril et novembre ; / 4) les épisodes venteux d'intensité exceptionnelle ou les phénomènes d'embruns d'intensité exceptionnelle en zone côtière, lorsque ces épisodes ou phénomènes surviennent entre avril et novembre ; le caractère exceptionnel des vents prend en compte les critères de vitesse arrêtés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; la reconnaissance du caractère exceptionnel des vents ou des embruns est proposée par la commission des calamités agricoles au vu du rapport du service de la météorologie. / Le caractère de calamité agricole du phénomène naturel considéré est constaté par arrêté du gouvernement la Nouvelle-Calédonie. " L'article 5 bis de la même délibération dispose que : " La délimitation des zones sinistrées au titre des calamités agricoles et la détermination de la nature des cultures et des biens indemnisables sont arrêtées par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie au terme de la procédure suivante : /
- les agriculteurs sinistrés transmettent une déclaration de sinistre à la caisse d'assurances mutuelles agricoles (CAMA) dans un délai de dix jours à compter de la survenance de l'accident climatique, cachet de la poste faisant foi ; / - à l'issue de la période de dépôt des déclarations de sinistre et après examen du dossier, la commission des calamités agricoles propose à l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie la délimitation des zones sinistrées, ainsi que la nature des cultures et des biens indemnisables de chaque zone identifiée. ". Aux termes, enfin, de l'article 6 de ce texte : " Les risques susceptibles d'être couverts par une assurance ne peuvent donner lieu à indemnisation. La liste des biens indemnisables, leurs caractéristiques et le barème des valeurs d'indemnisation sont fixés par arrêté de l'Exécutif de la Nouvelle-Calédonie de Nouvelle-Calédonie, après consultation de la commission des calamités agricoles. / (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions combinées, en premier lieu, que la constatation par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du caractère de calamité agricole d'un accident climatique, constitue une opération distincte de celle de la délimitation des zones sinistrées au titre des calamités agricoles et la détermination de la nature des cultures et des biens indemnisables, qu'elle n'est pas soumise aux mêmes exigences procédurales et qu'elle peut procéder d'un arrêté distinct. En second lieu, peuvent être reconnus calamité agricole, d'une part, soit les cyclones et dépressions tropicales fortes, soit les dégâts provoqués par des débordements de cours d'eau survenus entre avril et novembre qui revêtent par eux-mêmes le caractère d' " accidents climatiques exceptionnels " au sens de l'article 1er de la délibération précitée et d'autre part, soit les épisodes pluvieux ou les phénomènes d'embruns, soit les épisodes venteux possédant une " intensité exceptionnelle " plus précisément définie par les critères mentionnés aux 2) et 4) de l'article 5 du même texte et les arrêtés réglementaires auxquels ils renvoient. Le caractère " exceptionnel " des accidents climatiques mentionnés aux 1) et au 4) est en revanche constaté, sous le contrôle du juge administratif, par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui doit procéder à une évaluation de l'ensemble des circonstances de l'espèce et prendre notamment en compte à cette fin les dégâts " provoqués sur l'activité agricole de cette zone ", sans qu'il y ait lieu d'ajouter à ces deux catégories d'accident climatique des conditions réservées par les dispositions susmentionnées aux deux autres catégories. En troisième lieu, la " zone déterminée " prévue au premier alinéa de l'article 5 de la délibération est celle dans laquelle l'accident climatique revêt le caractère de calamité agricole et doit être définie par l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie le constatant ; à défaut d'une telle définition expresse, elle doit s'entendre de la zone géographique dans laquelle s'est produit l'accident climatique en cause. Les " zones sinistrées " mentionnés à l'article 5 bis du même texte, qui doivent être précisément limitées, sont celles dans lesquelles peut être engagé le processus d'indemnisation à la demande des agriculteurs sinistrés.
7. Il s'évince de ce qui vient d'être dit que, lorsque le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a reconnu le caractère de calamité agricole d'un accident climatique et a ainsi, au moins implicitement, déterminé la zone de sa survenue, il ne peut ensuite, sans commettre d'erreur de droit, refuser de reconnaître le caractère de zone sinistrée en se fondant sur des critères, notamment d'ordre météorologique, distincts de ceux afférents au nécessaire lien de causalité entre l'accident climatique et les dégâts dont l'indemnisation est demandée et sans procéder à une appréciation effective de ces derniers.
8. En l'espèce, l'article 2 de l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du 16 mars 2022 disposait que : " La dépression tropicale forte DOVI du 9 au 11 février 2022 est déclaré accident climatique exceptionnel conformément aux dispositions de la délibération modifiée n° 71/CP du 10 octobre 1990 susvisée. / Sont déclarées sinistrées les communes suivantes : Maré, Yaté, Mont-Dore, Île des Pins, Dumbéa, Païta et Boulouparis. ". Ces dispositions doivent être regardées, en dépit de l'usage d'une terminologie impropre, comme ayant en réalité, d'une part, constaté le caractère de calamité agricole de la dépression tropicale dont s'agit, d'autre part, implicitement déterminé sa zone d'effet comme correspondant à celle de la Grande Terre sur laquelle est passée cette dépression et, enfin, désigné comme zones sinistrées certaines communes dont Bourail ne faisait pas partie. Dès lors que ce constat a été opéré par les dispositions d'un arrêté demeurées en vigueur sur ce point nonobstant l'annulation partielle prononcée par les jugements du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 22 décembre 2022 et fondée sur l'absence de mention de la commune de Bourail, la Nouvelle-Calédonie devait, dans le cadre de l'opération de délimitation des zones sinistrées, procéder à une appréciation effective de l'ensemble des dommages causés à l'activité agricole sur le territoire affecté par cet accident climatique. Or, il ne ressort pas du procès-verbal de la commission des calamités agricoles du 16 mars 2023, sur lequel se fonde l'arrêté litigieux, qu'une telle appréciation ait été effectuée, notamment au regard des inondations, cette commission s'étant bornée à examiner les caractéristiques de la crue survenue sur le territoire de la commune de Bourail, sans examiner si celle-ci avait en pratique causé d'éventuels dégâts aux cultures et exploitations, et sans non plus apprécier l'ampleur de ceux-ci, et alors même que des dégâts par inondation avaient été signalés à Bourail, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de la commission des calamités agricoles du 12 mai 2022.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, annulé son arrêté n° 2023-1537/GNC du 28 juin 2023. Ses conclusions d'appel tendant à l'annulation dudit jugement et au rejet de la demande d'annulation dudit arrêté doivent donc être rejetées ainsi que, par voie de conséquence dès lors qu'il succombe à l'instance, celles fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24PA01761 du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Article 2 : Les conclusions de la requête n° 24PA01244 du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à la société civile d'exploitation agricole Manuarii, première dénommée, pour l'ensemble des défendeurs et, en application de l'article R. 751-8-2 du code de justice administrative, au président du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie aux fins de mise en œuvre des dispositions de l'article R. 751-13 du même code et à la caisse d'assurances mutuelles agricoles contre les calamités naturelles d'origine climatique.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.
Le rapporteur,
S. B...
Le président,
I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 24PA01244, 24PA01761